Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 3 décembre 2008 à 22h15
Loi de finances pour 2009 — Développement agricole et rural

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je profiterai de ce débat pour évoquer l’avenir de la filière de déshydratation de luzerne, à la lumière de l’accord conclu, le 20 novembre dernier, sur le bilan de santé de la politique agricole commune.

Cet accord doit normalement permettre à l’agriculture européenne de relever de nouveaux défis, parmi lesquels la gestion de l’eau et le soutien aux agriculteurs dans une perspective de protection de l’environnement.

Vous n’ignorez pas, monsieur le ministre, mes chers collègues, que l’une des plantes de grande culture les plus favorables à la protection de l’environnement est la luzerne. Avec une production de 1, 2 million de tonnes, la France se place au deuxième rang des pays producteurs de luzerne déshydratée en Europe.

La luzerne est, en effet, l’une des dernières sources de pollen pour les abeilles, notamment dans l’est de la France. La filière bénéficie d’ailleurs du soutien de l’Organisation mondiale de protection de l’environnement, le WWF, de la Ligue pour la protection des oiseaux, de la Fédération nationale d’agriculture biologique et des syndicats d’apiculteurs, au moment même où l’on s’inquiète d’une surmortalité des abeilles.

C’est une culture qui permet de protéger les captages d’eau potable et c’est la seule plante cultivée, avec le pois et la féverole, qui n’a pas besoin d’engrais, car elle absorbe naturellement l’azote de l’air.

Elle est, par ailleurs, très sobre en intrants, puisqu’elle ne nécessite qu’un épandage d’herbicide par an et un de pesticide tous les trois ans et n’a pas besoin de fongicide.

Enfin, c’est la plante la plus intéressante, parmi les grandes cultures, du point de vue de la biodiversité, notamment en matière de préservation de la macrofaune et de la microfaune, puisqu’elle occupe de quatre à cinq ans une même parcelle.

Au-delà de ses avantages environnementaux indéniables, la culture de la luzerne permet également de réduire la dépendance de notre pays en matière de protéines végétales, puisque cette plante remplace avantageusement, dans la nourriture animale, les aliments à base de soja, qui sont pratiquement en totalité importés des États-Unis et du Brésil et qui, dans la plupart des cas, nous le savons, sont produits à partir d’organismes génétiquement modifiés.

Par ailleurs, des recherches menées ces dernières années ont confirmé que les extraits foliaires de luzerne constituaient un complément nutritionnel des plus efficaces pour l’homme, notamment parce qu’ils sont une source de protéines, de vitamine A et de fer et qu’ils peuvent apporter une contribution très importante à l’amélioration de l’état nutritionnel des populations des pays en voie de développement.

Toutefois, malgré tous ces éléments extrêmement positifs et reconnus, la culture de la luzerne est menacée par la réforme de la PAC, puisqu’a été décidé le découplage, au 1er janvier 2012, des aides à la transformation des fourrages séchés.

Vous n’ignorez pas, monsieur le ministre, que ce découplage risque d’entraîner une baisse de 80 % de la production de luzerne, tout simplement parce que les producteurs empocheront la prime et se tourneront vers des cultures plus rémunératrices ! Je rappelle que l’aide actuelle coûte à l’Union européenne 118 millions d’euros, soit 0, 2 % de son budget agricole, qui s’élève à 55, 4 milliards d’euros.

La profession avait émis le vœu que le découplage n’intervienne pas avant le terme initialement prévu de 2013, de telle sorte qu’elle ait le temps d’adapter ses outils de transformation pour, notamment, les rendre plus économes en énergie. Les investissements extrêmement lourds qui sont nécessaires à cette évolution et qui ont déjà été engagés ne seront malheureusement pas achevés d’ici à 2012.

Alors même que le Grenelle de l’environnement va assigner aux agriculteurs français l’objectif de cultiver 20 % de la surface agricole de notre pays de manière biologique en 2020 – je ne suis pas sûr que cela soit totalement réaliste – et que l’Europe, au travers de son bilan de santé de la politique agricole commune, a souhaité accroître les « projets verts » en renforçant le deuxième pilier au détriment du premier, nous avons là une culture biologique exemplaire qui risque de disparaître. Pourtant, elle représente, du fait de sa sobriété, un atout pour réduire l’usage des produits phytosanitaires.

Dans ces conditions, et compte tenu des enjeux extrêmement forts qui s’attachent au maintien dans notre pays d’une filière dynamique de la luzerne déshydratée, ainsi que de la détermination dont vous avez toujours fait preuve, monsieur le ministre, pour défendre cette culture, j’émets le vœu que vous puissiez, au cours de l’année prochaine, prendre des mesures permettant de donner aux déshydrateurs le temps qui risque, hélas ! de leur manquer pour assurer l’avenir de ce secteur.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion