Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le 20 octobre 2005, l'UNESCO a inscrit dans le droit international la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, en adoptant la convention que la France et ses partenaires francophones appelaient de leurs voeux dès 2002.
Ce texte constitue une avancée majeure dans la mesure où il garantit le droit souverain des États de décider de leurs politiques culturelles. Il consacre la valeur spécifique des biens et des services culturels et affirme l'importance de la solidarité culturelle internationale.
Il y avait urgence. Je voudrais rappeler ces quelques chiffres : 85 % des places de cinéma vendues dans le monde concernent des films produits à Hollywood ; 50 % des fictions diffusées à la télévision en Europe sont d'origine américaine, cette proportion atteignant même 67 % en Italie ; neuf des dix écrivains les plus traduits dans le monde sont des écrivains de langue anglaise ; 90 % des langues parlées aujourd'hui risquent de disparaître à la fin de ce siècle.
Pour la première fois, le droit international reconnaît donc que les États ont le droit de conserver, d'adopter et de mettre en oeuvre les politiques et les mesures qu'ils jugent appropriées pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles sur leur territoire. En cela, la convention garantit un droit fondamental aux yeux de la France, celui de permettre à tout État de préserver et de promouvoir sa culture et son patrimoine.
La convention confirme par ailleurs le rôle central des artistes et des créateurs ; elle reconnaît que les biens et services culturels sont porteurs de valeurs et de sens, donc de l'identité même des hommes et des sociétés. Ils ne sauraient de ce fait être soumis aux seules lois du marché.
La convention institue en droit international un régime particulier pour les biens et services culturels, complémentaire du droit de l'Organisation mondiale du commerce, sans subordination d'un corpus juridique à l'autre. En cela, elle affirme un principe défendu depuis longtemps par la France et par la francophonie : la volonté, à l'époque de la mondialisation où tout s'échange et où tout peut devenir objet de commerce, de donner à la culture une place particulière.
La culture n'est pas un bien marchand comme les autres. Elle a sa singularité, elle véhicule une identité, elle est diversité. Soutien mutuel, complémentarité et non-subordination guideront ainsi les relations de la convention avec les autres instruments juridiques internationaux.
Cette convention encouragera les parties à prendre en considération l'objectif de diversité culturelle lors des négociations de leurs obligations commerciales ainsi que pour l'application et l'interprétation des accords auxquels elles sont liées.
L'article 21 prévoit en outre que « les parties s'engagent à promouvoir les objectifs et principes de la présente convention dans d'autres enceintes internationales. » Il conviendra cependant de rester vigilant. En effet, la stratégie de certains États qui n'ont pas adopté la convention vise à multiplier la conclusion d'accords bilatéraux de libéralisation des échanges de biens et de services culturels avec le plus grand nombre d'États, qu'ils soient ou non parties à la convention.
Enfin, celle-ci consacre pour la première fois la dimension culturelle du développement et prévoit de renforcer la coopération internationale dans ce domaine. Elle servira notamment à soutenir la professionnalisation des métiers de la culture dans les pays en développement, à permettre l'émergence d'industries culturelles viables sur leur territoire et à favoriser la mobilité des artistes et des oeuvres.
La France est très attachée à ce volet « solidarité » de la convention, qui lui permettra de conforter les actions déjà menées en matière de coopération culturelle et de continuer à mettre en oeuvre des partenariats avec les pays du Sud. Nous investissons en effet déjà dans des programmes comme « Afrique en créations » - 5, 9 millions d'euros sur trois ans -, le Fonds Sud cinéma - doté de 2, 2 millions d'euros par an -, ou encore pour l'appui au désenclavement numérique en Afrique subsaharienne - programme ADEN - et pour l'accueil et la formation d'artistes étrangers en France. Depuis 2004, l'Organisation internationale de la francophonie a également inscrit la promotion de la diversité culturelle au titre de ses programmes de coopération.
S'il fallait résumer l'esprit de la convention, je citerais volontiers Léopold Sédar Senghor, dont nous fêtons cette année le centième anniversaire de la naissance et qui proposait de « s'enrichir de nos différences pour converger vers l'universel ».
L'universel, dans la vision du poète, ne se confond pas ici avec l'uniformisation, ne se substitue pas aux cultures ou aux héritages propres à chaque peuple. Au contraire, il les prolonge et les dépasse. Car, écrivait encore Senghor, « ce qui nous unit, c'est l'esprit de la civilisation, des civilisations, par quoi se définit la culture. C'est l'esprit, qui est raison et imagination, liberté créatrice. »
La convention internationale qui vous est soumise aujourd'hui est la traduction en actes, sur le plan culturel, de cette éthique de la différence. Elle représente un pari humaniste pour que cette différence soit maintenue et valorisée, pour l'enrichissement de tous.
Cette convention est ainsi porteuse de valeurs et de principes défendus de longue date par la France et par ses partenaires de la francophonie. Elle reconnaît l'égalité des cultures, la diversité des identités culturelles et la liberté d'expression des artistes, des créateurs et des peuples.
Le Président de la République a inauguré le 20 juin dernier le musée du quai Branly, entièrement consacré aux arts d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et d'Amérique. Pour le Chef de l'État, « en montrant qu'il existe d'autres rapports au monde, le musée du quai Branly célèbre la luxuriante, fascinante et magnifique variété des oeuvres de l'homme. Il proclame qu'aucun peuple, aucune nation, aucune civilisation n'épuise ni ne résume le génie humain (...). L'ouverture de ce musée réalise en effet une belle ambition : permettre la pluralité des regards et reconnaître la place qu'occupent des civilisations parfois négligées, oubliées voire méprisées. »
C'est par référence à ces valeurs que le Président de la République a entendu conférer une solennité particulière au processus de ratification de cette convention en demandant au Gouvernement de la soumettre au Parlement. L'Assemblée nationale a adopté le projet de loi de ratification à l'unanimité le 8 juin dernier. Tout me laisse à penser qu'il en sera de même au Sénat.
La ratification par la France de ce texte par la voie parlementaire sera un signal fort vis-à-vis de nos partenaires qui l'ont adopté en octobre dernier. Trente ratifications sont nécessaires pour que la convention entre en vigueur. À ce jour, deux États - le Canada et l'île Maurice - ont déposé leur instrument de ratification auprès de l'UNESCO, et quatre - le Burkina Faso, Djibouti, la Croatie et la Roumanie - sont sur le point de le faire. Tous ces États sont membres de l'Organisation internationale de la francophonie. Les États et les gouvernements francophones qui ont porté avec détermination cette convention en octobre dernier se sont engagés lors de la conférence ministérielle de Tananarive, à l'automne 2005, à devenir parties au texte avant le sommet de Bucarest des 28 et 29 septembre prochains.
À cet égard, qu'il me soit permis de rappeler avec force, dans cette enceinte, la contribution majeure de la francophonie et de son secrétaire général, le président Diouf, à notre combat pour la promotion de la diversité culturelle dans le monde.
Mais aussi sur le plan communautaire, l'Union européenne et ses États membres ont su présenter un front uni tout au long de la négociation et ils mènent la ratification de cette convention en parallèle.
En la ratifiant dans un délai bref, la France démontrera qu'elle est fidèle à ses engagements. Elle donnera toutes ses chances à la nouvelle convention d'entrer en vigueur et de s'appliquer. Elle prolongera sur le plan normatif l'action qu'elle mène à travers sa coopération culturelle internationale, afin de préserver le droit de chacun d'être lui-même.
Telles sont, monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions de la convention qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.