Intervention de Jean-Marc Juilhard

Réunion du 30 mars 2006 à 15h00
Engagement national pour le logement — Suite de la discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

Photo de Jean-Marc JuilhardJean-Marc Juilhard :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Nous n'héritons pas la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants ». Certains d'entre vous trouveront peut-être curieux d'associer cette formule d'Antoine de Saint-Exupéry au projet de loi portant engagement national pour le logement, qui nous est soumis aujourd'hui en deuxième lecture. Pour autant, celle-ci résume de façon saisissante la responsabilité qui pèse sur chacun d'entre nous de promouvoir un développement durable.

Le développement durable, c'est la satisfaction des besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Réunis à Versailles, voilà un an, nous nous y sommes engagés en inscrivant dans notre loi fondamentale que les politiques publiques devaient « promouvoir un développement durable ».

Le présent projet de loi offre l'opportunité d'avancer dans la réalisation de cet objectif, qui, je le rappelle, n'est pas seulement environnemental. Il est aussi social, des dizaines de milliers d'emplois étant en jeu. Il est également économique, au regard de l'allègement de la facture énergétique attendu tant pour les collectivités que pour les différents abonnés, les entreprises et les particuliers, notamment les locataires de logements sociaux. Il est enfin géostratégique, car la question de l'indépendance énergétique et de la sécurité d'approvisionnement est désormais posée.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons adresser aux acteurs locaux des signes forts et leur rappeler que ce sont eux qui construisent aujourd'hui la politique énergétique de demain.

Il nous faudra toutefois élaborer un plan d'action plus global : Claude Belot et moi-même nous y employons, en conduisant actuellement, dans le cadre de la délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire, une réflexion sur le thème « énergies renouvelables et collectivités locales ». Notre rapport sera rendu public à la fin du mois de juin prochain. Après des dizaines d'heures d'auditions et de multiples déplacements sur le terrain, il nous est apparu que la France et l'Europe avaient pris un retard manifeste dans le développement de la chaleur d'origine renouvelable.

La chaleur paraît être la grande absente des débats sur les politiques énergétiques. Or la chaleur est le secteur le plus exposé à la conjoncture mondiale, le plus « énergivore », puisqu'il s'agit du premier poste énergétique en France, avec 40 % de la consommation, et le plus polluant. De plus, nous l'oublions trop souvent, la production d'électricité dans notre pays ne représente que 20 % de nos besoins énergétiques.

Pour ces raisons, nous aurions tort de nous focaliser sur la seule électricité. La directive européenne de 2001, qui a fixé à notre pays l'objectif de produire 21 % d'électricité d'origine renouvelable, contre 15 % aujourd'hui, nous conduit sur la pente dangereuse de l'« électrocentrisme » et nous écarte du débat sur la chaleur qui, je le répète, a été ô combien occulté ces dernières années.

Comme mon collègue Claude Belot, pionnier des réseaux de chaleur dans son département de la Charente-Maritime et dans sa commune de Jonzac, je ressens toutefois un véritable frémissement propre à favoriser le décollage des énergies renouvelables.

En premier lieu, l'accord de Kyoto assigne à notre pays un objectif de stabilisation de ses émissions polluantes en 2010 par rapport à leur niveau de 1990. Dans ce cadre, un plan national d'allocation des quotas de CO2 vient d'être mis en place.

En deuxième lieu, comme je l'ai dit, notre loi fondamentale comporte désormais une référence à la charte de l'environnement, laquelle proclame avec force que « la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation » et que les « politiques publiques doivent promouvoir un développement durable ».

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons tous combien le chef de l'État est sensible à ces questions. À ses yeux, l'une de nos priorités industrielles, c'est l'énergie. Il l'a d'ailleurs rappelé en janvier dernier, lors de ses voeux aux forces vives de la nation : « Le climat et l'après pétrole sont les défis du siècle qui s'ouvrent. Nous devrons diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050, c'est inéluctable. Nous devrons apprendre à nous passer progressivement de pétrole.

« Dans ce domaine, la France a l'ambition d'être une référence mondiale, car avec ses entreprises, avec ses infrastructures, avec ses recherches, elle dispose d'atouts majeurs. »

Autrement dit, montrons-nous dignes de l'emprunt planétaire que nous avons souscrit auprès de nos enfants et petits-enfants.

En troisième lieu, je rappelle que la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, adoptée le 13 juillet 2005, comporte comme objectifs l'augmentation de 50 % de la chaleur d'origine renouvelable et la production de 10 % des besoins énergétiques français à partir de sources d'énergies renouvelables.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique du logement, comme toutes les politiques publiques, doit intégrer la dimension « énergies renouvelables ». C'est non seulement indispensable pour la préservation de la planète et le respect de nos engagements internationaux, mais c'est aussi vital pour notre pays, et ce pour de nombreuses raisons.

Premièrement, sur le plan géostratégique, le développement des énergies renouvelables permettrait de mieux garantir notre indépendance énergétique et notre sécurité d'approvisionnement, lesquelles sont inscrites parmi les priorités de la politique énergétique française. La France et l'Europe, malgré une amélioration globale de leur intensité énergétique au cours des années passées, devraient voir leur demande énergétique continuer à progresser et leur production propre diminuer, en termes relatifs, de sorte que notre dépendance énergétique extérieure devrait augmenter de façon importante dans les prochaines années.

La commission européenne l'a rappelé, si rien n'est fait, notre dépendance énergétique passera de 50 % aujourd'hui à 70 % en 2030. Il est donc urgent d'agir. D'après les spécialistes, si les besoins de chaleur étaient couverts pour l'essentiel par de la chaleur renouvelable, nous pourrions avoir, au contraire, une indépendance énergétique de 70 % !

Deuxièmement, sur le plan social, les énergies propres pourraient créer plusieurs dizaines de milliers d'emplois dans les années à venir, jusqu'à 150 000 à l'horizon 2030-2050. En effet, parce qu'elles impliquent de développer certaines filières encore embryonnaires dans notre pays, les énergies renouvelables ont un « contenu emploi » plus fort que les autres énergies. Ainsi un chauffage collectif au bois crée-t-il trois fois plus d'emplois en France qu'une installation équivalente utilisant de l'énergie fossile importée.

Il s'agit d'être créatif et d'exploiter au mieux les ressources locales, en somme de mobiliser « l'intelligence territoriale ». Cela permettrait notamment d'alléger les factures de chauffage des logements sociaux. À l'heure où nous redoutons tous des délocalisations, nous pourrions aujourd'hui « relocaliser » la production énergétique.

Troisièmement, sur le plan économique, avec la flambée des énergies fossiles, toutes les énergies renouvelables sont entrées en phase de compétitivité. Les élus locaux qui investissent aujourd'hui peuvent espérer des temps de retour sur investissement très intéressants. Monsieur le ministre, mes chers collègues, soyez-en convaincus, le potentiel est immense et la marge de progression considérable.

Je prendrai deux exemples pour illustrer mon propos : la géothermie et le bois-énergie.

En matière de géothermie, les potentialités, notamment en Île-de-France, en Aquitaine, et même dans ma région, l'Auvergne, sont totalement sous-exploitées. Or la technologie est aujourd'hui parfaitement maîtrisée, le risque géologique connu et la rentabilité économique garantie.

S'agissant du bois, et contrairement à certaines idées répandues, la forêt française regorge de potentialités. Plus grande forêt d'Europe, avec 14 millions d'hectares, elle occupe actuellement 26 % du territoire.

Selon les estimations actuelles, entre le tiers et la moitié de l'accroissement annuel de la biomasse agricole et forestière n'est pas valorisé. En effet, la forêt française produit une biomasse de 90 millions de mètres cubes de bois par an, alors que la récolte annuelle oscille seulement entre 47 millions et 60 millions de mètres cubes.

Les pays germaniques et scandinaves l'ont bien compris, le bois n'est en rien l'énergie du passé. Avec les techniques actuelles, qui offrent des rendements énergétiques de plus de 85 %, le chauffage au bois et à la biomasse est incontestablement une solution d'avenir. Les agriculteurs et forestiers d'aujourd'hui pourraient donc devenir les énergéticiens de demain !

Cependant, la résistance au changement et la perte de compétence énergétique à l'échelon local, observées depuis les lois de nationalisation de 1946, font malheureusement parfois obstacle à la prise de décision. Il convient donc d'aider les élus qui le souhaitent à développer ces énergies renouvelables sur leur territoire.

Dans cette optique, au cours de l'examen des articles, nous défendrons trois amendements ayant pour objet de favoriser le développement des réseaux de chaleur et de doter l'élu local d'un nouvel outil d'urbanisme et d'aménagement du territoire propre à lui permettre de recourir, chaque fois que c'est possible, aux énergies propres.

Naturellement, lorsque ces réseaux de chaleur sont alimentés par des énergies renouvelables, qu'il s'agisse du bois, de la biomasse, de déchets ou de la géothermie, leur « bilan carbone » est encore meilleur. Il est à noter, par exemple, que la combustion du bois dégage 90 % de gaz carbonique de moins que l'utilisation du pétrole ou du gaz.

Mes chers collègues, saisissons l'occasion qui nous est offerte de donner aux élus locaux les moyens nécessaires pour devenir les relais indispensables pour construire notre politique énergétique. Faisons des maires les nouveaux « hussards verts » de la République !

Notre avenir social, géopolitique et environnemental en dépend.

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