Monsieur le ministre, vous nous présentez aujourd’hui les conclusions du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale qui ont été adoptées en conseil des ministres et dont les grandes lignes ont déjà été exposées mardi dernier, devant des cadres militaires et policiers, par le Président de la République.
Ce travail, qui définit la doctrine militaire de notre pays pour les quinze ans à venir, était indispensable, car la situation internationale a été considérablement bouleversée depuis 1994, année de parution du dernier Livre blanc.
Les problèmes géostratégiques ne se posent donc plus dans les mêmes termes. La chute du mur de Berlin, la disparition du pacte de Varsovie, les attentats terroristes du 11 septembre 2001, l’organisation Al-Qaïda sont passés par là. Il faut incontestablement adapter nos armées à la situation nouvelle. Pour ce faire, il faut analyser, définir les menaces et les conflits auxquels pourraient être confrontées nos armées, et, par conséquent, établir des priorités.
Pour autant, les analyses et les conclusions qui découlent de ce travail sont-elles toutes pertinentes ? La nouvelle doctrine de défense que vous nous exposez est-elle cohérente ? Nous ne le croyons pas.
Elle souffre d’abord d’une grande ambiguïté. En effet, les conclusions du Livre blanc, qui s’appuient pourtant sur un remarquable travail d’analyse et de prospective, donnent la désagréable impression de confirmer, pour les justifier, les exigences en matière d’économies qu’impose la révision générale des politiques publiques, la RGPP.
Vous expliquez les restructurations et les réductions drastiques d’effectifs de nos armées par les nouvelles données stratégiques qui fonderaient une nouvelle doctrine de sécurité et de défense. Or tout le monde sait que la logique strictement comptable de la RGPP a tenu une place primordiale dans cette réflexion.
L’un des objectifs visés au travers du Livre blanc a ainsi été de tenter de mettre en cohérence les missions et les moyens de nos forces, de définir un format d’armées et un contrat opérationnel en ayant toujours à l’esprit la contrainte budgétaire. Ce n’était pas là le rôle d’un travail d’élaboration conceptuelle.
Mardi dernier, le Président de la République a donc tenté de convaincre des cadres militaires et policiers que le moins, c’est-à-dire les économies, étaient nécessaires pour disposer d’un instrument militaire plus efficace à moindre coût et déployer de nouvelles ambitions.
Dans le même temps, il faisait le constat que notre pays n’avait plus les moyens, techniques, logistiques et politiques, d’assumer une vocation mondiale.
À ce constat réaliste, mais fataliste, les réponses que vous apportez sont-elles les bonnes ? Elles sont en tout cas paradoxales.
Aux nouvelles menaces identifiées, comme la prolifération nucléaire, la dissémination des armes et des conflits, les cyberattaques, le terrorisme, les pandémies, les crises sanitaires ou les catastrophes climatiques, vous répondez par une réduction drastique des effectifs et des moyens.
En effet, 54 000 emplois civils et militaires seront supprimés en six ans, plus d’une trentaine d’implantations devraient disparaître, nos grands programmes d’armements seront retardés, comme ceux des frégates multimissions, des avions Rafale, des missiles Scalp.
La décision de reporter à 2012, pour des considérations strictement budgétaires, la construction pourtant nécessaire d’un second porte-avions sera également lourde de conséquences sur nos capacités et aura une incidence directe sur le rang de la France en tant que puissance militaire de premier plan.
J’observe, d’ailleurs, que les Britanniques ne s’y sont pas trompés, car, lassés de nos tergiversations sur une construction en coopération, ils ont finalement décidé de lancer seuls deux bâtiments de ce type.