Au total, ce sont ces suppressions de garnisons, d’emplois, et ces étalements dans le temps de nos programmes d’équipement qui vont, bien plus que les analyses du Livre blanc, définir le format et le contrat opérationnel de nos armées.
Ces économies, en particulier celles qui sont liées à la réduction des effectifs, nous sont présentées comme étant la condition nécessaire pour financer la modernisation des équipements et permettre de réaliser les ambitions militaires qui correspondent à notre nouvelle stratégie. Nous contestons que les économies réalisées sur le fonctionnement et le soutien permettent réellement de tenir cet engagement.
En effet, la plupart des suppressions de postes aboutiront à des externalisations qui concerneront essentiellement les missions de soutien. Je pense par exemple non seulement à l’administration et à l’habillement, mais aussi à l’entretien des véhicules blindés, à la fabrication des armements ou aux infrastructures.
Dans ces conditions, prétendre que les externalisations de services coûteraient moins cher à l’État est une contrevérité. L’expérience des Britanniques donne, à cet égard, l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire !
Les économies attendues de la restructuration de nos armées résulteront notamment d’une densification des implantations et des unités. De cette restructuration découle le concept de « base de défense », qui va fondamentalement façonner la future carte militaire et qui consistera à mutualiser les fonctions de soutien dans une logique interarmées.
Tout cela, à nos yeux, se fait sans prise en compte de la synergie entre les unités, sans véritable réflexion sur la spécificité de leurs missions et dans une concertation à géométrie variable, suivant la sensibilité politique des élus.
C’est ainsi que le ministre de la défense a annoncé, lundi, la création de onze « bases de défense », plaçant devant le fait accompli les populations des sites concernés et leurs élus, sans grands égards pour les lourdes conséquences économiques et sociales d’une telle décision.
Pour illustrer le sentiment d’inquiétude qui se fait jour dans de nombreuses régions, je prendrai l’exemple du Nord. Mercredi, à Cambrai – je salue au passage mon collègue Jacques Legendre –, 1 500 personnes ont formé une chaîne humaine pour marquer l’opposition des élus et de la population à la fermeture de la base aérienne 103, ainsi que d’autres implantations dans le Douaisis et à Arras.
Les personnels civils ont également manifesté dans toute la France pour exprimer l’angoisse suscitée par l’annonce officielle de la disparition d’un certain nombre de services administratifs.
Certes, le Premier ministre a annoncé cet après-midi, à l’Assemblée nationale, qu’une enveloppe de 320 millions d’euros serait allouée aux communes touchées par le plan de restructuration. Il a également insisté sur l’accompagnement social qui sera mis en place au bénéfice des personnels. Nous attendons, bien sûr, de voir ces mesures se concrétiser et nous serons vigilants sur leur application.
Faut-il vraiment s’orienter ainsi vers une réduction de certaines de nos capacités et de nos moyens pour nous adapter à la nouvelle situation géostratégique ? À l’heure où tout le monde s’accorde à reconnaître que les menaces nouvelles sont diffuses et multiformes, que la résolution des conflits conventionnels a changé de nature, est-il pertinent de se contenter de prôner comme principale mesure une réduction des effectifs et du format de nos armées ?
Dans les conflits d’aujourd’hui et la gestion des crises, l’expérience le montre, les forces terrestres sont primordiales. Elles ont besoin de capacités de projection aériennes et navales efficaces.
Or nous nous apprêtons à prendre le chemin inverse, en réduisant leur format, en prévoyant de n’assurer que trop lentement le renouvellement de matériels à bout de souffle et en reportant la décision de construire un second porte-avions. Il en résultera fatalement un recul de notre influence internationale, y compris sur le plan diplomatique, et notre crédibilité auprès de nos partenaires ne manquera pas d’être entamée. Notre rôle risque même de se limiter à celui d’auxiliaire d’autres puissances !
Les travaux de la commission sur le Livre blanc, qui ont pour vocation de proposer au Président de la République une doctrine de défense renouvelée, ont constamment souffert, ces derniers mois, d’annonces et de décisions qui sont déjà, en elles-mêmes, des modifications stratégiques fondamentales : je pense à la création d’une base navale à Abu Dhabi, au redéploiement de nos forces prépositionnées en Afrique, au discours de Brest annonçant la diminution d’un tiers de la composante nucléaire aéroportée, à l’envoi d’un bataillon supplémentaire en Afghanistan et, bien entendu, à la décision d’un retour complet dans le commandement militaire intégré de l’OTAN.
S’agissant de la dissuasion nucléaire, par exemple, les récentes déclarations du Président de la République sur l’Iran, pays qui, selon lui, serait « la première menace qui pèse sur le monde », marquent à l’évidence une rupture dans notre doctrine d’emploi de l’arme nucléaire, qui rejetait jusqu’ici le principe de la frappe en premier.