Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, annoncé en forte progression, le budget pour 2008 de la mission « Recherche et enseignement supérieur » est qualifié de « vide », voire considéré comme « l'un des pires depuis un demi-siècle » par les organisations représentatives de chercheurs et enseignants-chercheurs.
Sur les 1, 8 milliard d'euros supplémentaires, 391 millions d'euros seront absorbés par l'inflation, 330 millions d'euros seront affectés aux rénovations de bâtiments universitaires, dont les trois quarts serviront à rattraper le retard pris sur divers chantiers et 470 millions d'euros seront dévolus au paiement des arriérés de salaires et de retraites de l'année 2007.
Dans les faits, madame la ministre, c'est le collectif budgétaire que l'on vous a refusé l'été dernier. Mais la priorité du Gouvernement était ailleurs, comme en témoignent les 15 milliards d'euros consacrés au paquet fiscal. Les idéologiques coûtent cher !
Autant dire que les étudiants, les personnels, les universités et les organismes de recherche publique ne bénéficieront pas de l'augmentation affichée des crédits de cette mission.
Tandis que la recherche publique et l'enseignement supérieur devraient voir leurs moyens, au mieux, stagner, alors que les crédits des organismes progresseront moins que l'inflation, les dégrèvements fiscaux augmenteront dix fois plus vite que les crédits budgétaires : 450 millions d'euros supplémentaires seront consacrés aux dispositifs fiscaux destinés aux entreprises, dont 390 millions d'euros pour le seul crédit d'impôt recherche.
Si l'ensemble des acteurs de la recherche et de l'enseignement supérieur sont soumis à évaluation, il est pour le moins surprenant que le crédit d'impôt recherche, dans lequel sont investies des sommes considérables et dont le montant progresse chaque année, n'ait fait l'objet d'aucune étude d'impact objective et incontestable.
Il est grand temps, madame la ministre, qu'une évaluation sérieuse de l'impact réel du crédit d'impôt recherche soit engagée, évaluation d'ailleurs réclamée tant par la Chambre des comptes que par le Conseil supérieur de la science et de la technologie.
Cela étant, ce budget s'inscrit pleinement dans la continuité de la politique engagée ces dernières années visant à réorienter l'ensemble du système de recherche et de l'enseignement supérieur vers les besoins des entreprises.
Il est souhaitable, certes, de renforcer les liens entre ces deux mondes, mais en aucun cas en instaurant un rapport de subordination.
La recherche et l'enseignement supérieur doivent demeurer réellement autonomes et, donc, disposer de ressources propres, en ayant pour vocation première de définir ce qui, au travers des siècles, a fait de nous des humains, de produire et de transmettre de nouvelles connaissances, et non pas d'accompagner, de façon étroite, la compétitivité des entreprises.
Le rapprochement entre recherche publique et entreprises ne pourra s'effectuer pleinement, sereinement et durablement que lorsque ces dernières auront acquis une véritable culture de la recherche, c'est-à-dire lorsqu'elles seront enfin disposées, par exemple, à embaucher des docteurs ou des « post-doc » rompus aux rythmes et aux aléas de la conduite de travaux scientifiques.
Ce n'est toutefois pas cette conception qui prévaut. Une fois encore, le Gouvernement manifeste sa volonté de soutenir massivement la recherche et développement du secteur privé et l'innovation, privilégiant ainsi la rentabilité immédiate tout en sacrifiant la recherche fondamentale. Celle-ci est encore un peu plus abandonnée au profit de recherches sur projet s'inscrivant tout au plus sur une durée de trois à quatre ans.
Il apparaît pourtant plus que nécessaire et urgent d'opérer un rééquilibrage entre soutien à la recherche fondamentale et soutien à l'innovation. Les chercheurs ont beau dire et répéter que la recherche fondamentale a sa propre temporalité, ses propres dynamiques, qu'elle est faite de tâtonnements, de mises au point de concepts purement théoriques parfois invalidés, pour le Gouvernement, seuls comptent les résultats à très court terme.
Il serait pourtant avisé d'écouter les scientifiques, tel Albert Fert, en particulier l'autre jour aux Mardis de Descartes, qui, tous, nous disent qu'ils n'auraient pu mener leurs travaux à bien s'ils avaient bénéficié uniquement de financements sur projet.
Les découvertes de demain nécessitent une prise de risque incompatible avec des exigences de rentabilité à court terme. D'où l'importance de maintenir des organismes de recherche disposant de fonds propres et d'une marge de manoeuvre importante leur permettant de soutenir des axes de recherche dont la finalité n'est pas connue a priori.
De même, nous devrions entendre les propos de Mme Faust, première femme présidente de Harvard, repris dans le New York Times, qui affirmait en octobre dernier : « L'université, ce n'est pas seulement les résultats financiers du prochain trimestre, ce n'est même pas ce qu'un étudiant est devenu au moment de la remise de son diplôme. Il s'agit d'un enseignement qui modèle à vie, un enseignement qui transmet l'héritage des millénaires, un enseignement qui façonne l'avenir. »
Les orientations politiques prises depuis plusieurs années vont, à moyen terme, fragiliser durablement la recherche et l'enseignement supérieur de notre pays, d'autant que ceux-ci sont d'ores et déjà confrontés à un phénomène particulièrement préoccupant, qui ne cesse de s'accentuer : la désaffection des jeunes pour les filières et les carrières scientifiques.
En outre, on peut s'inquiéter de l'avenir de la recherche en France, alors que le nombre annuel de doctorants stagne autour de 10 000 par an. Peut-on sérieusement croire que cette tendance s'inversera si ne sont pas données de réelles perspectives aux étudiants susceptibles de se tourner vers la recherche ?
De ce point de vue, il faut souligner que ce budget se caractérise également par l'absence de créations d'emplois statutaires. Certes, les financements de l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, permettront de créer quelques emplois, mais ceux-ci seront précaires, leur durée étant liée à celle des contrats. Que deviendront alors ces chercheurs recrutés en contrat à durée déterminée et sans débouchés sur des emplois stables ?
Alors que la recherche et l'enseignement supérieur sont désormais unanimement reconnus comme étant des secteurs clés dont dépend l'avenir de notre pays, il y aurait tout lieu d'établir une programmation pluriannuelle de l'emploi scientifique. Celle-ci est d'ailleurs demandée depuis plusieurs années par le Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, le CSRT, qui rappelle qu'elle « serait indispensable tant pour lisser les remplacements des départs à la retraite que pour donner une visibilité de moyen terme à la politique scientifique et encourager les jeunes à s'engager dans cette voie ».
Mais, cette année encore, cette recommandation restera sans suite. Seules sont prévues des mesures d'accompagnement permettant aux universités de transformer des emplois de catégorie B et C en emplois de catégorie A. Il reste que l'enveloppe consacrée à ces mesures est très insuffisante, d'autant que les universités ont besoin de salariés des catégories B et C qui, à l'heure actuelle, sont loin d'être en surnombre.
Quant aux crédits destinés à revaloriser les carrières des enseignants et des enseignants-chercheurs, on ne peut que déplorer leur insuffisance : ils représentent en moyenne une augmentation de 7 euros par personnel. Celle-ci traduit-elle toute la considération que la nation porte à ses scientifiques ?
L'emploi scientifique est loin d'être la préoccupation première du Gouvernement, qui a pourtant une importante contradiction à gérer : comment atteindre les objectifs de Lisbonne et entrer pleinement dans l'économie de la connaissance quand l'investissement de l'État dans le système éducatif dans son ensemble est réduit d'année en année, quand aucun signal fort n'est donné à une jeunesse qui, de plus en plus, délaisse les mastères de recherche ?
S'il faut acter la légère revalorisation des allocations de recherche, celle-ci demeure insuffisante. La désaffection des étudiants pour les métiers de la recherche est une question majeure que l'on ne peut traiter avec des demi-mesures. Car, demain, pourra-t-on encore encourager les entreprises à développer un effort de recherche, voire à maintenir leurs activités de recherche et développement sur le territoire national, quand elles ne seront plus en mesure de trouver des personnels suffisamment qualifiés ?
Plutôt que d'engager des dépenses croissantes dans le crédit d'impôt recherche, ne serait-il pas plus pertinent de revaloriser les carrières scientifiques pour créer un véritable appel d'air ?
Madame la ministre, votre budget s'inscrit dans la droite ligne du pacte pour la recherche, voté sous la précédente législature, qui prévoyait de changer structurellement l'appareil national de recherche et d'enseignement supérieur. Croyez-le, nous aurions préféré une véritable rupture avec la politique de vos prédécesseurs !
Il est en effet grand temps de redonner souffle aux universités et aux organismes de recherche, de redonner confiance aux jeunes qui, aujourd'hui, hésitent de plus en plus à s'investir dans des études scientifiques longues, exigeantes et, au final, souvent peu gratifiantes, si ce n'est du point de vue intellectuel.
Il est plus que jamais nécessaire d'engager des moyens considérables pour répondre à la massification et à la démocratisation de notre enseignement supérieur, notamment en recrutant de nombreux enseignants-chercheurs, ce qui permettrait prioritairement de renforcer l'encadrement pédagogique en premier cycle pour, à terme, parvenir à un taux d'encadrement identique à celui des classes préparatoires.
Ce ne sont pas les modestes 40 millions d'euros affectés à la réussite en licence qui permettront de remédier au taux d'échec important des plus jeunes étudiants.
Mais pour procéder à des recrutements pertinents, fondés sur les seules qualités scientifiques des candidats, encore faudrait-il développer le vivier des thésards. Pour répondre aux seuls besoins de l'enseignement supérieur et de la recherche, il conviendrait de doubler leur nombre pendant dix ans.
Susciter des vocations impose de donner de nouvelles perspectives aux étudiants et, de ce point de vue, le crédit d'impôt recherche pourrait également jouer un rôle, dès lors qu'il ne serait accordé qu'aux entreprises embauchant des docteurs.
Il serait urgent d'enclencher une telle dynamique, qui irriguerait notre pays en connaissance et en matière grise dont dépend l'avenir de notre pays. Tel ne sera toutefois pas le cas en 2008, la politique actuellement mise en oeuvre organisant la pénurie du futur et fragilisant encore un peu plus le service public de l'enseignement supérieur et de la recherche.
L'enseignement supérieur et la recherche se portent bien, à condition qu'on les sauve. Il est exact qu'il faut des changements de structure et des ressources nouvelles. Mais c'est se leurrer que de croire que le secteur privé y pourvoira, alors que, même aux États-Unis, les universités privées reçoivent de l'État la majeure partie de leurs subsides par le biais du système fiscal.
Le mouvement de contestation actuel des étudiants, qui traduit les réelles inquiétudes de la jeunesse sur son futur - mon ami Jean-François Voguet en parlera tout à l'heure -, comme la mobilisation croissante des chercheurs et des enseignants-chercheurs, démontrent que le débat sur l'enseignement supérieur et la recherche est loin d'être clos.
La nation ne pourra pas faire l'économie d'un débat fondamental qui conditionnera les capacités de la France à répondre aux défis du monde de demain.
Si le vote, en urgence, durant l'été, de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités a permis de limiter les échanges contradictoires, force est de constater que de nombreuses questions restent en suspens et que les réponses, élaborées sans concertation suffisante avec les différents acteurs, ne sont pas satisfaisantes.
Ce budget est la traduction de ces insuffisances. C'est pourquoi nous ne le voterons pas.