Monsieur le ministre, je ne passerai pas en revue les différentes lignes budgétaires de la mission « Enseignement scolaire », mais je m’attacherai à quelques thèmes phares de la politique éducative que vous menez afin de mettre en exergue votre conception de l’école, sur laquelle le Parlement a, en définitive, peu d’occasion de se prononcer.
Nous avons ressenti très fortement sur le terrain que la communauté éducative a dépassé le stade de l’inquiétude et qu’elle finit par être écrasée sous le poids de ce qui lui tombe sur la tête et par un climat malsain, que votre gestion ministérielle a largement contribué à développer. À la gestion comptable de notre système scolaire, vous ajoutez la défiance et le mépris envers les enseignants, que vous attaquez dans leur identité professionnelle même.
En effet, c’est bien ce que véhiculent, même si vous vous en défendez, à la fois vos annonces intempestives et votre manière de faire. Votre méthode consiste à noyer la communauté éducative sous un flot de réformes et de déclarations tapageuses pour rendre les enseignants atones, pour segmenter la communauté éducative par des mesures sectorielles ciblées et pour essayer de saper à la base toute réaction collective organisée.
Même les rapporteurs spéciaux de la commission des finances s’y perdent et déplorent que la multiplication des annonces ministérielles puisse « nuire au bon suivi et au contrôle des crédits de la présente mission, qui constitue pourtant le premier poste de dépenses de l’État. Ces mesures, le plus souvent annoncées en cours d’année, ne font en effet généralement pas l’objet d’une présentation au sein des projets annuels de performances et leur impact budgétaire reste mal connu. »
Monsieur le ministre, vous ne pourrez vous dispenser encore longtemps d’un réel dialogue avec les représentants de la communauté éducative. Il est regrettable qu’il ait fallu une mobilisation forte, telle que celle du 20 novembre dernier, pour que vous sembliez faire marche arrière, en annonçant tout récemment être prêt à recevoir les syndicats. Il y a pourtant une méthode simple pour saisir l’état de l’opinion : savoir écouter et accepter d’entendre. C’est bien plus économique que de mobiliser 200 000 euros pour faire de la veille d’opinion, surtout en ces temps de crise, pendant lesquels le Gouvernement est très prompt à réduire la dépense publique sur des postes essentiels. Les enseignants auront peine à y voir autre chose qu’une provocation supplémentaire !
Le soutien individualisé devient l’axe central de votre politique éducative. En réalité, ce n’est qu’un paravent : il vous permet d’affirmer que vous vous mobilisez pour les élèves en difficulté et que vous leur offrez les conditions de la réussite. Mais ce qui se joue dans la classe, les situations d’apprentissage habituelles, ne sont, quant à elles, pas du tout remises en question.
Quant aux conditions de travail des élèves au quotidien, elles sont détériorées par une politique des ressources humaines strictement comptable, qui, avec le projet de loi de finances pour 2009, atteint son paroxysme. La sédentarisation ou banalisation de 3 000 emplois de maîtres E et G exerçant dans les RASED en est l’illustration frappante. C’est bien pourquoi la communauté éducative s’est mobilisée fortement contre cette mesure. Vous voulez faire croire que ces enseignants spécialisés seront plus efficaces s’ils sont chargés d’une classe. Mais comment pourront-ils faire du suivi individualisé en gérant quotidiennement une classe hétérogène d’une trentaine d’élèves ? Et comment pourront-ils également venir en appui à leurs collègues ?
Les professionnels des RASED eux-mêmes ont réalisé, grâce à une enquête de terrain, un bilan de leurs propres pratiques et fonctionnements, en vue d’optimiser le dispositif.
Au lieu d’utiliser ce travail, ce capital d’expériences, pour doter les RASED de conditions de fonctionnement réellement meilleures, vous allez casser complètement ces réseaux, car cette première tranche de suppression devrait être poursuivie en 2010 et 2011 pour aboutir, à terme, à la suppression de l’ensemble des 8 000 emplois exerçant au titre des RASED.
Si ce n’était que par souci d’économie, ce serait une erreur, mais nous sommes confrontés à la mise en application d’un parti pris idéologique fondé sur une conception restrictive de la « remédiation » scolaire, ce qui constitue à nos yeux une faute politique grave.
Déjà, dans des écoles maternelles franciliennes, qui comportent un fort taux d’enfants non francophones, les équipes enseignantes ont été informées que les élèves qui bénéficieraient des deux heures hebdomadaires d’accompagnement, ne pourraient pas parallèlement être pris en charge par les RASED. Monsieur le ministre, dans votre conception des choses, comme dans les faits, l’un remplace donc l’autre, ce qui revient à faire entrer dans le même moule difficulté scolaire et échec scolaire, à traiter pareillement deux situations différentes.
Le soutien scolaire individualisé, qui permet de revenir sur ce qui n’a pas été compris en classe, n’est pas de même nature et ne peut s’adresser aux mêmes publics. Traiter l’échec scolaire demande une prise en charge globale des élèves en grande difficulté par une équipe pluridisciplinaire, dans un cadre spécifique.
Vous créez ainsi les conditions pour laisser sur le bord du chemin les élèves qui ont décroché, parce que votre dispositif ne peut fonctionner que pour des élèves en difficultés passagères.
Pour les élèves qui sont en situation d’échec, ou de fait hors-jeu du système scolaire, nous avons besoin d’une palette de prises en charge différenciées par des personnels spécialisés pour leur permettre de se réapproprier l’école et de pouvoir entrer dans l’apprentissage. Sans cela, vos mesures renforceront le refus scolaire de ces enfants les plus éloignés du système, ceux qui ne saisissent pas le sens de l’école.
Nous considérons que c’est une faute politique grave. Tout miser sur des heures supplémentaires de soutien scolaire, c’est mettre les moyens sur les seuls élèves, certes en difficulté, mais les moins éloignés de l’apprentissage, pour essayer de faire du chiffrable le plus rapidement possible dans l’espoir de pouvoir afficher une légère baisse du taux d’élèves ne maîtrisant pas les apprentissages fondamentaux et justifier ainsi votre gestion. Et tant pis pour les autres, ce seront les victimes collatérales du quantifiable !
Ce faisant, c’est la conception même de l’école républicaine fondée sur l’éducabilité de chacun qui est remise en cause. C’est là que réside la faute politique grave.
Vous cassez également les fondements et les réseaux institutionnels de la réflexion et de la culture pédagogique, les instruments de l’innovation pédagogique, de l’adaptation des pratiques éducatives à des situations d’apprentissage de plus en plus complexes.
C’est le retour au seul face à face enseignant-enseigné, dans un souci de productivité de la classe, et l’affaiblissement du travail collectif dans le traitement de la grande difficulté scolaire. De quel dispositif, de quel soutien pourront disposer les enseignants démunis face à des situations difficiles ou à des cas complexes ? Ce qui se profile, c’est un véritable gâchis de compétence. Votre politique éducative tourne le dos à la généralisation des bonnes pratiques.
Pour ce qui concerne les rythmes scolaires, nous avions déjà la journée scolaire la plus longue du monde avec cinq heures et demie de temps pédagogique. Aucun enfant d’école primaire ne peut être attentif sur un temps journalier aussi long, même entrecoupé de pauses. Et vous l’augmentez encore en affectant les heures résultant de la suppression du samedi aux quatre jours restants pour le soutien scolaire ! Si l’objectif poursuivi avait été l’intérêt des enfants, la priorité n’aurait pas été donnée à la réorganisation de la semaine scolaire, mais à celle de la journée.
La première heure à huit heures trente, la mi-journée et le temps post-scolaire à partir de seize heures trente sont les périodes de la journée les moins propices aux activités pédagogiques. Ce sont pourtant sur ces deux dernières plages horaires qu’est majoritairement organisé le soutien scolaire. Est-ce pour le bien des enfants ?
Restons sur le premier degré.
L’école maternelle, initialement par le biais de la scolarisation précoce, fait l’objet depuis quelques mois d’une offensive généralisée de la part de la majorité gouvernementale : avec le rapport Tabarot tout d’abord, autour de l’idée de jardins d’éveil pour les deux-trois ans dans les structures existantes et les écoles maternelles, avec tarification en fonction des revenus, ce qui est considéré comme la première étape de la mise en œuvre du droit de garde opposable à partir de 2012 ; avec vos propos outrageants ensuite, monsieur le ministre, sur la pré-scolarisation et avec l’utilisation orientée du rapport de la Cour des comptes par M. Longuet.
Et n’oublions pas le rapport de nos collègues Monique Papon et Pierre Martin, qui plaide pour un nouveau service public d’accueil des jeunes enfants, dans la droite ligne du rapport Tabarot !
Tout cela, faut-il le préciser, n’est accompagné d’aucun bilan sérieux avec suivi de cohortes des classes adaptées à l’accueil des moins de trois ans : les dispositifs passerelles existants impulsés sous le gouvernement Jospin.
Tous ces éléments mis en perspective inquiètent grandement les acteurs de l’école maternelle, qui se demandent ce que leur prépare encore le Gouvernement. À quoi préparez-vous donc l’opinion publique, monsieur le ministre, à travers cette stratégie de communication tous azimuts contre la maternelle ?
J’en viens maintenant à la formation des enseignants, qui est l’un des derniers sujets passés à la moulinette de votre obsession réformatrice.
Je crois que, s’il existe un consensus sur les améliorations indispensables à la formation initiale actuelle, il porte sur la formation pratique, l’exigence accrue de professionnalisation, de mises en situation. Et que fait le Gouvernement ? Il supprime justement l’année de professionnalisation !
Les futurs enseignants ont besoin de plus de simultanéité entre le savoir d’un côté et la formation professionnelle de l’autre, d’allers-retours tout au long de leur parcours universitaire, et d’allers-retours progressifs : stages d’observation d’abord, de pratiques accompagnées ensuite, en responsabilité enfin, pour pouvoir mettre au fur et à mesure leur propre pratique en question et y apporter des réponses concrètes mobilisables en classe, au quotidien, tout en enrichissant leur pratique des apports de la recherche en éducation !
Sur ce sujet, pourtant essentiel, c’est le flou total. Dans la présentation de la charte signée avec les présidents d’université et les directeurs d’IUFM, il est fait mention de la possibilité de stages comme dans tout master. C’est totalement insuffisant. Mme Pécresse, lors de son audition devant la commission des affaires culturelles du Sénat, a évoqué l’idée d’une formation en alternance. Qu’en est-il en réalité ?
À nouveau, vous vous êtes engagé de manière tout à fait précipitée, et en dehors de toute concertation, sur un sujet capital pour l’avenir de notre pays pour aboutir à des solutions bancales, si ce n’est contre-productives. La formation des enseignants doit être conçue comme un continuum entre formation initiale et continue.
J’arrête là, car le temps me manque pour passer en revue toutes les annonces auxquelles vous vous êtes livré cette année, monsieur le ministre. Vous l’aurez compris, le groupe socialiste votera résolument contre les crédits de la mission « Enseignement scolaire », parce qu’ils portent une vision de l’école que nous refusons.