Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, certes, les crédits de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » sont à la hausse, mais je modérerai le satisfecit de votre majorité concernant cette progression.
D'abord, la seconde délibération intervenue à l'Assemblée nationale a déjà minoré ces crédits de près de 36, 5 millions d'euros. Ensuite, la sincérité de ce budget est, bien avant son adoption définitive par le Parlement, sérieusement mise en doute par l'annonce des régulations budgétaires. Ainsi, pour le Centre national d'études spatiales, le CNES, 33 millions d'euros sont gelés.
Mais surtout, c'est la structure même de cette hausse qu'il convient de prendre en compte. La majeure partie de cet effort financier est « mangé » par l'augmentation des cotisations retraite des établissements publics à caractère scientifique et technologique, par le rattrapage des engagements non respectés par l'État dans le cadre des contrats de plan 2000-2006 et par le triplement du crédit d'impôt recherche. Il s'agit donc essentiellement de mesures déjà acquises. On retient bien peu de mesures nouvelles : en matière de recherche et d'enseignement supérieur, on est bien loin de la rupture annoncée par le Président de la République.
Le crédit d'impôt recherche équivaudra à un quart du budget de l'enseignement supérieur : par conséquent, un quart du budget ne sera soumis à aucune évaluation. Le Gouvernement attache une grande importance aux notions de contrôle, d'évaluation et de coût, qu'il érige même en dogmes lorsque celles-ci s'appliquent aux services publics, mais est nettement moins regardant quand il s'agit d'aides fiscales en direction du privé. Là, le leitmotiv de la « gestion rigoureuse des finances publiques » et l'impératif selon lequel « chaque euro dépensé est un euro utile » passe par pertes et profits.
Comme MM. les rapporteurs de la commission des affaires culturelles vous y invitent eux-mêmes, madame la ministre, il ne serait pas inutile que le Gouvernement, aussi bien en ce qui concerne la recherche que la bonne gestion de l'argent public, accepte de se poser la question du montant du crédit d'impôt recherche, en particulier au regard du faible financement - c'est une situation récurrente - des équipes de recherche et des incubateurs. Les doutes sur l'efficacité de ce dispositif ne sont en effet pas l'apanage de l'opposition.
Les modifications du crédit d'impôt recherche intervenues chaque année depuis quatre ans constituent l'aveu, il est vrai, que les résultats ne sont pas à la hauteur des espoirs exorbitants que le Gouvernement place dans ce dispositif pour développer notre recherche privée. Un bilan digne de ce nom n'en est que plus nécessaire. Il devra apporter des réponses claires aux questions suivantes : quel est l'impact du crédit d'impôt recherche en termes d'emploi ? Dans quelle proportion constitue-t-il, pour certaines entreprises, une aide publique comme une autre, au même titre que les baisses de charges, s'il n'est pas du tout réinvesti dans le budget consacré à la recherche de l'entreprise ? Le crédit d'impôt recherche représente-t-il réellement une incitation à investir dans la recherche et développement pour les entreprises qui n'en font pas du tout, ou très peu ?
Le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie met en garde, pour sa part, « contre la dérive qui consiste à n'asseoir ce crédit que sur le montant absolu des dépenses. Une telle mesure bénéficie naturellement au groupe restreint de grandes entreprises - pharmaceutiques ou électroniques - qui font systématiquement de la recherche au niveau mondial. » Le conseil ajoute : « Ce soutien, souvent un effet d'aubaine, est sans proportion avec celui qui résultera pour les petites entreprises, qui ont un besoin durable de soutien à des dépenses faibles en montant, mais particulièrement risquées. »
Si les crédits de la mission représentent un effort budgétaire modéré, nuancé, ils comportent également, a contrario, un signe négatif très fort envers la communauté scientifique : pour la première fois depuis de très nombreuses années, aucune création de poste n'est prévue. Comme quoi, avec ce gouvernement, tout peut arriver, même le pire ! Et ce, alors même, madame la ministre, que vous affirmiez aux députés, voilà trois semaines : « Il va falloir recruter 3 700 chercheurs et enseignants-chercheurs par an d'ici à 2012, alors que 4 000 allocataires de recherche seulement entrent en doctorat. Le défi est donc plutôt d'ordre démographique. »
À quand une gestion prévisionnelle et pluriannuelle de l'emploi scientifique ? Elle s'avère incontournable, non seulement du fait de la pyramide des âges, mais aussi parce que c'est, en grande partie, le manque de perspective des carrières scientifiques qui restreint notre vivier potentiel de jeunes chercheurs, et les à-coups en matière de recrutement sont néfastes pour notre système de recherche.
De même, vous avez assuré aux présidents d'université que vous leur donneriez les moyens de leur autonomie. Mais vous ne prévoyez aucune création de poste administratif ou technique.
Les universités n'ayant pas les moyens humains d'assurer correctement leurs compétences de gestion, comment pourraient-elles absorber des moyens supplémentaires sans un rattrapage préalable ?
Le budget que vous consacrez au renforcement de leur encadrement, soit 6, 2 millions d'euros, est notoirement insuffisant.
Dans la plupart des pays développés comparables à la France, le rapport entre personnels académiques et personnels d'appui à la recherche et à l'administration est de 1 pour 2, alors qu'il est de 2 pour 1 en France.
Dans ces conditions, comment les universités seront-elles en mesure de se doter des capacités d'un réel contrôle de gestion, à la fois sur le plan budgétaire et en matière de ressources humaines ?
En ce qui concerne la mobilisation contre la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, précisément, vous payez, sur la forme, le prix du manque de dialogue et de concertation, de l'élaboration d'une loi dans la précipitation et de son examen complètement verrouillé au Parlement, au pas de charge, en session extraordinaire, en plein été.
S'il est vrai que la mobilisation des étudiants n'est pas exempte de toute considération électorale à l'approche du renouvellement de leurs représentants au centre national et aux centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires, ainsi qu'au sein des conseils d'administration universitaires, il n'en demeure pas moins que certaines de leurs inquiétudes sont légitimes quant au fond.
Je pense au risque de double marginalisation des petites universités, si elles restent à l'écart de la constitution des pôles de recherche et d'enseignement supérieur et s'il n'y a pas de rattrapage des inégalités entre établissements avant l'absorption de toute compétence nouvelle.
D'ailleurs, tout en étant favorables à l'autonomie, nombre de présidents d'université réfléchissent déjà à la manière de corriger les aspects les plus négatifs de votre loi, que nous avions pointés du doigt : réhabilitation du rôle du Conseil scientifique, mise en place de commissions de recrutement composées d'élus et de membres extérieurs nommés, limitation des contractuels...
Pour notre part, nous serons vigilants quant à l'application de la loi et au bilan qui doit en être établi à l'issue de sa première année de mise en oeuvre. Et puisque ce gouvernement se fait le chantre de l'évaluation et du contrôle des politiques publiques, j'en déduis que nous aurons très rapidement à examiner, dans un débat serein et sans précipitation, les ajustements éventuels nécessaires.
À l'incohérence de votre politique en matière de gestion des ressources humaines s'ajoute l'incohérence entre, d'une part, les thèmes prioritaires déterminés par le Président de la République dans la lettre de mission qu'il vous a adressée cet été - comme l'énergie et le développement durable - et, d'autre part, la réalité de votre politique budgétaire.
L'analyse des programmes destinés à la recherche montre que ce sont précisément les secteurs dont les activités répondent à des missions de service public qui accusent une baisse de crédits en euros constants. Il en est ainsi pour le secteur spatial, l'environnement, l'énergie, les transports, l'équipement, l'habitat, la recherche militaire et civile.
Le Président de la République vous a fixé d'ambitieux objectifs pour le rayonnement international de la France dans vos secteurs de compétence. Malheureusement, votre politique budgétaire ne nous permet même pas de conserver le rang déjà acquis dans des secteurs clés. C'est le cas de la recherche spatiale.
Ainsi, la dette du Centre national d'études spatiales, le CNES, à l'égard de l'Agence spatiale européenne va encore augmenter en 2008, rendant complètement illusoire l'objectif de la ramener à zéro en 2010.
Nous sommes en perte de vitesse, et c'est bien notre rôle moteur dans l'Europe spatiale qui est remis en cause, au profit de l'Allemagne.
Certes, s'agissant des domaines liés au développement durable, comme l'a souligné le rapporteur spécial Christian Gaudin, cette loi de finances a été élaborée avant les conclusions du Grenelle de l'environnement et les annonces présidentielles qui vont en découler.
Mais vous auriez pu effectuer des ajustements par voie d'amendements. Au lieu de cela, la seconde délibération demandée à l'Assemblée nationale est venue minorer les crédits et, au premier rang, ceux du programme « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », qui joue pourtant un rôle central au regard des enjeux de la politique nationale de recherche et des domaines affichés comme prioritaires.
Plus globalement, dans votre pilotage de la recherche, c'est la concurrence entre les différents modes de collaboration et entre structures qui est prônée. Ainsi en est-il entre pôles de recherche et d'enseignement supérieur, ou PRES, d'une part, et réseaux thématiques de recherche avancée, d'autre part.
Les grands organismes de recherche ont boudé les premiers au profit des seconds, sous l'impulsion de leur direction de tutelle, aboutissant à un partage entre ces deux types de structures, sans communication ou interaction entre les deux démarches.
Le premier bilan de mise en oeuvre des PRES, qui vous a été remis en septembre dernier, a bien souligné la nécessité d'un travail commun entre la direction générale de l'enseignement supérieur et la direction générale de la recherche industrielle.
Notre système souffre, en effet, d'un déficit de coordination d'une architecture générale complexe, du cloisonnement entre structures, mais aussi de la faiblesse de la mobilité dans les déroulements de carrière des chercheurs, tant entre recherche publique et enseignement supérieur qu'entre recherche publique et milieu industriel. Le manque de reconnaissance du doctorat, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé, participe à cet état de fait. Aussi, pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, quelles sont les avancées à attendre dans ce domaine ?
Nous pouvons considérer que vous gérez bien votre budget, mais le retard pris précédemment par votre majorité mériterait un effort plus grand de rattrapage. Donc, en toute logique, le groupe socialiste désapprouve les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».