Intervention de Françoise Férat

Réunion du 3 décembre 2008 à 15h00
Loi de finances pour 2009 — État b

Photo de Françoise FératFrançoise Férat, rapporteur pour avis :

Je précise que l’amendement que je présente a été adopté à l’unanimité par les membres de la commission des affaires culturelles, ce dont je les remercie.

Je souhaite lever toute ambiguïté : cet amendement n’a pas pour objet de privilégier l’enseignement agricole aux dépens de l’éducation nationale. Il tend ni plus ni moins à donner aux établissements agricoles les moyens de fonctionner.

Pour cela, 51 millions d’euros sont nécessaires. Une telle somme peut, au premier abord, sembler bien importante. Mais nous avons tous eu, mes chers collègues, l’occasion d’entendre les enseignants, les familles et les élèves de ces établissements : les besoins y sont criants.

Ce n’est pas une simple vue de l’esprit et je me permettrai d’évoquer trois des six besoins auxquels permettra de répondre l’adoption de cet amendement.

Premièrement, l’enseignement public agricole supporte l’essentiel des suppressions de postes depuis maintenant trois ans. Les fermetures de classes s’y multiplient, de même que les recrutements de contractuels, et ces derniers ont parfois bien du mal à se faire payer par l’État lui-même. Ainsi, certains n’ont pas perçu de salaires depuis le mois de septembre !

En 2009, si rien n’est fait, cette logique de fermeture de classes se poursuivra, portant ainsi un nouveau coup à des territoires ruraux souvent très fragilisés. Pouvons-nous continuer ainsi ?

Mes chers collègues, prélever 51 millions d'euros sur une ligne budgétaire dédiée aux heures supplémentaires, où était inscrit l’an dernier un montant de 1, 1 milliard d'euros, nous permettrait de rétablir des postes d’enseignants et de personnels administratifs. Ce sont soixante à quatre-vingt fermetures de classes prévues pour 2009 qui pourraient être ainsi évitées.

Deuxièmement, en application des dispositions du code rural, l’État doit verser à l’enseignement agricole privé du temps plein une subvention qui devrait être revalorisée depuis l’année dernière, sur la base du coût d’un élève dans l’enseignement agricole public.

Or, en 2007, l’État a demandé aux établissements agricoles privés du temps plein de patienter jusqu’en 2009 et, en 2009, il lui demande de patienter jusqu’en 2010. En 2010, si rien ne change, les établissements toucheront le premier tiers de ce qui leur est dû au titre de 2006, puis le deuxième tiers en 2011, enfin le troisième tiers en 2012. Au total, l’État aura réussi à différer de six ans le paiement de 30 millions d’euros !

Pendant ce temps, ce sont les familles qui devront combler les trous creusés dans la trésorerie des établissements par l’impéritie, pour ne pas dire l’avarice de l’État. Pouvons-nous, mes chers collègues, nous satisfaire d’une telle situation ? Est-il raisonnable d’attendre que la justice condamne l’État à payer – c’est ce qui arrivera, car le contentieux est lancé – pour que nous nous résignions enfin à tenir les engagements qui figurent dans la loi ?

Troisièmement, l’enseignement à rythme approprié doit chaque année supporter des reports de charge qui atteignent désormais 25 millions d’euros. Je le répète : ce sont bien 25 millions d’euros que, chaque année, l’État se permet de ne pas verser à ces établissements, sans justification aucune.

Quand je vois, mes chers collègues, la réaction qu’a pu provoquer dans les ministères la simple évocation d’un amendement portant sur 51 millions d’euros, alors que la mission en cause « pèse » 60 milliards d’euros, je n’arrive pas à comprendre pourquoi ces mêmes ministères envisagent avec une infinie sérénité l’idée de faire supporter des reports de charges de 25 millions d’euros à des établissements scolaires.

Ma priorité n’est pas de savoir sur quelle ligne prélever les 51 millions d’euros dont l’enseignement agricole a besoin. Cette question est seconde. Il est en revanche primordial de savoir si nous allons remettre définitivement à niveau l’enseignement agricole.

Nous sommes en effet arrivés à un carrefour : soit nous continuons à tenter, année après année, d’affecter quelques centaines de milliers d’euros supplémentaires, parfois quelques millions, pour un enseignement agricole structurellement sous-financé, et les années à venir verront cet enseignement s’éteindre lentement ; soit nous donnons à ce secteur les moyens de sortir enfin la tête de l’eau, garantissant ainsi son avenir.

Pour ma part, mon choix est fait. Et je ne peux, pour accomplir cette tâche, que me tourner vers le ministère de l’éducation nationale. La Constitution m’interdit en effet de faire autrement. Ainsi vont les rigueurs de l’article 40 : il nous est permis de toucher à la répartition des crédits, mais au sein d’une même mission. Or la mission « Enseignement scolaire » ne vise que l’enseignement agricole et l’éducation nationale. Pour donner à l’un, il faut donc prendre à l’autre. Les parlementaires que nous sommes ne peuvent agir autrement.

Je sais, mes chers collègues, combien il peut paraître insatisfaisant de prendre à un ministère pour donner à un autre, a fortiori lorsque le ministère auquel seront affectés les crédits supplémentaires n’a pas toujours su se défendre au cours de la négociation budgétaire. C’est pour cela que, depuis plus de deux mois, j’ai pris mon bâton de pèlerin afin de rencontrer les membres de tous les cabinets ministériels et les conseillers que compte la capitale. J’ai répété la même chose à chacun d’entre eux : « L’enseignement agricole a des besoins qu’il faut combler ; aidez-nous à le faire sans que soit obligatoirement prélevée l’intégralité des fonds nécessaires sur le budget de l’éducation nationale. »

J’ai toujours été écoutée avec intérêt, quelquefois avec sympathie, mais, au final, la même réponse a toujours prévalu : « Peut-être y a-t-il des besoins, mais nous ne pouvons rien faire. » Sans doute aurait-il été plus conforme à la réalité de me dire qu’on ne voulait rien faire.

Monsieur le président de la commission des finances, j’ai tout fait pour que l’esprit de négociation prévale, pour que la situation soit réglée sans que nous ayons aujourd’hui à nous prononcer sur cet amendement. Mais, pour régler la situation, on me demandait précisément de renoncer à présenter cet amendement et à abonder les crédits de l’enseignement agricole. Or c’est bien la seule chose à laquelle je ne pouvais me résoudre.

Je vous appelle donc, mes chers collègues, à adopter cet amendement. Ainsi, l’enseignement agricole aura les moyens de vivre et de continuer le travail exceptionnel qu’il accomplit, au service des élèves, dans des territoires qui en ont bien besoin.

Je vous appelle à le faire malgré le gage qu’il comporte ce texte. J’ai tout fait pour que le gage soit levé ; cela n’a pas été possible et je le regrette.

Une précision s’impose en cet instant : les 51 millions d’euros en cause représentent 0, 08 % des crédits visés.

L’amendement n° II-66 est présenté pour solde de tout compte. Il sera alors de la responsabilité du ministre de l’agriculture d’agir et de défendre l’enseignement agricole.

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