Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, je ne reprendrai pas ici le contenu du rapport de notre excellent collègue André Rouvière. Je m'en tiendrai, dans mon intervention, à trois observations concernant le rôle du Parlement français en matière européenne.
Je précise, madame la ministre déléguée, si besoin était, que les observations que je vais faire ne vous sont pas personnellement destinées ; elles illustrent cependant ce que le Conseil d'État stigmatise régulièrement dans ses rapports sur l'administration française et l'Europe.
Première observation, pourquoi avoir tant tardé à présenter ce projet de loi ? Le protocole modifiant la convention instituant l'Office européen de police, Europol, a été adopté par le Conseil en novembre 2003. Or ce n'est qu'en décembre dernier que le projet de loi autorisant l'approbation de ce protocole a été déposé sur le bureau du Sénat. Fallait-il réellement deux années aux services pour rédiger l'exposé des motifs ?
J'ai tendance à croire que ce retard est surtout dû au désintérêt de l'administration française pour tout ce qui concerne l'Union européenne, et cela d'autant plus que j'ai relevé une curieuse coquille dans l'exposé des motifs. Il y est fait référence « au traité sur la Constitution européenne qui sera soumis à la ratification par voie référendaire au printemps 2005 ». Je doute que les services concernés aient ignoré le résultat du référendum du 29 mai dernier ! J'en déduis donc que ce projet de loi sommeillait dans les tiroirs d'un ministère depuis plusieurs mois ...
Vérification faite, le Conseil d'État a rendu son avis le 8 décembre 2005, le conseil des ministres a adopté le projet de loi le 11 janvier 2006, lequel a été déposé sur le bureau du Sénat le même jour. Étant donné que le texte doit encore être examiné par l'Assemblée nationale, il aura fallu, en définitive, au moins trois ans pour approuver une simple convention !
Au moment où la France traverse une période que l'on peut qualifier d'assez délicate au niveau européen, cette attitude n'est pas de nature à améliorer l'image de notre pays auprès de nos partenaires, vous en conviendrez, madame la ministre déléguée.
En effet, la quasi-totalité des autres États membres ont d'ores et déjà approuvé ce protocole, et notre pays est régulièrement montré du doigt à Bruxelles. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner - le rapporteur vient de le souligner à juste titre - que notre pays, troisième contributeur au budget d'Europol, avec une contribution de l'ordre de 8 millions d'euros, n'arrive qu'au sixième rang des nationalités qui composent le personnel d'Europol et, surtout, qu'aucun Français n'occupe un poste de responsabilité !
Ma deuxième observation porte sur la place réservée aux questions européennes dans notre assemblée.
La plupart des sujets évoqués en séance publique présentent une dimension européenne plus ou moins prononcée. C'est le cas des conventions européennes, des projets de loi de transposition des directives, mais aussi d'un grand nombre de projets ou de propositions de loi. Or, la plupart du temps, l'aspect européen est largement occulté dans nos débats. Il en va ainsi des textes qui ont fait l'objet, avant leur adoption, de résolutions adoptées par notre assemblée.
Ainsi le protocole sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer a fait l'objet, lors de son élaboration, d'une proposition de résolution qui a été examinée et adoptée par la commission des lois du Sénat. J'ajoute que le rapporteur de cette proposition de résolution était notre collègue Alex Türk, qui est l'ancien président de l'Autorité commune de contrôle d'Europol et qui connaît donc particulièrement bien ces questions. Or je constate qu'il n'est fait nulle part mention de ces travaux du Sénat.
Tout se passe comme si les travaux antérieurs du Sénat n'avaient pas existé. Nous avons trop souvent le sentiment d'être saisis pour la pure forme, sans qu'il soit tenu compte de nos résolutions.
L'Assemblée nationale vient de modifier son règlement afin de mieux prendre en compte cette dimension européenne. Dorénavant, les rapports faits sur un projet ou une proposition de loi portant sur les domaines couverts par l'activité de l'Union européenne comporteront en annexe des éléments d'information sur le droit européen applicable ou en cours d'élaboration, ainsi que les positions prises par l'Assemblée par voie de résolution.
Sera-t-il nécessaire de suivre l'exemple de l'Assemblée nationale et d'aller jusqu'à réviser notre règlement pour modifier nos pratiques ?
Enfin, ma troisième et dernière observation porte sur le fond et concerne la place des Parlements nationaux, et donc du Parlement français, dans le contrôle d'Europol. En effet, c'est sur cette unique question que portait la résolution adoptée par notre assemblée. À cet égard, je voudrais rappeler brièvement les différentes étapes.
Ce protocole est issu d'une initiative du Danemark. Lorsqu'il a été déposé devant le Conseil, le texte initial rendait possible la création d'une commission composée de représentants du Parlement européen et des Parlements nationaux pour « examiner les questions liées à Europol ». La création d'une telle commission avait été proposée par la première conférence interparlementaire de La Haye sur Europol, en juin 2001.
Toutefois, au cours des négociations au sein du Conseil, cette disposition a été modifiée et le contrôle par les Parlements nationaux a été supprimé. C'est la raison pour laquelle le Sénat et sa commission des lois avaient adopté une résolution « appelant le Gouvernement à s'opposer à l'adoption de ce texte tant que n'aura pas été inscrite une disposition permettant la création d'une commission, composée en particulier de parlementaires nationaux, chargée d'examiner les questions liées à Europol et de procéder à la comparution du directeur d'Europol ».
Par la voix de notre représentant permanent auprès des institutions européennes, la France a tenté, sans succès, de réintroduire cette disposition afin d'associer les Parlements nationaux au contrôle d'Europol.
Nous n'avons pas pu avoir satisfaction, mais la France a obtenu une déclaration précisant que l'adoption de ce protocole est sans préjudice des droits des Parlements nationaux et de futurs arrangements concernant le contrôle des activités d'Europol par le Parlement européen et les Parlements nationaux.
L'idée que les Parlements nationaux doivent être associés au contrôle des activités d'Europol est largement partagée.
La coopération policière porte sur des questions très sensibles qui touchent directement aux droits des individus.
C'est pourtant sur ces questions de sécurité et de justice - souvenez-vous du référendum sur la Constitution européenne - que les attentes sont les plus fortes et que l'opinion publique estime, à juste titre, que l'Europe n'en fait pas assez dans ce domaine.
Vous conviendrez, madame la ministre déléguée, qu'il est légitime, dans une démocratie, que le Parlement exerce un droit de regard sur les services de police. Au demeurant, s'agissant d'un domaine qui relève jusqu'à nouvel ordre de la coopération intergouvernementale, tout le monde s'accorde sur la nécessité d'associer les parlements nationaux au contrôle d'Europol.
Je le rappelle, la Commission européenne et le Parlement européen y sont favorables, tout comme d'ailleurs l'Assemblée nationale et les autres Parlements, britannique, néerlandais ou danois, notamment.
J'ajoute que la Constitution européenne prévoyait que le Parlement européen et les Parlements nationaux s'associent au contrôle d'Europol, et le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire lui-même, M. Sarkozy, s'était prononcé en ce sens lors d'une audition devant le Sénat.
Dans ce contexte, je dois vous avouer, madame la ministre déléguée, ma surprise et aussi mon inquiétude à l'égard des discussions qui se déroulent actuellement au niveau européen à propos de l'avenir d'Europol et à l'égard de la position défendue par le Gouvernement.
En effet, la présidence autrichienne a lancé un vaste débat sur l'avenir d'Europol. Parmi les pistes évoquées figurent notamment le remplacement de la convention institutive d'Europol par une décision du Conseil, l'élargissement de ses compétences et un accroissement de son rôle opérationnel, notamment en liaison avec les équipes communes d'enquête.
Cette réflexion a donné lieu à des conclusions sur l'avenir d'Europol, qui ont été adoptées lors du dernier Conseil « Justice et affaires intérieures » des 1er et 2 juin dernier. Or à aucun moment et dans aucun document on ne trouve une référence quelconque au contrôle démocratique d'Europol par les Parlements nationaux. Au contraire, et pis encore, les Parlements nationaux se verraient privés du droit d'autoriser ou non toute modification de la convention Europol.
Je voudrais donc savoir, madame la ministre déléguée, si le Gouvernement entend respecter ses engagements, en faisant valoir la nécessité d'un contrôle d'Europol par les Parlements nationaux.
Cette question est d'autant plus importante que les activités de l'Office européen de police vont prendre à l'avenir, comme M. le rapporteur l'a souligné, un caractère de plus en plus opérationnel.
L'association des Parlements nationaux n'est pas une question accessoire. À mes yeux, c'est une condition de la légitimité d'Europol. Il n'est pas acceptable qu'un tel organisme se trouve en dehors d'un véritable contrôle parlementaire.
D'une manière plus générale, la réhabilitation de la fonction politique et parlementaire dans notre pays passera nécessairement par un rééquilibrage institutionnel, afin que le Parlement trouve sa juste place et que les positions, propositions, suggestions et critiques, au sens le plus noble du terme, du Sénat et de l'Assemblée nationale soient entendues par le Gouvernement et soient prises en compte par les administrations.
Même si mes propos peuvent gêner un certain nombre de mes collègues, je n'aurais pas été dans mon rôle et n'aurais pas assumé mes responsabilités de parlementaire si j'avais passé sous silence les constatations que j'ai faites lors de l'examen du protocole modifiant la convention Europol.