Avec cet article, nous abordons l'un des points les plus sensibles de la branche AT-MP. Sensible, car il traite de la connaissance et de la reconnaissance effective des accidents et maladies professionnelles dans notre pays ; sensible parce qu'il interroge notre système sur sa capacité à faire respecter des lois et règlements par les entreprises en matière de déclaration des accidents et maladies professionnelles ; sensible enfin, parce que, à travers cette question, c'est bien celle de la prévention des risques professionnels et des moyens qui lui sont alloués qui est posée.
S'agissant de la connaissance, le rapport de l'IGAS ainsi que la commission Lévy-Rosenwald pointait déjà en 2003 « les lacunes énormes de la connaissance statistique et scientifique en matière de risque professionnel ».
De fait, nous ne pouvons que constater le silence de l'État sur la nécessité indispensable de mettre en oeuvre les conditions d'une réelle tutelle scientifique indépendante dans le domaine de la santé au travail.
Au regard de notre récent rapport sur l'amiante, nous pouvons tous assurer que le risque professionnel exige une véritable expertise des conditions et de l'environnement et une politique de recherche d'envergure. Pourtant, chaque rapport, chaque étude, nous rappelle la rareté des spécialistes de la santé au travail, l'insuffisance des travaux scientifiques, la pauvreté du vivier de chercheurs.
Nous fonctionnons à l'aveugle ou plutôt, devrais-je dire, nous nous laissons aveugler par l'ignorance.
J'en viens donc à la sous-déclaration. Le seul cas des cancers professionnels devrait pouvoir illustrer mon propos. Ainsi chaque année, 3 milliards à 6 milliards d'euros sont supportés par la branche maladie en lieu et place de la branche AT-MP. Nous pouvons à ce titre citer l'étude SUMER de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, qui montre que près de 70 % des personnes hospitalisées pour un cancer ont été exposées professionnellement à l'un des dix-sept cancérogènes identifiés par le centre international de recherche sur le cancer, le CIRC, et qu'aucune n'a fait l'objet d'une déclaration de maladie professionnelle.
Nous pourrions utilement évoquer les troubles musculo-squelettiques, le syndrome du canal carpien, mais aussi et surtout la dégradation continue des conditions de travail que ne manque pas de souligner cette étude en indiquant qu'entre 1994 et 2003 l'exposition des salariés à la plupart des risques et pénibilités du travail s'est significativement accrue.
Il n'est pas recevable que l'Etat laisse une fois de plus porter le poids de l'incivilité, de la fraude et de la dissimulation des employeurs sur la collectivité nationale et, en particulier, sur la santé des travailleurs de notre pays.
Cette sous-estimation du poids des facteurs professionnels dans les atteintes à la santé est d'autant plus insupportable qu'elle interdit toute politique de prévention efficace des risques professionnels.
Alors qu'au moins 2000 agents supplémentaires seraient nécessaires pour assurer les actions de prévention, il n'est proposé que trente recrutements !
Quant aux effectifs de la recherche en matière de santé au travail, seulement dix recrutements sont prévus.
Il s'agit de problèmes importants. J'ai limité mon intervention, mais, bien entendu, la gravité de ce sujet est partagée par l'ensemble des sénatrices et des sénateurs présents cet après-midi.