Intervention de Jack Ralite

Réunion du 27 juin 2006 à 9h30
Convention relative à la diversité des expressions culturelles — Adoption d'un projet de loi

Photo de Jack RaliteJack Ralite :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, au risque de décevoir certains, j'exprime un certain malaise au moment de ce vote - que j'émettrai positivement, et que le groupe auquel j'appartiens émettra positivement. Mais on est obligé, dès le départ, d'avoir dans sa musette des engagements de vigilance, des engagements d'initiative, des engagements d'action.

Catherine Tasca a évoqué tout à l'heure diversité et exception. Je veux y revenir, non pas pour faire de l'histoire, mais pour placer le problème sur ses bases de départ.

J'ajouterai tout de suite que le travail tant de Catherine Tasca que de Jacques Legendre, pour les deux commissions dont ils sont les rapporteurs, me convient. Je vais néanmoins apporter une note un peu grave.

La diversité culturelle a succédé à l'exception culturelle, concept qui, je le rappelle, pendant plus de dix ans a rallié des forces telles qu'avec lui nous avons gagné alors tous les combats. Il y eut celui de la directive « Télévision sans frontières » ; puis, au moment du GATT, celui de la mise de côté, qui, sans être totale, fut néanmoins intéressante, de nombreux domaines de la culture. Il y eut encore celui du rejet de l'Accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI - je m'en souviens, ayant présidé au Sénat même la première conférence de presse sur la question : certes, un seul journal, Le Film français, était présent, mais les professionnels étaient nombreux. Il y eut enfin Seattle. L'exception culturelle n'était donc pas de l'eau, c'était un carburant fort efficace dès l'instant qu'on le faisait vivre.

J'ai depuis participé à toutes les actions, à tous les débats sur les questions qui nous réunissent aujourd'hui. Les États-Unis ont vécu tout cela comme un échec retentissant et ont publié à l'époque des documents explicitant leur réaction programmée, leur réaction stratégique : ils l'ont mise en route et continuent de la mener, de la façon lourdaude mais souvent efficace qu'ils ont.

Un certain jour d'octobre 1999 s'est produite cette fameuse substitution de vocabulaire : les treize représentants des pays qui alors constituaient l'Europe se sont réunis pour discuter de l'exception culturelle et se sont séparés en ayant accepté unanimement la diversité culturelle. Tout de suite, aux États-Unis, un monsieur qui, alors, croyait pouvoir parler très fort, à savoir Jean-Marie Messier, a crié bravo à la modernité de la diversité culturelle, hourra à la chute de l'archaïque exception culturelle, qu'il appelait, dans une déformation réductrice, « l'exception française ».

Dans l'exception culturelle, la prise en compte de la culture comme marchandise différente des autres était nette, précise. Elle court-circuitait dans certaines circonstances le capital. La diversité ignore le capital ; elle peut vouloir dire « tous les grains d'une même grappe de raisin » et non « tous les fruits du monde ».

Je le dis comme je le pense, je me suis tout de suite méfié : quand tant de gens se sont déclarés satisfaits, je me suis dit que, tout de même, quelques-uns devaient pactiser, pour parler comme René Char.

Je ne ferai aucune réserve négative sur la potentialité de la convention de l'UNESCO, que Catherine Tasca a si justement évoquée, en la considérant comme une véritable chance ; mais je ne peux oublier la bataille qu'il a fallu mener. Jacques Legendre a rappelé les trente coalitions et les cinq cents organisations professionnelles ; comme Catherine Tasca, il a évoqué la francophonie. Des colloques importants se sont tenus en France, dont l'un, organisé au musée du Louvre sur l'initiative de ce qui n'était pas encore la coalition française, s'est conclu par une réception importante, et intéressante, et positive, donnée par le Président de la République à l'Élysée. Je peux aussi rappeler le colloque « Diversité culturelle, mondialisation et globalisation » à La Villette les 4, 5 et 6 juin 2003, dont j'ai prononcé le discours d'ouverture.

L'action a donc été énorme, et c'est elle qui a été l'auteur de la partie « réussite » du document. Il ne faut pas non plus sous-estimer le fait que l'UNESCO a adopté la résolution à l'unanimité moins deux voix, cela a été évoqué. J'ai assisté au vote : c'est un moment qui faisait battre le coeur. Les États-Unis - qui étaient représentés par une dame - n'étaient pas fiers, Israël non plus ; les autres applaudissaient, pas frénétiquement, non, mais tout de même, comme dans un meeting populaire, ce qui est bien !

Donc, vous le constatez, je ne suis pas négativiste, pas du tout. Pour autant, il demeure que trois points minent et mineront la convention. Certes, l'article 21 précise : « Les parties s'engagent à promouvoir les objectifs et principes de la présente convention » ; mais l'article 20 pose que « rien dans la présente convention ne peut être interprété comme modifiant les droits et obligations des parties au titre d'autres traités ». Quels sont les traités visés ? En premier lieu, celui de l'OMC, où le commerce sans rivages et « l'esprit des lois » nouvelle manière concurrencent la convention et règnent sans partage, et qui, pour le moment, ne fut jamais mis en échec.

Par ailleurs, l'article 25, qui traite des différends, ne prévoit aucune clause contraignante, aucune sanction. En cas de désaccord, il faut chercher une solution ; si l'échec survient, on se débrouillera pour trouver un tiers qui organisera la conciliation ; mais, s'il la trouve, les parties pourront la récuser. Il me semble que, là, quelque chose ne va pas ! On a l'impression de s'entendre dire : vous avez le droit à la culture, mais moi j'ai le droit au commerce, et mon droit est fort, tandis que le vôtre est faible.

Enfin, l'OMC, c'est l'état-major impitoyable de la « sensure », alors qu'à l'UNESCO c'est le sens !

Je sais bien qu'il est difficile de rappeler tout cela le jour même où l'on va voter, et où je vais voter. Mais il faut le dire, parce que cela implique des engagements - et je souscris totalement aux propositions d'Yves Dauge - qui sont sans commune mesure avec hier. D'ailleurs, c'est de plus en plus net : les lois sont votées, les décrets sont publiés, mais, déjà à l'échelon national, rien ne s'applique ; qu'attendre, dès lors, de l'échelon international ! Le travail qui reste à fournir est énorme ! Certes, des embryons de lois internationales ont vu le jour, à l'UNESCO même ; il n'est que de citer des noms comme Florence, en 1950, ou Nairobi, en 1976, pour se rappeler que, déjà, il était prévu, sur l'initiative des États-Unis, qu'un État qui était en difficulté pouvait prendre des mesures particulières. Mais quel fut le résultat ?

La convention est donc un tremplin. Mais, autant la culture est un tremplin inusable, autant celui-ci peut s'user : on a donc besoin, si je puis dire, de femmes de ménage et d'hommes de ménage ; encore faut-il balayer là où c'est nécessaire !

Ce n'est pas étonnant, quand l'un des objectifs de la convention pose une double nature des services culturels ! Moi, je ne peux pas accepter cela, et je ne l'accepterai jamais.

La culture, c'est la culture. Que l'industrie s'en occupe, c'est son droit ; mais quand un homme crée, il ne pense pas à ce que l'industrie fera : il crée, et cette création est humaine, privée, bien public, bien personnel, elle n'a pas de double nature. Malraux disait : « N'oubliez pas que le cinéma est aussi une industrie » ; aujourd'hui, on nous explique que le cinéma, en quelque sorte, a une double nature. Ici, la sémantique compte, et il faut avoir son dictionnaire - y compris le Dictionnaire culturel récemment publié.

Nous sommes aujourd'hui quelque peu éloignés de la culture qui n'est pas une marchandise comme les autres, comme l'avait définie Jacques Delors à la Défense, à l'occasion des discussions qui entouraient la directive « Télévision sans frontières ». Qui plus est, chacun sait bien qu'actuellement la culture n'est pas une préoccupation première. Moi qui me bats dans ce milieu-là depuis tellement longtemps, je me souviens de moments très forts ; mais je sens bien qu'en ce moment ce n'est pas une préoccupation particulière. Il n'est plus naturel de parler de culture au moment où le marché est totalement naturalisé, c'est-à-dire falsifié dans ses origines historiques. Car le marché a été inventé par les hommes pour qu'ils s'en servent, alors que c'est maintenant le marché qui se sert des hommes : c'est cela, la naturalisation. Mais la culture, elle, n'est pas naturalisée !

Comme j'aime bien, la veille d'un débat, le faire, j'ai téléphoné hier à des fonctionnaires de Bruxelles. Je les ai trouvés beaucoup plus pessimistes que d'habitude. Ils ont souligné à quel point c'était dur en ce moment, car ils ne sont écoutés nulle part : ni à la Commission, ni au conseil des ministres, ni au Parlement, qui zozote un peu sur cette question.

J'ai de l'émotion, parce que c'est grave. Je vais voter ce projet de loi, mais je mets dans ce vote tout un poids d'histoire et d'avenir, et je suis sûr que beaucoup ici le feront dans les mêmes conditions. Mais il faut le dire, car on sait bien ce qui va mal à ce sujet !

J'ai rencontré à l'occasion du débat sur le droit d'auteur de nombreux juristes, en Allemagne, à Bruxelles, mais aussi en France. J'ai discuté avec eux du projet de loi qui nous occupe aujourd'hui : ils lui dénient tout caractère juridique. Moi qui, tout de même, y croyais un peu... Ils m'ont promis d'écrire des articles sur le sujet.

Il est indéniable qu'il y a un mouvement. Mais, fondamentalement, rien n'est écrit, et tout dépendra de nos actions.

La concentration et la financiarisation augmentent dans les industries culturelles, et l'Amérique bilatéralise dans un sens contraire à celui de la convention : il n'est que de voir ce qui s'est passé en Corée ! Il a fallu que, à Cannes, soit organisée une manifestation pour aider les Coréens. Ils étaient en furie, et on les comprend !

L'Europe tergiverse comme jamais. Certes, Mme Reding insiste sur le fait que les services non linéaires ont été inclus dans le champ de la diversité culturelle. Mais il aura fallu du temps, et nous ne sommes pas pour autant certains du sort de la directive « Télévision sans frontières » ! De plus, certains textes en préparation sont prometteurs !

Yves Dauge a rappelé que la convention prévoit la création d'un fonds ; mais, dans sa définition même, sa pépie est organisée. Alors, oui, il faut que la France y mette ses deniers ! La présidente du MEDEF a annoncé que celui-ci, au cours de son université d'été - tout le monde organise son université d'été, et c'est bien ! - devrait discuter de l'universel et du diversel. J'ai regardé dans le dictionnaire d'où venait ce mot, « diversel » : c'est un mot créole. Mais elle le détourne ! Elle fait de l'universel une modernité homogénéisante et du diversel une postmodernité hétérogénéisante.

Certains débats montrent bien que tout n'est pas clos. Dans le cadre des accords de Doha, les questions ne sont pas réglées, et la rencontre de Hongkong a été le théâtre d'une offensive sur la culture et l'audiovisuel à laquelle je ne suis pas sûr que la résistance sera suffisante.

Des problèmes subsistent donc. J'ai évoqué le MEDEF, non pas du tout dans le souci de tirer sur lui, mais parce que, dans la situation présente, en France, c'est lui qui s'occupe de l'intermittence et qui, finalement, a le dernier mot jusqu'ici. C'est donc que, lorsqu'il parle, il y a des oreilles pour l'écouter. Je ne dis pas qu'il ne faut pas l'entendre, mais il ne faut pas faire le petit soldat devant lui.

Comme cela a été relevé, seuls trois États ont ratifié la convention : le Canada, l'île Maurice et le Burkina-Faso. Ce n'est pas assez, il en faudrait au moins trente.

J'ai rencontré beaucoup de monde ; avec les coalitions, c'est obligé. Eh bien, un problème revient de plus en plus dans la bouche notamment des fonctionnaires qui représentent certains États, et cela me fait de la peine. Il y a la lenteur des ratifications, c'est un véritable marais sur le plan des idées, mais je vois poindre une nouvelle source d'inquiétude dont m'ont fait part au moins cinq ou six représentants. Oui, madame la ministre déléguée, l'idée circule en ce moment que « les articles 20 et 21 ne sont peut-être pas aussi bien qu'on le dit ». Cela signifie que nous devons nous battre.

Vigilance, exigence, bataille, initiative combative doivent être notre loi et notre pratique.

En vérité, il faut faire triompher l'idée que la culture est un bien public. Alors serait marquée la différence entre les biens publics et les biens marchands.

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