Il en va avec ce projet de loi comme avec d'autres : nous avons beaucoup de mal à effectuer le b.a.-ba de notre mission : réfléchir à l'éthique, aux valeurs de la République, etc. En effet, nous sommes guidés par le Gouvernement, qui est lui-même guidé par des enquêtes d'opinion multiples et variées, lesquelles sont, comme chacun le sait, habilement faites.
Il faut faire attention ! Il nous appartient de prouver à l'opinion que nous servons à quelque chose, mais aussi de nous donner la peine de réfléchir, quand on nous demande de participer un tant soit peu à l'élaboration de la loi, qui est notre bien commun.
Je relève, dans cet article, une contradiction : un pays, lorsqu'il accueille un étranger, se doit de lui enseigner un certain nombre de choses, de favoriser son intégration, ce qui vous a amené, monsieur le ministre, à prévoir un contrat d'intégration - je préférerais, quant à moi, une politique d'intégration - mais vous décidez de surcroît que l'étranger, y compris, d'ailleurs, s'il s'agit d'un jeune, doit avoir commencé cette instruction avant son arrivée sur notre territoire. Il conviendrait d'approfondir la réflexion sur ce point
Il est bon d'indiquer clairement qu'il appartient à l'État, une fois que l'étranger est en France, de faciliter son apprentissage de notre langue et de notre mode de vie. Je reviendrai sur les valeurs de la République. Ce que vous nous proposez me paraît inacceptable.
J'en viens à l'âge des étrangers concernés. En France, l'âge de la majorité est toujours fixé à dix-huit ans ; auparavant, on est encore un enfant. Je sais bien que vous avez tendance à envoyer des enfants de plus en plus jeunes en prison. Les dérogations à la majorité sont prévues dans des cas exceptionnels. Cependant, dans le présent texte, un jeune âgé de seize ans à dix-huit ans est considéré comme un adulte qui vient de son plein gré et il doit donc se conformer à un certain nombre de règles applicables aux adultes venant s'installer dans notre pays.
Nous estimons que rien ne devrait entraver la venue d'un enfant dans sa famille. Selon la convention des droits de l'enfant, les États doivent favoriser la vie en famille des enfants. Or, dans cet article, on impose une condition supplémentaire pour que les enfants de seize ans à dix-huit ans puissent venir rejoindre leur famille. Cela me semble exorbitant.
Enfin, je vais vous dire quelque chose qui, une fois encore, ne va pas vous plaire, monsieur le ministre : comment demander aux étrangers ce qu'on n'accepterait pas pour les ressortissants de notre pays ?
Le projet de loi fait obligation aux étrangers qui veulent - ou doivent - venir en France pour rejoindre leur famille de connaître les valeurs de la République. Or elles ne sont pas définies dans ce texte. Vous avez cité certaines d'entre elles, notamment la laïcité.
Comment les Français eux-mêmes définiraient-ils les valeurs de la République ? Connaissent-ils le fonctionnement de nos institutions ? Les enquêtes réalisées sur ce sujet révèlent qu'ils sont malheureusement très ignorants en ces domaines.
Si, comme le Président de la République les y incite souvent, puisqu'il faut, bien entendu, favoriser les échanges, nos concitoyens veulent s'installer dans un pays étranger pour y exercer leurs talents pendant un certain temps, que se passerait-il si on leur demandait de se conformer aux valeurs dudit pays ? Et je ne demande ce qu'ils feraient s'ils devaient se comporter comme les habitants de ce pays, car il s'agit d'un autre débat. Quelle serait leur réaction si, dans un pays confessionnel, ils devaient prêter serment sur la Bible ou le Coran ?
On se conduit de façon anormale envers des ressortissants d'États souverains. En effet, « les valeurs de la République », c'est une notion extrêmement large. Il appartient au pays d'accueil de faire en sorte que la personne présente sur son territoire se conforme aux règles de vie commune, à la loi, aux principes fondamentaux. Les lois sanctionnent ceux qui ne les respectent pas.
Il est abusif d'exiger des étrangers - qui, d'ailleurs, n'ont pas le droit de vote ! - qu'ils sachent ce qu'est la laïcité, qu'ils connaissent nos institutions et le premier couplet de la Marseillaise, que beaucoup de Français ignorent, d'ailleurs ! Cette façon de concevoir l'accueil des étrangers est aberrante.