Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à me réjouir à la fois que le Gouvernement ait fait le choix, qui ne s'imposait pas juridiquement, d'une ratification de cette convention par la voie parlementaire et de la saisine pour avis de notre commission sur ce texte, ce qui est exceptionnel s'agissant d'une convention.
Cette saisine se justifie naturellement par l'importance de ce texte et son impact dans tous les domaines du champ de la culture.
Je commencerai par répondre à deux questions, afin de mettre en exergue la réussite que représente cette convention, qui est aussi, madame le ministre, un succès pour la diplomatie française et, plus largement, pour celle des pays francophones.
En premier lieu, pourquoi faut-il protéger et promouvoir la diversité culturelle ? En second lieu, quelles avancées représente la convention dans le droit juridique international ?
Les enjeux sont à la fois culturels et économiques, les deux étant liés. En effet, la mondialisation de l'économie et les progrès des technologies de l'information et de la communication facilitent la circulation des biens et services culturels, mais les mécanismes en vigueur ne jouent pas nécessairement en faveur de relations culturelles équilibrées. Avec la concentration des entreprises et la production de biens et services uniformisés, nous sommes confrontés à un risque à la fois de domination et d'appauvrissement culturels. Nous savons que, compte tenu de la spécificité des biens et services culturels, c'est l'avenir du pluralisme culturel, y compris linguistique, qui est en jeu.
Le défi est donc politique ; il est aussi économique. La part des industries créatives et culturelles dans le produit intérieur brut mondial et dans les échanges mondiaux ne cesse de croître et leur impact est donc considérable sur les économies.
Le seul secteur audiovisuel représente plus d'un million d'emplois pour l'Union européenne, pour un chiffre d'affaires de 88 milliards d'euros en 2003, dont 81 % pour la télévision et 19 % pour le cinéma.
Cette réalité explique sans doute le fort engagement des Américains en vue d'une libéralisation de ces échanges et, parallèlement, leur faible enthousiasme - c'est un euphémisme ! - à l'occasion des négociations.
La convention de l'UNESCO représente des avancées incontestables puisque, pour la première fois, la culture se trouve intégrée en tant que telle dans le droit international.
Mme le ministre et Mme le rapporteur de la commission des affaires étrangères l'ont dit avant moi, la convention reconnaît la double nature, économique et culturelle, des activités, biens et services culturels.
La convention concerne la diversité des « expressions culturelles » et autorise les parties à prendre des mesures appropriées destinées à les promouvoir ou à les protéger lorsqu'elles sont soumises à un risque d'extinction ou à une menace grave. Ces mesures peuvent concerner, par exemple, des aides financières publiques, l'encouragement et le soutien d'institutions ou d'artistes, ainsi que la promotion de « la diversité des médias ».
Sont visées à la fois la création, la production, la diffusion et la distribution des expressions culturelles, mais aussi la faculté pour les individus et les groupes sociaux d'avoir accès aux diverses expressions culturelles provenant de leur territoire ainsi que des autres pays du monde.
Elle incite également les parties à reconnaître l'importante contribution des artistes et de tous ceux qui sont impliqués dans le processus créateur, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.
Le texte encourage les États à mettre en place des programmes d'éducation, de formations et d'échanges dans le domaine des industries culturelles.
Je m'étonne cependant que les mesures relatives à la langue ne figurent dans le texte que de façon incidente, alors qu'il s'agit là d'un volet essentiel du concept de diversité culturelle. Mais il convient de replacer ce texte dans le cadre plus général du corpus juridique existant, qu'il vient ainsi compléter. Je pense, en particulier, à la convention sur la protection du patrimoine culturel immatériel, dont nous allons débattre dans quelques instants et qui concerne aussi les langues, en tant que facteurs indispensables à la transmission de ce patrimoine.
Je crois, et j'espère, que la convention que nous examinons aujourd'hui renforcera la prise de conscience et la motivation des États, pour à la fois défendre l'usage de leur langue et encourager la diversité linguistique.
Enfin, je me réjouis que cette convention comporte un important volet en faveur de la coopération internationale. À ce titre, par exemple, la conclusion d'accords de coproduction et de codistribution est encouragée.
Je n'irais toutefois pas jusqu'à dire que ce texte reprend complètement les souhaits émis par notre pays puisque, comme tout compromis, il comporte aussi des limites.
On peut ainsi regretter, comme il a été dit précédemment, que soit fixé un statut juridique en réalité peu contraignant : en premier lieu, en raison de la délicate articulation entre cette convention et les autres instruments juridiques internationaux - le texte consacre le principe de non-subordination de la convention aux autres traités, mais sa rédaction sibylline n'est pas sans ambiguïté - ; en second lieu, à cause de la faiblesse du mécanisme de règlement des différends, qui n'est assorti d'aucune clause contraignante ni de sanctions.
Je crois néanmoins que nous ne devons pas sous-estimer l'intérêt d'un tel mécanisme, dont le caractère incitatif n'en sera pas moins réel.
La convention vient d'ailleurs d'ores et déjà conforter les politiques culturelles françaises et européennes. Elle constitue une référence incontournable et l'on peut déjà mesurer son impact concret, que ce soit dans le nouveau programme européen « Culture 2007-2013 », qui inclut désormais des industries culturelles non audiovisuelles, dans la nouvelle proposition de directive Télévision sans frontières ou dans le secteur du cinéma.
On peut penser que le processus d'adoption de la convention a pesé dans la récente décision de la Commission européenne d'approuver, sous conditions, le dispositif français de soutien à la production et à la diffusion cinématographique.
Nos politiques culturelles se voient ainsi confortées par la convention. Il nous faudra néanmoins, ne nous y trompons pas, faire preuve de vigilance et de volonté politique pour que cette dernière ait un impact réel, notamment dans le cadre des négociations commerciales internationales de l'OMC. Nous pouvons compter sur les États-Unis pour poursuivre leur stratégie de contournement, qui consiste à multiplier les accords bilatéraux comportant des clauses culturelles, avec des États parties à la convention.
Il est donc souhaitable à la fois d'atteindre dès que possible l'objectif des trente ratifications, condition de l'entrée en vigueur du texte, mais aussi d'aller au-delà, afin de renforcer sa portée. J'espère que cet objectif sera en passe d'être atteint pour le onzième Sommet de la Francophonie, qui se tiendra à Bucarest du 25 au 29 septembre prochain. Nous aurions là un motif de satisfaction réelle pour fêter le vingtième anniversaire des Sommets de la Francophonie.
Dans cette perspective, nous pouvons nous réjouir de la forte mobilisation d'institutions internationales telles que le Conseil de l'Europe ou l'Assemblée parlementaire de la francophonie, qui se réunira en assemblée générale à Rabat à la fin de la semaine. Il sera demandé à tous les États de la francophonie de faire diligence.
Je pense aussi à la trentaine de « coalitions européennes pour la diversité culturelle », qui rassemblent plus de 500 organisations professionnelles de la culture.
Je propose aussi, mes chers collègues, que les uns et les autres, dans le cadre des groupes interparlementaires d'amitié que nous présidons ou dont nous sommes membres, nous exposions à nos collègues étrangers les enjeux de cette convention et l'intérêt qu'il y aurait pour leur pays de procéder rapidement à sa ratification. Vous recevrez bientôt, mes chers collègues, une lettre en ce sens.
Mobilisation et vigilance sont à l'ordre du jour. Nous pouvons cependant nous réjouir aujourd'hui, dans notre vie politique qui n'est pas toujours exaltante, de voir des signes qui, eux, peuvent au contraire nous rassembler et qui représentent la concrétisation d'une grande idée à laquelle nous sommes tous attachés, sur l'ensemble de ces travées.
Je pense, tout d'abord, à l'Algérienne Assia Djebar, écrivain, qui vient d'entrer à l'Académie française. Ce fut, pour ceux qui ont entendu les discours de réception, un grand moment de notre histoire et dans nos rapports avec un pays qui nous est encore si proche.
Je pense également à l'inauguration du musée du quai Branly. La proclamation qui a été faite de l'égalité des oeuvres de l'art s'incarne maintenant sur les bords de la Seine.
Je pense aussi au colloque important consacré à la pensée et à l'action politique de Léopold Sédar Senghor, qui s'est tenu hier à l'Assemblée nationale, sur l'initiative de l'Assemblée parlementaire de la francophonie.
Enfin, aujourd'hui, le Sénat examine le projet de loi autorisant l'approbation de la présente convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, qui constitue la mise en oeuvre législative de la pensée guidant tous ces actes.
Mes chers collègues, la commission des affaires culturelles, à l'unanimité, vous invite à adopter, sans modification, le présent projet de loi.