Permettez-moi, pour terminer, de vous citer quelques extraits d'une intervention prononcée devant 3 500 personnes par Monique Chemillier-Gendreau, juriste internationale, lors d'une réunion des états généraux de la culture, le 12 octobre 2003 au Zénith, ayant pour thème au départ les intermittents du spectacle.
« Affirmer qu'une chose est bien public, c'est rappeler d'abord que les biens publics et les biens marchands n'ouvrent pas le même type de relations entre les humains. Sans doute l'argent est-il nécessaire dans tous les cas. Mais il ne joue pas le même rôle. Pour les biens marchands, il est un profit, souvent très supérieur aux coûts de production et il sert un intérêt individuel. Pour les biens publics, l'argent provient d'un effort de la collectivité pour produire, protéger, sauver quelque chose d'essentiel à cette collectivité. Sans cela, le libre marché attaque certains biens, par exemple la culture, dans sa vérité qui est la liberté et la diversité. Le marché est articulé à la demande solvable. Le régime de bien public est la garantie que quelque chose puisse exister même là où il n'y a pas de demande solvable. »
Voilà une démarche intéressante, madame la ministre déléguée.
Mme Chemillier-Gendreau ajoute qu'à l'intérieur de la catégorie des biens publics, il est toujours possible de réintroduire des formes de marché, limitées et encadrées. Et les mesures de partage équitable seront différentes selon la rareté du bien et son caractère renouvelable ou épuisable.
« La culture, l'éducation, le savoir sont les seuls biens qui ne diminuent pas lorsqu'on les partage. » Cette notion est fondamentale et, en l'introduisant dans le débat, Mme Chemillier-Gendreau nous invite à nous préoccuper de cette dimension.
Mais j'achève ma citation : « La culture, par essence, ne peut être ni privatisée, ni marchandisée, ni nationalisée. Toutes ces hypothèses sont des négations de la culture. L'on tente de la réduire à un échange sordide : j'ai produit, tu achètes. Mais la culture se décline sur le mode : nous nous rencontrons, nous échangeons autour de la création de quelques-uns, nous mettons en mouvement nos sensibilités, nos imaginations, nos intelligences, nos disponibilités. Car la culture n'est rien d'autre que le Nous extensible à l'infini des humains. Et c'est bien cela qui aujourd'hui se trouve en danger, et requiert notre mobilisation. »
Je suis, comme tout le monde, heureux de la création du musée des Arts premiers - on discute sur le nom, mais là n'est pas la question - comme j'ai été heureux de la création de l'Institut du monde arabe. Il y a là une filiation française qu'il faut poursuivre et développer. Mais il faut une troisième création, qui ne serait pas matérialisée par un monument en pierre, non, car ce serait en quelque sorte un monument humain. Comme l'a dit Yves Dauge, il faut organiser une fête-colloque, ou une féria si vous voulez, un peu comme l'a fait Ariane Mnouchkine pour 1789, une fête-colloque à laquelle la France - si elle peut le faire avec d'autres, tant mieux - convoquerait les coalitions et les États. Et nous aurions là un travail commun croisé sur une convention dont nous serons tout de même peu nombreux aujourd'hui à autoriser l'approbation, probablement en raison de la fin de la session.
Ce serait une initiative tout à fait importante et les défauts du texte seraient lus à la lumière de Michaux : « La pensée avant d'être une oeuvre est trajet ». Nous y sommes, et nous avons besoin, ô combien, de cantonniers intelligents.