Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 9 février 2006 à 9h30
Retour à l'emploi — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte, comme le texte relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, ne peut être isolé du contexte politique et social dans lequel il est examiné.

L'objectif premier du Gouvernement est clairement de démanteler le code du travail par touches successives. À cet égard, le contrat première embauche constitue une illustration parfaite puisque sa création mettrait fin, sous prétexte de régler le problème de l'emploi des jeunes, au contrat à durée indéterminée et autoriserait le travail nocturne ou dominical des mineurs de quinze ans.

Dans le même temps, le Gouvernement cherche à contourner tout débat de fond sur la protection sociale, tout en mettant en pièces le système de solidarité nationale.

Ce texte est un élément central du projet gouvernemental de réforme des minima sociaux et il participe largement à la casse du droit du travail.

Il s'agit, à l'évidence, de mettre en place une allocation unique, en ne s'intéressant qu'au revenu et en laissant totalement de côté la question du statut. Arguant d'une trop grande complexité du système et de sa nécessaire simplification, le Gouvernement laisse se développer dans l'opinion publique l'assimilation des bénéficiaires de minima sociaux à des « assistés », ceux qu'on appelait les « indigents » jusqu'au début du xxe siècle.

Ce texte tend à mettre en place un système de solidarité « résiduel », a minima, sur le modèle anglo-saxon.

La prime exceptionnelle de 1 000 euros ne vise qu'à produire un effet d'annonce. Le Gouvernement en a d'ailleurs lui-même modifié le dispositif jusqu'à la dernière minute, en séance.

En fin de compte, heureusement, elle pourra être attribuée dès le premier mois, mais dans des conditions qui seront définies par décret. Les bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés en restent malheureusement exclus. En tout cas, la complexité du dispositif découragera probablement les personnes qui auraient pu en bénéficier.

Si cette prime peut servir une communication politique, elle ne servira certainement pas les intérêts des plus démunis, puisque tout est fait pour qu'ils renoncent à accomplir les démarches nécessaires à son versement.

Quant à la réforme de l'intéressement, elle est manifestement un moyen de réaliser des économies budgétaires ; elles sont d'ailleurs annoncées dans le rapport !

Le système forfaitaire sera moins intéressant que le système actuel, qui permet un cumul intégral sur une plus longue période.

Les plus grands perdants sont les bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique. Ce n'est certainement pas un hasard puisque le Gouvernement pourrait vouloir confondre ces allocataires avec les bénéficiaires du RMI. Pourtant, le RMI et l'ASS recouvrent des réalités bien différentes.

Les bénéficiaires de l'ASS sont des chômeurs ayant épuisé leurs droits à l'assurance. Ce sont souvent des travailleurs âgés, qui ont tous travaillé au moins cinq ans pour pouvoir percevoir cette allocation. S'ils bénéficiaient de l'ASS, leurs droits restaient malgré tout attachés au régime d'assurance chômage, bien plus intéressant pour eux que celui de l'assistance. La réforme actuelle aura pour effet de dégrader nettement leur situation.

Jusqu'à présent, les systèmes d'intéressement étaient différents entre le RMI, l'API et l'ASS, et cette uniformisation est un élément essentiel de la fusion qui, semble-t-il, s'annonce.

Ce même principe vaut d'ailleurs pour le système de contrôle des fraudes.

Les sanctions pénales sont alourdies et on y ajoute des sanctions administratives. Le montant des sanctions pécuniaires est complètement disproportionné au regard des revenus des allocataires. Par ailleurs, ces sanctions administratives renforcent abusivement les pouvoirs des présidents des conseils généraux, sans qu'aucun contre-pouvoir puisse s'exercer sérieusement.

Une telle inflation des sanctions, décidée dans la précipitation, ne manque pas d'inquiéter nombre de nos collègues, et cela sur diverses travées. L'atteste la multiplication des amendements, soutenus principalement par la commission, visant à encadrer les procédures afin que les citoyens soient assurés de leur conformité juridique.

Cette dérive, qui consiste pour le Gouvernement à pénaliser à tout prix la pauvreté, comme si elle était un mal biologique et non le résultat de sa propre politique économique inégalitaire, se retrouve aujourd'hui dans tous les textes.

Nous en reparlerons prochainement, lors de l'examen du projet de loi pour l'égalité des chances et de la disposition relative au contrat de responsabilité parentale.

La stigmatisation des pauvres, cette pénalisation de la pauvreté et des maux qu'elle provoque, est franchement insupportable.

Ce texte participe également à la fragilisation du marché du travail. On assiste aujourd'hui à la généralisation des emplois aidés, en lieu et place des emplois « typiques ». En témoignent les chiffres de l'emploi. Les emplois créés sont largement des emplois aidés : en 2005, 263 000 emplois aidés ont été créés, contre seulement 62 000 emplois dans le secteur marchand.

Ce texte illustre également le glissement sémantique qu'on observe actuellement sur la notion d'« emploi stable » puisqu'un CI-RMA conclu pour une durée indéterminée est dorénavant considéré comme tel. On retrouve la même pseudo-stabilité s'agissant du CNE et du CPE.

Peut-on sérieusement parler de stabilité économique, sociale et familiale pour une personne embauchée à temps partiel en CI-RMA ? Quel modèle de société le Gouvernement est-il en train de construire, madame la ministre ?

Par ailleurs, un certain nombre de dispositions situées à la fin du texte tendront à accroître la précarité sur le marché du travail. Il en est ainsi de l'abaissement de 26 à 20 heures de la durée minimale hebdomadaire de travail dans le cadre d'un contrat d'avenir, de la possibilité d'enchaîner ce type de contrat pour quelques mois seulement ou encore de la suppression du délai de latence au terme duquel un bénéficiaire de minima sociaux peut accéder à un emploi aidé.

Enfin, je dirai quelques mots des amendements introduits une fois encore à la fin du texte par le Gouvernement.

L'un a remis en cause le régime des heures supplémentaires. Un second a autorisé le Gouvernement à mettre en place par ordonnance un contrat de transition professionnelle.

Annoncé par M. de Villepin, ce contrat a vocation à se substituer à la convention de reclassement personnalisé, laquelle n'est pas encore entrée en vigueur. Ce nouveau dispositif est préoccupant puisqu'il supprime l'aspect conventionnel des procédures de licenciement économique qui s'imposait à l'entreprise. Dorénavant, il s'agit d'un contrat personnalisé entre le salarié et un organisme public. C'est un moyen de faire baisser artificiellement les chiffres du chômage.

Dans le cadre de ce contrat, le salarié aura obligation d'accepter tous les emplois qui lui seront proposés, sous peine d'être radié du système d'indemnisation du chômage.

Madame la ministre, nous vous avons soumis au cours de la discussion un certain nombre de propositions. Certaines avaient pour objet de limiter les injustices que crée le système de la prime exceptionnelle ainsi que d'éviter que le nouveau mode de calcul de l'intéressement, auquel nous nous sommes vivement opposés, ne fasse trop de perdants.

Nous avons fait d'autres propositions afin d'éviter autant que possible que ce texte n'ait pour conséquence un accroissement des sanctions contre les plus pauvres ou la précarisation accrue du marché du travail.

Nous avons également voulu orienter le débat vers les véritables enjeux du « retour à l'emploi ». J'entends par là la sécurité pour les travailleurs sur le marché du travail, la garantie de contrats de travail de qualité, stables et correctement rémunérés.

Nous avons proposé l'insertion d'un titre additionnel intitulé : « Consolidation des parcours d'insertion ». Nous avions notamment proposé que les personnes employées dans le cadre d'un contrat d'avenir ou d'un CI-RMA aient droit à la prime de précarité, dont elles ne bénéficient pas aujourd'hui. C'est l'une des aberrations de ce système, presque unanimement reconnue, mais qui n'a malheureusement pas été corrigée.

Cette proposition, comme toutes les autres, a été rejetée par le Gouvernement et sa majorité.

Par ce texte, vous avez délibérément choisi de franchir une étape supplémentaire vers le démantèlement de notre système de solidarité nationale, vous avez pris le parti de la précarité et de la pauvreté.

Nous avons bien conscience, madame la ministre, que texte après texte, nous sommes contraints aux mêmes conclusions. Malheureusement, tous ces textes sont dirigés contre les salariés, contre le code du travail, contre le droit.

Vous entérinez un peu plus encore cette « insécurité sociale » que nous ne cessons de condamner et contre laquelle nous nous battons. Nous nous opposerons donc à ce texte.

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