Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 28 avril 2010 à 14h30
Saisie et confiscation en matière pénale — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui vise à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale veut donner pleine valeur dissuasive à la loi pénale en privant les délinquants des produits issus des infractions qu’ils ont commises, notamment les délits de blanchiment d’argent.

La discussion générale à l’Assemblée nationale a été l’occasion de souligner la nécessité de répondre à l’incompréhension des citoyens, comme l’a précisé M. le secrétaire d’État, sur le train de vie luxueux et provocateur de certains délinquants qui n’ont pas été dépossédés d’une partie de leurs biens pourtant issus de la commission d’infractions et qui continuent de mener grand train !

Reprenant les idées du rapport de M. Warsmann de 2004, la proposition de loi facilite donc les saisies et les confiscations en élargissant le champ des biens confiscables, en mettant en place des procédures propres à la matière pénale et en créant une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.

Elle transpose par ailleurs la décision-cadre du 6 octobre 2006 concernant la transmission et l’exécution des décisions de confiscation au niveau de l’Union européenne.

Elle codifie également partiellement les deux lois du 14 novembre 1990 et du 13 mai 1996 portant sur l’exécution des décisions de confiscations prononcées par des juridictions étrangères.

Cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité en première lecture à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, notre groupe subordonnera son vote à l’adoption d’un certain nombre d’amendements, présentés notamment par M. le rapporteur. Je tiens d’ailleurs à rendre un hommage particulier à son travail, qui a consisté à renforcer, dans ce texte, les libertés publiques et l’État de droit.

Malgré quelques améliorations, cette proposition de loi laisse sans réponse certaines interrogations importantes et comporte certaines faiblesses.

Une occasion a été manquée : il aurait fallu inscrire de façon expresse le principe selon lequel les procédures de saisie et de confiscation en matière pénale s’appliquent aux personnes morales, afin d’éviter que ces procédures ne connaissent une efficacité limitée, la création de sociétés permettant d’opérer une distinction artificielle entre le patrimoine du délinquant et ses biens produits de l’infraction. Néanmoins, nous reparlerons de cette question tout à l’heure, à la faveur d’un amendement déposé par la commission des lois.

Je suis également préoccupé par les atteintes au droit de propriété, même s’il s’agit de propriétés souvent indûment acquises. Certes, ces atteintes concernent des délinquants ou des présumés délinquants, mais le droit de propriété est un droit fondamental garanti à deux niveaux.

Il est d’abord garanti au niveau constitutionnel, puisque, depuis une décision du Conseil constitutionnel du 16 janvier 1982, ce droit fait partie du bloc de constitutionnalité, et qu’il a été élevé au rang de « droit inviolable et sacré » par l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Il est également garanti au niveau conventionnel, puisque la Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt Marckx c. Belgique du 13 juin 1979, a jugé que, en reconnaissant à chacun le droit au respect de ses biens, l’article 1er du protocole n°1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantissait en substance le droit de propriété.

Or, dans ce texte, plusieurs dispositions paraissent contestables au regard de ce droit fondamental.

En effet, la proposition de loi repose sur un présupposé, à savoir le recouvrement intact, en nature ou en valeur, de ses biens par le propriétaire si la procédure se solde par un non-lieu, une relaxe ou un acquittement.

L’expérience démontre malheureusement l’incapacité inquiétante de l’autorité judiciaire à conserver les biens en bon état. En outre, la possibilité offerte de vendre un bien avant les décisions définitives risque de priver injustement le propriétaire ou le détenteur du bien qui aura fait l’objet d’une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement.

Le texte porte également atteinte à la présomption d’innocence. L’appel des décisions de saisies ou de confiscations n’est effet pas suspensif, sauf dans deux cas marginaux. Par ailleurs, en cas de saisie sans objet, aucune indemnisation n’est prévue.

La difficulté centrale réside donc bien dans le fait que la provenance délictuelle ou criminelle des biens n’est confirmée qu’à l’issue de la procédure. Ce n’est en effet qu’à ce stade que l’on peut savoir si les biens en question sont issus ou non d’une infraction ou d’un crime. Par conséquent, la restitution, la remise en état, les dédommagements, pourront rencontrer un certain nombre de difficultés ou de limites.

Le plus grave me paraît être l’atteinte à la garantie judiciaire. En ce qui concerne le droit de propriété, elle repose sur l’intervention d’un juge indépendant et impartial, autrement dit d’un magistrat du siège. C’est lui qui, traditionnellement, protège non seulement des arrestations arbitraires et des atteintes à la liberté individuelle, mais aussi des atteintes au droit de propriété.

On peut donc s’étonner que la proposition de loi prévoie que le procureur de la République, qui dépend hiérarchiquement du pouvoir exécutif et n’est donc pas indépendant, puisse ordonner des saisies et des perquisitions en matière pénale. Certes, il ne s’agit que de mesures conservatoires, mais il semble impossible, notamment au vu du récent arrêt Medvedyev c. France de la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’une personne soit privée de l’usage de ses biens par quelqu’un qui ne possède pas la qualité de magistrat, n’en déplaise à Mme la ministre d’État ! Sur ce point, notre excellent rapporteur a également trouvé des solutions qui seront examinées tout à l’heure.

C’est donc sous réserve de l’adoption d’un certain nombre d’amendements, qui seront soutenus, je l’espère, par le Gouvernement, que notre groupe votera pour ce texte. D’ici là, nous réservons notre décision.

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