Mais écoutons l'appréciation de l'économiste américain prix Nobel en 2001, qui fut aussi économiste en chef à la Banque mondiale, et qu'on ne peut soupçonner d'être hostile à l'économie de marché : « Privatiser GDF, c'est inutile et stupide. La France a un bon système, juste, à bas prix et fiable [...]. Pour ce que j'en connais, votre entreprise publique est plus efficace, plus stable que ce qu'on a connu aux États-Unis. » Il ajoutait : « Les marchés débridés, ça ne fonctionne pas. »
Et pourtant, nous sommes invités aujourd'hui à délibérer au pas de charge.
Outre qu'il ne respecte pas la morale, ce projet de loi est dangereux : il remet en cause notre service public de l'énergie, lequel a pourtant démontré son efficacité dès lors qu'il s'est agi d'accroître notre indépendance énergétique, d'assurer notre sécurité d'approvisionnement, d'établir une péréquation tarifaire et d'assurer des prix abordables.
Ce projet de loi est dangereux, car il donne un chèque en blanc aux différents acteurs. Nul ne peut en effet présager la tournure que prendront les événements après la privatisation de GDF, notamment parce que la Commission européenne ne rendra ses conclusions définitives sur le projet de fusion GDF-Suez qu'après le vote sur ce projet de loi.
Nul ne sait par ailleurs ce que décidera l'assemblée générale des actionnaires de Suez, qui n'aura lieu qu'en décembre. Aujourd'hui, nous n'avons donc pas connaissance avec exactitude des conditions financières de cette fusion GDF-Suez.
Pourtant, on nous demande de préparer l'étape préalable à cette fusion alors que la Commission européenne s'interroge sur la compatibilité du projet avec le droit communautaire.
De même, des cessions d'actifs qui seront loin d'être négligeables vont être demandées à GDF en contrepartie de la fusion. Mais nous ne savons pas exactement lesquelles sont concernées ni quelle sera leur ampleur. Pourtant, il nous est demandé de délibérer sans délai, le cas échéant les yeux fermés.
Vous nous avez parlé des cessions d'actifs dans le cadre d'une fusion GDF-EDF. Mais vous ne nous dites rien sur celles qui seront exigées dans le cadre d'une fusion Suez-GDF.
Comment le Gouvernement peut-il engager de tels processus sans que le Parlement dispose d'éléments aussi essentiels ?
Pourquoi une telle précipitation ? Que je sache, les légions d'Enel ne sont pas encore aux portes de Suez ! Comment peut-on engager la privatisation de GDF sans connaître son avenir ?
Pourquoi tant de précipitation ? Permettez-moi de plaisanter, même si le moment ne s'y prête pas : craignez-vous à ce point que GDF ne finisse par être la dernière fille du village à ne pas avoir de prétendant ?