La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Christian Poncelet.
La séance est reprise.
M. le président. Messieurs les ministres, mes chers collègues, je vais prononcer l'éloge funèbre de Marcel Vidal.
MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.
Le 8 juillet dernier, depuis l'hôpital de Montpellier, nous est parvenue la triste nouvelle de la disparition de Marcel Vidal, à l'âge de 66 ans. Selon la métaphore en usage, notre collègue a succombé à « une longue maladie ».
Son dernier combat, Marcel Vidal l'a mené comme il a conduit sa vie, avec lucidité, courage et dignité. Le mal qui le frappait a eu raison des forces d'un homme qui, malgré la souffrance, fréquentait encore notre palais quelques semaines avant sa disparition.
Le décès de Marcel Vidal a profondément ému ceux qui l'ont connu et apprécié, comme moi-même, comme ceux qui ont partagé ses ambitions, ses engagements et ses combats.
Marcel Vidal appartenait à cette catégorie d'hommes pour qui la vie publique fut en quelque sorte une vocation, un sacerdoce Elle fut, pour ce qui le concerne, une vocation précoce.
Né le 7 mars 1940 à Montpellier, il devait embrasser une carrière de cadre au Crédit agricole. Cette orientation initiale ne répondait cependant pas totalement à son ambition de servir ses concitoyens dans tous les domaines de la vie publique.
Très tôt, il obtient son premier mandat, à Nébian, où il avait ses attaches familiales, et dont il devient maire à peine âgé de 25 ans.
En 1967, c'est au conseil général que Marcel Vidal est élu, dans le canton de Clermont-l'Hérault.
En 1971, il devient, à la faveur des municipales, maire du chef-lieu de canton. Ce mandat municipal, auquel il attachait un prix tout particulier, Marcel Vidal allait l'exercer trente ans durant.
Il allait, à force d'imagination, de créativité, de détermination, conférer à sa ville un développement exceptionnel qui lui valut des hommages reconnaissants en provenance des horizons les plus divers. Après quinze ans de vie locale, l'élu confirmé et expérimenté qu'il était fait son entrée au Sénat. Marcel Vidal est alors âgé d'à peine 40 ans.
Aussitôt, notre collègue s'inscrit à la commission des affaires culturelles. Il devait rester fidèle à cette commission durant les vingt-six années où il siégea dans ce palais. En faisant ce choix, Marcel Vidal mettait en accord sa sensibilité aux questions culturelles, au sens le plus large, avec son engagement parlementaire.
Viticulteur de tradition, Marcel Vidal était un homme de culture.
Pianiste accompli, connaisseur du monde artistique, à l'éveil de la création contemporaine, mais soucieux de la protection et de la promotion du patrimoine, Marcel Vidal a marqué durablement la vie culturelle de sa région en y apportant le souffle d'un homme authentiquement attaché au développement culturel en milieu rural.
Très tôt, il représente notre Assemblée au conseil d'orientation du Centre Pompidou, qu'il présida entre 1998 et 2002, avant d'en devenir, après sa réforme, vice-président du conseil d'administration. À la commission des affaires culturelles, Marcel Vidal se distinguera par ses interventions en faveur de la promotion du théâtre, de la musique vivante et du cinéma, dont il était le rapporteur autorisé, écouté et visionnaire.
Mais Marcel Vidal n'était pas l'homme d'un seul tropisme. Élu issu du terroir, l'agriculture, l'aménagement du territoire, le développement et la protection de l'environnement, la forêt étaient aussi régulièrement au coeur de ses préoccupations et de son action.
En 1983, notre collègue M. Pierre Mauroy, alors chef du Gouvernement, le charge d'une mission auprès de Gaston Deferre, à l'époque ministre de l'intérieur, sur la lutte contre l'incendie et la protection des forêts méditerranéennes. Les propositions qu'il fera constitueront la base de nos actuels services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS.
De même, Marcel Vidal mettra beaucoup de temps et d'énergie à promouvoir l'huile d'olive de qualité. D'aucuns disent qu'il la fit entrer au restaurant du Sénat. Marcel Vidal présidait avec compétence et dynamisme la section d'oléiculture du groupe sénatorial d'études sur l'économie agricole alimentaire.
Mais son champ d'action ne se limitait pas à ses interventions nombreuses sur cet aspect de la vie de sa région.
Fondateur du syndicat intercommunal d'aménagement touristique du Salagou, il allait le présider durant un quart de siècle, de 1976 à 2001. C'est ainsi qu'il avait obtenu, après de patientes démarches et une politique active de mise en valeur du lac, son classement au titre des sites naturels. C'est ce qui lui avait valu, entre autres responsabilités extraparlementaires, d'être désigné par le Sénat pour siéger à la commission supérieure des sites, perspectives et paysages.
Toujours guidé par l'action et la promotion de sa chère région, Marcel Vidal avait aussi oeuvré pour la sauvegarde du cinéma de sa ville, la réouverture du théâtre municipal, la création d'une école de musique, le maintien du lycée un temps menacé, ou le développement du stade municipal. Tous ces équipements sont ceux qui scandent la vie d'une cité, qui impulsent une dynamique culturelle et citoyenne, une humanité quotidienne. Marcel Vidal a su les mettre en place, les porter, les développer, avec la courtoise efficacité que nous lui connaissions.
Dans ce qui devait être sa dernière intervention au Sénat, le 12 avril dernier, Marcel Vidal prit part au débat suscité par la question orale posée par notre collègue M. Gérard César sur l'avenir de la viticulture. Il aimait à souligner combien le vin participait de la culture occidentale et à marquer que les enjeux autour de sa production et de sa consommation n'avaient jamais été aussi déterminants. C'est sur ce thème, - comme par un retour symbolique et prémonitoire à ses origines -, que Marcel Vidal avait pris congé de nous. Le vin, qui est symbole de vie dans certains rituels religieux de notre continent, fut en quelque sorte, pour nous tous, son ultime message.
Cet homme aux racines locales profondes restera dans nos mémoires pour sa droiture, son humilité, son ambition pour sa ville, son territoire et son pays.
Il fera référence pour les élus de la Nation par la force de ses engagements, la qualité de ses interventions et son attention aux autres.
À son épouse et à ses filles, à toute sa famille et à ses proches, j'exprime la sympathie émue de notre Assemblée et les assure de la part personnelle que nous prenons à leur chagrin.
Aux membres du groupe socialiste et à ses collègues de la commission des affaires culturelles, j'exprime notre compassion et nos sincères condoléances.
Merci, Marcel Vidal, pour ce que vous avez été. Le Sénat restera fidèle, j'en suis sûr, à votre souvenir.
MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, je tiens à m'associer à l'hommage qui est aujourd'hui rendu à Marcel Vidal, sénateur de l'Hérault.
Après de longs mois de souffrance, Marcel Vidal s'est éteint en juillet dernier. Avec lui, c'est l'un des plus anciens membres de votre Haute Assemblée qui disparaît, un élu attentif, dévoué à ses concitoyens, une personnalité toujours accessible, disponible, un élu soucieux de servir son pays.
Marcel Vidal s'engage très tôt dans la vie politique. Comme vous l'avez dit, monsieur le président, il a la vocation de la vie publique, et celle-ci est effectivement précoce. Très jeune, à peine âgé de vingt-cinq ans, Marcel Vidal obtient son premier mandat de maire de Nébian. Deux ans plus tard, en 1967, ses concitoyens l'élisent au conseil général.
C'est l'estime et le soutien que lui portent les habitants du canton de Clermont-l'Hérault qui le conduisent à briguer avec succès, en 1971, la mairie de ce chef-lieu de canton. Les Clermontais lui renouvelleront leur confiance sans interruption durant trente ans. Il aura accompli un travail remarquable, au service de ses concitoyens et de sa cité.
Fort de cette assise locale et de son expérience d'élu de terrain, il devient sénateur en 1980, à peine âgé de quarante ans.
Parlementaire assidu, Marcel Vidal fut un membre écouté de la commission des affaires culturelles où il avait su gagner l'estime et le respect de tous ses collègues.
Ses centres d'intérêt se caractérisaient par un réel éclectisme. Pianiste brillant, excellent connaisseur des milieux artistiques, il était l'un des meilleurs spécialistes du cinéma et du théâtre vivant, ainsi qu'en témoignent ses nombreuses interventions, notamment à l'occasion de l'examen du texte relatif au mécénat, aux associations et aux fondations, qui sera finalement adopté en août 2003.
Ses compétences reconnues et sa forte implication dans le travail parlementaire en matière culturelle ont tout naturellement conduit votre Haute Assemblée à le désigner pour la représenter au Centre Pompidou. Il en présida le conseil d'orientation de 1998 à 2002, puis fut vice-président du conseil d'administration jusqu'à sa disparition.
Homme de culture, Marcel Vidal avait une autre passion, celle de sa région. Il était très impliqué dans les problématiques d'aménagement du territoire, de développement local et d'environnement. C'est ainsi qu'il réussit à obtenir le classement du lac du Salagou comme site naturel protégé.
Il a également été un membre particulièrement actif de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages, au sein de laquelle il représentait votre Haute Assemblée.
Enfin, élu de l'Hérault, Marcel Vidal était naturellement concerné par les questions agricoles, en général, et viticoles, en particulier.
Homme d'une grande courtoisie et d'une grande humilité, il laissera le souvenir d'un parlementaire respectueux des autres, accomplissant son mandat avec un sens aigu du devoir.
À sa famille, à ses proches, au président du groupe socialiste ainsi qu'à ses collègues, j'exprime, au nom du Gouvernement, nos condoléances très sincères.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, conformément à la tradition, en signe de deuil, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures cinquante-cinq.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au secteur de l'énergie (nos 3, 6, 7).
Mes chers collègues, comme vous le savez, j'ai toujours été très attaché au respect des droits de chaque sénatrice et de chaque sénateur, de chaque groupe politique, de la majorité comme de l'opposition, qu'il s'agisse du droit de parole ou du droit d'amendement.
À l'ouverture d'un débat important, et en tant que président d'une assemblée réputée pour la qualité de ses travaux, je tiens à vous dire que je suis heureux de cette nouvelle occasion qui nous est donnée d'illustrer notre capacité à débattre au fond et dans la sérénité, et que je veillerai personnellement au bon déroulement de nos travaux.
J'y serai d'autant plus attentif que nous travaillons sous le regard de nos concitoyens, qui attendent de leurs représentants qu'ils fassent preuve de dignité, de sagesse et de d'efficacité dans l'accomplissement de leur mission de législateur.
Par-delà nos légitimes divergences politiques, je sais, mes chers collègues, pouvoir compter sur chacun d'entre vous pour rester fidèle à la tradition sénatoriale de sérieux de nos discussions et demeurer en cohérence avec notre volonté commune, réaffirmée à plusieurs reprises, d'améliorer nos méthodes de travail. C'est bien ce principe de responsabilité qui doit régir nos rapports au sein du Sénat.
La qualité de nos débats servira ainsi, je n'en doute pas, l'image de notre institution, à laquelle nous sommes tous, à juste titre, très attachés.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
M. le président. J'informe le Sénat que, en application de l'article 11 de la Constitution et de l'article 67 du règlement, M. Jean-Pierre Bel, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, Mme Marie-Christine Blandin et plusieurs de leurs collègues présentent une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au secteur de l'énergie.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
En application de l'alinéa 1er de l'article 67 du règlement, cette motion doit être signée par au moins trente sénateurs dont la présence doit être constatée par appel nominal.
Il va donc être procédé à l'appel nominal.
Huissier, veuillez procéder à l'appel nominal.
Acte est donné du dépôt de cette motion.
Ont déposé cette motion : Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Éliane Assassi, Marie-France Beaufils, MM. Michel Billout, Robert Bret, Yves Coquelle, Mmes Annie David, Michelle Demessine, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Robert Hue, Gérard Le Cam, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon-Poinat, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Bernard Vera, Jean-François Voguet, Mme Bariza Khiari, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Charasse, Roland Ries, Mmes Claire-Lise Campion, Michèle San Vicente, Nicole Bricq, M. Claude Domeizel, Mme Maryse Bergé-Lavigne, M. Michel Teston, Mme Yolande Boyer, MM. Daniel Raoul, Roger Madec, Bernard Piras, Robert Tropeano, Jean-Marc Pastor, Jean-Pierre Demerliat, Marc Massion, Michel Sergent, Daniel Reiner, Jean-Pierre Michel, Jacques Mahéas, Yannick Bodin, Claude Haut, Mme Annie Jarraud-Vergnolle, M. Bertrand Auban, Mme Catherine Tasca, MM. Roland Courteau, Marcel Rainaud, André Lejeune, Mmes Dominique Voynet, Odette Herviaux, MM. Bernard Frimat, Gérard Miquel, Jean-Pierre Bel, Jean-Luc Mélenchon, David Assouline, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jean Desessard et Jean-Pierre Godefroy.
Cette motion sera imprimée sous le n° 8, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques.
Conformément à l'article 67, alinéa 2, du règlement, la discussion de cette motion aura lieu « dès la première séance publique suivant son dépôt », c'est-à-dire demain mercredi 11 octobre, à quinze heures, avant la discussion des trois autres motions.
Mon intervention se fonde sur l'article 36 de notre règlement.
Je tiens d'emblée à souligner mon étonnement : je suis surprise que le Sénat entame ainsi une discussion sur un projet de loi visant à privatiser Gaz de France et à libéraliser à terme l'ensemble du secteur de l'énergie.
En effet, ceux qui soutiennent aujourd'hui une telle privatisation votaient avec une certaine solennité voilà seulement deux ans le maintien de l'État dans le capital de GDF-EDF à hauteur de 70 %, afin de respecter les engagements qui avaient été pris, notamment auprès des organisations syndicales.
M. Sarkozy, qui était alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, s'était personnellement engagé à de multiples reprises en faveur du maintien de ces deux grandes entreprises dans le secteur public.
Monsieur le président, M. Nicolas Sarkozy, qui est toujours membre du Gouvernement - il en est même le numéro deux, avec un rang de ministre d'État -, doit, me semble-t-il, venir s'expliquer devant la représentation nationale sur son invraisemblable retournement d'opinion.
Le débat est faussé par un tel mensonge. Qui peut croire un instant que vous n'avez pas l'intention de privatiser demain EDF ? La parole du Gouvernement a perdu toute crédibilité.
Nous ne pouvons pas assister les bras croisés à une liquidation sans précédent d'un secteur primordial pour l'indépendance énergétique de notre pays !
Monsieur le président, je vous demande de suspendre la discussion du présent projet de loi, afin de permettre en préalable à M. Nicolas Sarkozy, l'homme qui avait promis le maintien de GDF dans le secteur public, de venir s'expliquer.
S'il y a une raison, ne serait-ce qu'une seule, qui justifie à ses yeux de nous avoir trompés, d'avoir abusé le peuple, qu'il vienne la présenter ici et maintenant !
Le Président de la République s'étant également exprimé dans le même sens, le débat qui s'ouvre est souillé par un véritable mensonge d'État.
Mme Michelle Demessine. Notre peuple, les salariés d'EDF-GDF et les usagers ont été trompés !
Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC se lèvent et arborent des maillots bleus sur lesquels il est inscrit, sur k devant : « EDF-GDF : 100 % public » et, au dos : « Non à la fusion GDF-Suez ». - Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.- Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, c'est l'honneur de nos institutions qui est en cause. Il n'est pas possible d'engager sereinement le débat sur la base d'un tel reniement.
Quelle image de la politique de tels actes peuvent-ils donner ? Quelle confiance le peuple peut-il accorder à ses représentants ?
Selon M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, ancien président de France Télécom, ...
Et de Thomson !
... « les temps ont changé ».
Mais, monsieur le ministre, en quoi l'augmentation des cours du pétrole doit-elle modifier la participation de l'État au capital d'EDF et de GDF ? Bien au contraire, les incertitudes nouvelles confirment le caractère stratégique de telles entreprises et donc la nécessité de l'implication et de la maîtrise du politique dans ce secteur.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Acte vous est donné de votre rappel au règlement.
La parole est à M. Gérard Le Cam, pour un rappel au règlement.
Mon rappel au règlement se fonde sur l'organisation de nos travaux.
Une nouvelle fois, la précipitation est de mise pour l'examen d'un projet de loi qui est pourtant fondamental pour l'avenir de notre pays.
Alors que le débat à l'Assemblée nationale a soulevé plus de questions qu'il n'a apporté de réponses, que des manoeuvres importantes se déroulent autour des grandes entreprises énergétiques européennes depuis quelques jours, que Gazprom monte encore en puissance, la commission des affaires économiques a auditionné un nombre extrêmement restreint de personnalités dès le lendemain de l'adoption du présent projet de loi par l'Assemblée nationale. Le rapport de M. Poniatowski a été présenté le même jour.
Or le texte législatif a été profondément remanié par les députés UMP. Cela nécessitait donc, ne serait-ce que pour cette raison, un examen préalable à toute discussion approfondie.
Lors de son audition, M. le ministre a tenu des propos assez convenus et le rapport de M. Poniatowski se limite à justifier laborieusement un reniement. Dans ces conditions, la commission des affaires économiques aurait dû entendre les différents acteurs concernés par le sujet pendant au moins une semaine. Je pense notamment aux ministres qui étaient en charge de ce dossier en 2004, ainsi qu'à la commissaire européenne chargée de la concurrence, Mme Neelie Kroes.
En effet, comment est-il possible de démarrer un tel débat sans avoir auditionné celle qui, nous dit-on, fait la pluie et le beau temps en matière énergétique au sein de l'Union européenne ?
Mme Kroes veut casser le secteur public ; elle ne s'en cache d'ailleurs pas. Il aurait donc été intéressant de confronter les points de vue. Peut-être aurait-elle pu informer la représentation nationale quant aux recommandations de la Commission européenne visant à conditionner l'éventuelle mise en place éventuelle du futur groupe GDF / Suez...
Sans doute M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie nous dira-t-il que cela ne regarde pas les parlementaires. Mais c'est M. le Premier ministre qui a d'emblée établi un lien, le 25 février dernier, entre l'ouverture à la concurrence et la fusion entre GDF et Suez, et ce au nom d'un patriotisme économique aux relents d'abandon du patrimoine industriel national aux profits des appétits financiers !
L'audition de Mme Kroes eût été intéressante pour bien percevoir le décalage entre les aspirations qui ont été exprimées le 29 mai 2005 et la poursuite d'une politique ultra-libérale contre vents et marées.
Le président de la commission des affaires économiques ne semble pas avoir souhaité ces auditions. C'est logique, puisque M. le rapporteur désire un vote conforme sur les articles essentiels du texte, ses amendements visant simplement à réduire les pouvoirs des parlementaires au sein de la Commission de régulation de l'énergie.
Décidément, vous ne voulez pas du politique dans l'économie, mais vous appréciez beaucoup l'économie dans le politique ! N'est-ce pas, monsieur Breton ?
L'absence de travail approfondi...
... de l'ensemble de la commission des affaires économiques montre bien la conception du rôle du Parlement qui est celle de l'UMP.
Vous voulez un Parlement « droit dans ses bottes », aux ordres et susceptible de voter blanc un jour, noir le lendemain, mais sombre toute l'année pour les Françaises et les Français !
Je demande donc solennellement au Sénat de surseoir à l'examen du présent projet de loi et de procéder aux auditions nécessaires avant la discussion générale. Nous devons notamment entendre MM. Sarkozy et Devedjian, Mme Kroes, ainsi que des responsables d'organisations représentant les consommateurs.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en ce début du mois d'octobre, je suis heureux de me retrouver parmi vous, en compagnie de François Loos, ministre délégué à l'industrie, pour reprendre les discussions que nous avions engagées dans cet hémicycle avant l'été sur la stratégie énergétique de notre pays.
En effet, c'est bien de cela dont il s'agit, ainsi que - les orateurs précédents l'ont évoqué implicitement - de l'avenir de Gaz de France.
Je vous le rappelle, le projet de loi relatif au secteur de l'énergie a été adopté le 3 octobre dernier en première lecture à l'Assemblée Nationale, après quatre semaines de débats, qui ont été longs et de qualité. Au cours de ces discussions, chacun a pu - je parle sous le contrôle de M. le ministre délégué à l'industrie - s'exprimer et poser des questions, certes parfois un peu répétitives. Nous y avons toujours répondu avec la même volonté de ne laisser aucune interrogation de côté, conformément aux voeux du Président de la République, qui a souhaité la session extraordinaire du mois de septembre.
Je sais que nous avons déjà eu ce débat sur ce sujet au mois de juin. Ainsi que nous venons d'en avoir un aperçu, nous aurons une nouvelle discussion de grande qualité au sein de la Haute Assemblée.
À cet égard, je voudrais remercier M. Emorine, président de la commission des affaires économiques, M. Poniatowski, rapporteur de cette même commission, et M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances, ainsi que l'ensemble des membres de cette assemblée, d'avoir accompli un travail préparatoire approfondi tout l'été. J'ai moi-même pu le constater.
En effet, j'ai eu l'occasion de discuter et d'échanger avec nombre d'entre vous. Je pense notamment au président de la commission des affaires économiques et au rapporteur. Nous avons essayé ensemble d'enrichir ce projet de loi, conformément au souhait des uns et des autres que le texte présenté au Parlement, en particulier au Sénat, puisse répondre aux préoccupations des Françaises et des Français.
Le 15 juin dernier, nous avons eu ensemble un débat approfondi et d'une grande qualité. Nous avons abordé l'ensemble des questions qui se posent en la matière, en particulier la sécurité énergétique de nos compatriotes.
Au terme de ce travail, je veux saluer l'investissement de tous ceux d'entre vous - ils sont nombreux dans cet hémicycle - qui se sont intéressés à ces questions, ont pris en compte toutes les dimensions et ont évalué avec soin toutes les options en présence avant de se forger leur intime conviction.
Avant d'entrer dans l'examen du projet de loi relatif au secteur de l'énergie, je voudrais au préalable replacer nos discussions dans le contexte de deux faits majeurs
Nous le savons, en matière de ressources énergétiques, notre monde se trouve à la croisée des chemins entre les impératifs de la croissance démographique et l'épuisement progressif des ressources fossiles.
Sur le plan démographique, la population mondiale devrait passer de 6 milliards à 9 milliards d'habitants au cours des trois prochaines décennies, c'est-à-dire pour la génération qui vient. Chaque pays, chaque être humain, réclamera légitimement sa part d'énergie.
Nous devrons simultanément faire face à des défis colossaux, comme le besoin d'investissement dans le secteur de l'énergie, qui nécessitera également plus de 1 000 milliards d'euros d'investissements pendant les 3 prochaines décennies, afin de faire face à la seule demande européenne.
Dans le même temps, les ressources énergétiques fossiles, en particulier le pétrole, parviendront à leur maximum de production. Je pense au fameux peak oil, c'est-à-dire au point d'inflexion des réserves mondiales de pétrole ; il devrait être atteint au cours des prochaines décennies.
Dans ce contexte, le monde de l'énergie a profondément changé depuis 2004. On peut refuser de voir cette réalité, mais c'est la responsabilité du Gouvernement de l'évoquer, tout comme c'est l'honneur du Parlement, en particulier du Sénat, de bien vouloir en discuter et de prendre en compte les éléments les plus importants s'agissant des changements auxquels nous devons nous préparer.
En effet, le monde a pris conscience de la réalité de l'épuisement désormais prévisible des ressources fossiles. Simultanément, la demande a explosé, en particulier avec le dynamisme des nouvelles économies asiatiques, alors même que l'instabilité géostratégique des zones de production ne cesse de croître.
Nous devons donc faire face à la quasi-disparition durable des surcapacités de production en matière d'hydrocarbures fossiles, qui a conduit à une très forte hausse des cours du pétrole : cet été, le baril a dépassé les soixante-dix dollars, atteignant même presque les quatre-vingts dollars. Personne ne pouvait anticiper une telle hausse.
En tout cas, cette prise de conscience a mis en lumière le rôle tout particulier que doit jouer le gaz dans l'équilibre énergétique futur.
Les réserves en gaz sont encore abondantes, même si elles sont très concentrées, encore plus que les réserves pétrolières, sur un nombre très limité de pays. Je pense notamment à la Russie, à l'Algérie, aux pays de la mer du Nord - en l'occurrence, leurs ressources s'épuisent -, au Qatar, au Yémen et, dans une moindre mesure, à l'Égypte.
Dans ces conditions, la sécurité d'approvisionnement du gaz en Europe prend une dimension toute nouvelle.
Au moment où s'amorce l'ère de « l'après-pétrole », la sécurité de notre approvisionnement en gaz prend une importance nouvelle. L'émergence de pays producteurs qui contrôlent pratiquement les réserves les plus importantes de la planète - je pense en particulier à la Russie et à l'Algérie - crée un environnement nouveau auquel il convient de nous préparer.
Dans ce contexte, personne ne pouvait anticiper l'accélération de la concentration et la course au gigantisme des acteurs industriels de ce secteur. Vous le savez tous, le secteur de l'énergie est un univers dur. Les termes désormais employés, que je reprends d'ailleurs à mon compte, appartiennent au vocabulaire guerrier. Nous vivons une guerre énergétique, il faut nous préparer à affronter ces nouveaux défis.
Les acteurs incontournables fixent désormais leurs conditions. Ceux qui sont trop faibles, ou mal organisés, les subissent. Face aux détenteurs des ressources de gaz ou de pétrole, incontournables par définition, il nous faut donc construire des acheteurs susceptibles d'être une force de négociation puissante, diversifiée, rétablissant un nécessaire équilibre et capables d'investir massivement au niveau international dans les champs d'hydrocarbures, notamment les champs gaziers. Quand on n'a ni pétrole ni gaz, on n'a pas le droit de rester immobile.
Voilà donc les principaux éléments du contexte énergétique. Face à cela, nous disposons, mesdames, messieurs les sénateurs, d'un héritage qui constitue notre bien commun. Je veux parler, bien sûr, des choix industriels courageux faits par nos prédécesseurs dans le domaine de l'énergie nucléaire ; je pense évidemment au général de Gaulle.
J'ouvre une parenthèse, car j'ai noté qu'une candidate potentielle à l'élection présidentielle a publié une tribune de quatre colonnes sur l'énergie, parue hier dans l'édition d'un grand quotidien économique rédigée uniquement par des femmes - ce qui est une très bonne idée. Comme vous tous, sachant que nous allions avoir un grand débat sur l'énergie, j'ai lu cette tribune...
Dans un texte qui voudrait préfigurer les défis énergétiques de demain, vus de France, cette candidate potentielle ne cite pas une seule fois le mot « nucléaire » !
Eh oui, monsieur le sénateur ! Il y a ceux qui se gargarisent de mots et ceux qui agissent, à partir de la situation reçue en héritage. Pas une seule fois, elle ne fait mention du nucléaire, cet héritage commun qui fonde la France d'aujourd'hui, et encore plus celle de demain, et nous permet de parler d'indépendance énergétique ! Je respecte toutes les idées : on peut être pour ou contre, mais encore faut-il avoir le courage de dire pourquoi !
Notre héritage commun va bien au-delà du choix du nucléaire. C'est l'ensemble de l'économie européenne qui doit s'adapter à cette nouvelle donne. En 2002, au sommet de Barcelone, les États membres de l'Union ont décidé à l'unanimité, la France étant représentée par Lionel Jospin, alors Premier ministre, ...
...de constituer un grand marché européen de l'énergie. La France y a souscrit.
C'est un fait historique ! Les directives européennes ont ensuite mis en oeuvre cette décision. Cette évolution, tous les pays européens l'ont voulue, à l'unanimité.
En France, les dirigeants successifs, de gauche comme de droite, ont souscrit à cette politique parce qu'elle était essentielle à nos intérêts stratégiques à long terme.
C'est donc un héritage commun. À long terme, en effet, seul un grand marché européen de 460 millions d'habitants pourra protéger nos intérêts énergétiques dans un monde de neuf milliards d'habitants.
Nous ne pèserons que près de 5 %. Voilà le poids de notre Europe, il faut le savoir, même si nous sommes fiers d'elle.
Les nouvelles règles applicables au secteur de l'énergie sont entrées en vigueur progressivement depuis le sommet de Barcelone. Cette évolution connaîtra une étape décisive le 1er juillet 2007, que personne n'a le droit d'ignorer. C'est pour nous préparer à ce défi que j'invite la Haute Assemblée à légiférer aujourd'hui...
...sur un texte important pour l'avenir des consommateurs français.
En effet, le 1er juillet 2007, la directive énergie s'appliquera de facto dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, avec deux conséquences.
D'abord, l'ouverture des marchés sera effective pour tous les consommateurs, y compris les particuliers.
M. Thierry Breton, ministre. Ensuite, obligation sera faite à Gaz de France de proposer ses tuyaux à tous ses concurrents afin de leur permettre de livrer leur gaz à leurs clients. Ce qui va se passer le 1er juillet 2007 est la conséquence directe des décisions prises en 2002 au sommet de Barcelone.
Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
M. Thierry Breton, ministre. Si rien n'était fait, nous serions alors face à un vide juridique, ce qui créerait naturellement une situation incertaine et complexe pour les clients comme pour les entreprises, qui n'auraient aucune assurance de conserver l'accès aux tarifs réglementés. Or vous savez que le Gouvernement souhaite maintenir ces tarifs pour les particuliers français.
Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
C'est pour cela que des mesures législatives sont nécessaires, afin d'assurer une réelle transposition des directives européennes sur le marché de l'énergie...
... dans des conditions conformes à nos exigences et à nos valeurs en matière de protection des consommateurs.
Dès lors, la date du 1er juillet 2007, loin d'ouvrir une période d'incertitude, doit se traduire par des possibilités supplémentaires pour les clients, ...
... par de nouvelles libertés et non par la fin des tarifs réglementés, qui constituent un dispositif essentiel.
C'est pourquoi, avec François Loos, nous avons saisi le Conseil supérieur de l'énergie sur ces sujets. Au terme d'un travail d'un grand sérieux, auquel je tiens à rendre hommage, au cours duquel toutes les parties prenantes ont pu s'exprimer, qu'il s'agisse des parlementaires, des syndicats, ...
... des entreprises, des consommateurs, des collectivités locales, de la Commission de régulation de l'énergie, le Conseil nous a rendu un rapport qui a orienté nos travaux - nous en avons beaucoup parlé avec le président de la commission des affaires économiques et avec le rapporteur - et a inspiré le texte qui vous est présenté aujourd'hui.
Dans la préparation de notre projet de loi, nous avons privilégié une approche favorisant systématiquement la protection des consommateurs.
Tout d'abord, le Gouvernement souhaite donner la possibilité à tous les particuliers consommateurs d'électricité et de gaz qui le souhaitent de pouvoir rester au tarif réglementé. Nous avons tenu, par exemple, à ce que la loi leur permette d'avoir accès à nouveau au tarif réglementé lorsqu'ils déménageront.
Cela concerne à peu près trois millions de nos compatriotes chaque année. Lors d'un déménagement, la question du changement de prestataire et de fournisseur d'énergie peut se poser. Il faut permettre à nos compatriotes de pouvoir revenir à cette occasion au tarif réglementé s'ils le souhaitent. Le texte dont nous allons débattre le prévoit.
Nous proposons ensuite la mise en place d'un tarif social pour le gaz, similaire au tarif spécial « produit de première nécessité » que nous avons instauré pour l'électricité. Les personnes en situation de précarité pourront ainsi bénéficier de conditions favorables pour une part importante de leur consommation de gaz.
Exclamations sur les travées du groupe CRC.
M. Thierry Breton, ministre. Nous avons, par ailleurs, annoncé l'augmentation de l'aide offerte au titre du tarif « produit de première nécessité » pour l'électricité. C'est une réalité de ce texte. Cette possibilité n'existait pas auparavant, il fallait légiférer en ce sens et c'est ce que nous faisons !
Nouvelles exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
M. Thierry Breton, ministre. Ceux d'entre vous qui le souhaitent pourront éventuellement rejeter cette disposition, mais nous vous la proposons, car nous estimons qu'elle est importante pour nos compatriotes les plus défavorisés.
Protestations sur les travées du groupe CRC.
Enfin, pour garantir un service de qualité et une meilleure prise en compte de l'intérêt des consommateurs, ce projet de loi complète également, et c'est important, le droit de la consommation.
Il comporte des dispositions de protection et d'information du consommateur d'électricité et de gaz, tant pour les offres qui leur seront faites - et on sait qu'elles seront nombreuses à compter du 1er juillet 2007, il faut donc s'y préparer - que pour les contrats qu'ils seront amenés à signer. Il introduit également un médiateur de l'énergie.
Par ailleurs, nous vous proposerons un amendement permettant d'améliorer l'information des consommateurs sur l'énergie au sens large - en particulier sur les carburants, sujet très sensible pour tous les automobilistes français - par la création d'un site Internet, comme il en existe désormais dans de très nombreux pays, mettant à leur disposition une information complète et transparente sur les prix.
Mais protéger les consommateurs, c'est aussi protéger nos entreprises consommatrices d'électricité. Confrontée à une forte hausse du prix des hydrocarbures et à la disparition des surcapacités de production en électricité, l'Europe voit les prix de l'électricité augmenter de façon importante depuis 2004.
Cette augmentation ne touche pas les particuliers, puisqu'ils sont protégés. Je rappelle à cet égard qu'EDF a pris l'engagement de ne pas augmenter, pendant les cinq ans qui viennent, les tarifs pour les particuliers au-delà de l'inflation. Cet engagement a eu une traduction immédiate cette année, puisque les augmentations observées ont été inférieures à l'inflation. Cette disposition sera vraisemblablement renouvelée tous les cinq ans. En revanche, les entreprises n'en bénéficient pas.
C'est pourquoi l'Assemblée nationale a enrichi cet ensemble de mesures par des amendements prévoyant l'instauration d'un « tarif de transition » de l'électricité en faveur des entreprises qui ont opté pour le marché libre et qui voudraient revenir au tarif réglementé. Ce dispositif permet aux entreprises de disposer de tarifs d'électricité assurant leur compétitivité tout en limitant leur facture énergétique, mais aussi en préservant l'existence du marché concurrentiel et de ses opérateurs.
Comme je m'y étais engagé, le Gouvernement a soutenu ce dispositif. Nous pourrons, au cours de nos débats, examiner les améliorations qui pourraient y être apportées.
J'avais rappelé, avant l'été, les objectifs essentiels à satisfaire, du point de vue du Gouvernement.
Tout d'abord, il s'agit de respecter nos engagements européens. Ce dispositif transitoire doit permettre une adaptation progressive au marché européen en protégeant les consommateurs industriels contre une spéculation à court terme sur le prix de l'électricité. Il doit préserver la concurrence entre les fournisseurs d'électricité.
Ensuite, il convient de préserver l'avenir en ne décourageant pas l'investissement ; il faut trouver un juste équilibre entre le fait de proposer un tarif faible et la nécessité d'investir dans de nouvelles capacités de production.
Le renforcement des pouvoirs de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, est également un axe important d'amélioration du fonctionnement du marché de l'énergie. Comme je l'avais indiqué lors du débat du mois de juin dernier, le Gouvernement est favorable au principe d'un renforcement des pouvoirs de la CRE en matière de surveillance des marchés organisés et de vérification de l'indépendance de l'exploitation des réseaux de transport. Des amendements en ce sens ont été adoptés par l'Assemblée nationale ; je les ai évoqués devant la commission des affaires économiques.
En ce qui concerne l'évolution de la composition du collège de la CRE, le débat n'est pas clos, et votre rapporteur fera des propositions intéressantes en la matière...
... que le Gouvernement écoutera avec beaucoup d'attention et d'intérêt.
Il convient également d'accorder à Gaz de France une plus grande flexibilité dans la gestion de son capital, afin qu'il puisse se développer à armes égales avec ses concurrents.
La proposition du Gouvernement part d'un constat simple : face au mouvement de consolidation des acteurs de l'énergie en Europe, Gaz de France n'est qu'un acteur de taille moyenne par rapport aux géants du secteur. Cette appréciation ne doit pas être interprétée comme une critique ; c'est une constatation objective à prendre en considération dans le débat qui commence aujourd'hui.
Certes, Gaz de France compte onze millions de clients et dispose d'un réseau de transport, d'un savoir-faire apprécié par les collectivités locales, d'une image extrêmement forte auprès des consommateurs. C'est un capital non négligeable.
Cependant, GDF n'est un acteur décisif dans le secteur du gaz qu'en France et ne représente que 14 % des ventes de gaz en Europe.
Gaz de France n'est que le distributeur d'un gaz qu'il achète en totalité à l'étranger.
Nous n'avons plus de gisement à Lacq, c'est fini !
Je sais que certains le découvrent, je sais que certains le regrettent, mais nous n'avons plus de gisements de gaz en France.
Gaz de France achète 100 % de ses approvisionnements.
Son activité de production est donc faible. Gaz de France ne produit pas l'énergie qu'il distribue, contrairement à EDF qui, grâce au nucléaire, ...
Gaz de France n'en est pas là, comme vous le savez, et c'est bien de cela qu'il faut impérativement que nous parlions.
J'attire votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fait que, à partir du 1er juillet 2007, ...
... Gaz de France, gestionnaire d'infrastructures, devra transporter le gaz de tous ses concurrents, que vous le vouliez ou non !
M. Thierry Breton, ministre. Nous allons peut-être pouvoir tomber d'accord, car nous non plus nous ne voulons pas laisser Gaz de France de côté, car nous aussi, tout comme vous, nous voulons lui donner les moyens de faire face à cette nouvelle réalité qui a été fondée en 2002 au sommet de Barcelone. Telle est la situation, mesdames, messieurs les sénateurs, à laquelle il faudra apporter des réponses !
Protestations sur les travées du groupe CRC.
Ce n'est pas cela, la démocratie ! C'est le peuple qui décide, pas la technocratie !
Par ailleurs, ce n'est un secret pour personne, Gaz de France n'est pratiquement pas présent dans le secteur de l'électricité.
M. Thierry Breton, ministre. Or, dans un marché de l'énergie qui se consolide, il est indispensable de pouvoir présenter des offres mixtes aux clients. Pensez aux clients !
Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
M. Thierry Breton, ministre. N'oubliez jamais les clients, car ce sont eux, in fine, qui décideront quel sera leur fournisseur.
Applaudissementssur les travées de l'UMP.
Ce constat étant fait, Gaz de France doit pouvoir s'adapter et trouver les alliances qui seront les meilleures pour l'entreprise et ses clients. Gaz de France doit pouvoir nouer des alliances pour investir en amont...
... et offrir du gaz au meilleur prix à ses clients.
Nous allons parler d'EDF, ne vous inquiétez pas ! La question a été longuement examinée. Certaines personnalités, du reste, nous ont bien aidés dans notre réflexion : je pense à M. Roulet, à Mme Bricq, à tous ceux qui ont contribué à nous faire prendre conscience que c'était là un sujet majeur et qu'il convenait de l'étudier avec sérieux, sans se borner à affirmer, parce que c'est un peu facile, qu'il suffit tout simplement de marier EDF et GDF, ...
M. Thierry Breton, ministre. ... sans se préoccuper du champ concurrentiel dans lequel nous nous situons.
Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC brandissent à nouveau leurs maillots.
Nous allons parler de cette question, et François Loos et moi-même prendrons tout le temps nécessaire pour vous répondre.
Auparavant, je voudrais revenir sur un point essentiel : tous les opérateurs européens, je dis bien tous, ont fait le constat que j'ai évoqué, y compris l'opérateur gazier historique du Portugal. Quand celui-ci a voulu se marier avec la compagnie nationale d'électricité portugaise, la Commission européenne a invalidé ce mariage - on vous expliquera pourquoi -, ...
... décision qui a été validée par la Cour européenne de justice. Ce fut donc une double invalidation.
J'ai remis les rapports correspondants à M. le président de la commission des affaires économiques. Ils sont à la disposition de tous ceux qui croient encore que nous sommes au XXe siècle, et pas au XXIe siècle.
On nous a dit la même chose à propos de la délinquance ! On n'est plus en 1945, c'est sûr, mais vous n'êtes pas de Gaulle !
M. Thierry Breton, ministre. Je vous donnerai ces éléments, qui permettront de vous éclairer !
Applaudissementssur les travées de l'UMP.
Quoi qu'il en soit, je le répète, tous les autres opérateurs européens ont fait le constat susdit, que ce soit l'allemand E.ON, qui vient de mettre au point une offre publique d'achat pour l'opérateur espagnol Endesa, que ce soit RWE, que ce soit ENEL, qui cherche, et c'est légitime, à nouer une alliance pour pouvoir faire face aux défis qui se présentent, tout comme Suez ou le britannique Centrica.
Voilà le monde dans lequel nous vivons, et voilà la question qui nous est posée. C'est vrai, nous aurions peut-être préféré ne pas avoir à y répondre : cela eût été plus facile, pour vous qui devez maintenant siéger, ainsi que pour le Gouvernement, qui a dû engager, mais c'est à son honneur, ce débat.
C'est aussi à l'honneur de la majorité d'avoir décidé de porter ce débat devant l'opinion et devant le Parlement.
Tout ce que vous dites aujourd'hui, vous le saviez déjà il y a deux ans, c'est scandaleux !
Ces alliances, Gaz de France doit pouvoir les nouer en respectant trois exigences.
Premièrement, la structure de bilan devra être à la hauteur des investissements massifs qui sont indispensables.
Deuxièmement, l'entreprise devra pouvoir investir pour garder un temps d'avance sur le plan technologique, s'agissant notamment du gaz naturel liquéfié, dont nous aurons souvent à reparler au cours des débats.
L'investissement à long terme, cela ne rapporte pas aux actionnaires, donc ce n'est pas bon !
Troisièmement, l'entreprise devra avoir un portefeuille de clients large et diversifié.
Gaz de France doit atteindre ces objectifs sans se fragiliser par le recours massif à l'endettement. À cet égard, je sais que certains d'entre vous ont recouru largement à l'endettement dans le passé
M. Jean-Jacques Hyest approuve
, mais je pense sincèrement qu'il est de mon devoir de mettre en garde contre cette pratique. Certaines entreprises publiques, je le sais d'expérience, ont été pratiquement mises en situation de dépôt de bilan parce qu'on n'a pas eu le courage de faire évoluer leur capital. Vous savez très bien de quoi je parle ! Dans l'exemple que j'ai plus particulièrement à l'esprit, on a pratiqué un endettement massif, à hauteur de 70 milliards d'euros, parce qu'on n'a pas eu le courage politique de poser les questions que l'on devait se poser et d'y apporter des réponses !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Je ne parlerai même pas de la dette de la nation, qui, elle aussi, a été créée de la manière que l'on sait, à force de reporter au lendemain ce qui devait être fait le jour même.
En ce qui concerne Gaz de France, la question nous est posée pratiquement dans les mêmes termes : avons-nous le courage politique d'y apporter des réponses, tout en tenant compte de ce à quoi nous sommes attachés, notamment les missions de service public dévolues à l'opérateur gazier, ...
... ou bien voulons-nous simplement laisser les choses se faire, c'est-à-dire ne pas se faire ?
C'est dans ce contexte que Gaz de France a développé un projet industriel avec Suez, que nous avons eu, du reste, l'occasion d'évoquer ici même, au mois de juin dernier. Ce projet industriel, discuté et mûri de longue date, est fondé sur le rapprochement de Gaz de France et du groupe qui lui est apparu - j'insiste sur le fait que c'est l'analyse de GDF - être le mieux à même de lui permettre de répondre aux problèmes et aux défis auxquels il est confronté.
Ce projet conduit à une fusion, en vue de mettre en commun toutes les forces industrielles et financières des deux entreprises. En devenant ainsi le premier fournisseur de gaz en Europe, le nouveau groupe sera un acteur incontournable pour les producteurs, ce qui lui ouvrira les meilleures perspectives pour acheter du gaz aux conditions les plus compétitives...
Il sera également en mesure de mener une politique encore plus volontariste d'investissements en amont. Il aura, enfin, une capacité équilibrée dans les secteurs de l'électricité et du gaz, ce qui sera un atout indispensable pour ses clients.
La seule question qui nous est posée, c'est celle de l'avenir de Gaz de France.
Bien sûr, c'est le projet GDF-Suez qui a enclenché le mouvement, mais cette démarche a toujours été conçue en trois temps, ainsi que je l'ai expliqué dès le premier jour.
Il y a eu, tout d'abord, le temps de la concertation sociale. On m'a dit - je ne sais pas si c'est exact, mais je n'ai pas de raison d'en douter - que peu de projets de loi avaient fait l'objet d'une telle concertation préalable avant d'être présentés au Parlement.
C'était pour convaincre les parlementaires de l'UMP ! Cela vous a pris beaucoup de temps !
En plus de trois mois, François Loos et moi-même avons tenu avec les organisations syndicales près de quarante réunions, que nous avons conduites tous les deux, pour dialoguer, pour écouter, pour expliquer.
Je parle des organisations syndicales, madame la sénatrice !
Après qu'elles eurent obtenu les réponses aux questions légitimes qu'elles se posaient, vint le temps du Parlement, marqué notamment par le débat sans vote qui s'est tenu au mois de juin dernier et au cours duquel tout le monde a pu s'exprimer. Je rappelle également que, après ce débat sans vote, nous avons souhaité donner du temps à tous, afin notamment que les commissions puissent travailler et les parlementaires s'informer.
Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
M. Thierry Breton, ministre. Mon bureau et celui de François Loos sont restés ouverts tout l'été, ce qui est normal. Nombre d'entre vous, et je les en remercie, ont consacré beaucoup de temps à ce dossier, en prenant sur leurs congés d'été pour dialoguer avec nous, afin de bâtir ensemble, dans l'intérêt des Français, la base d'un texte républicain.
Rires et exclamations sur les travées du groupe CRC.
Maintenant, après que ce texte a été examiné à l'Assemblée nationale au cours de la session extraordinaire, nous allons en débattre dans cette enceinte.
M. Thierry Breton, ministre. Viendra ensuite le troisième temps, celui des actionnaires.
Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC.
Je m'attendais à de telles réactions, mais les actionnaires, cela existe ! Ils auront à se prononcer sur le projet final.
M. Thierry Breton, ministre. C'est à eux qu'il appartiendra de se prononcer sur le mariage entre Suez et GDF, et non pas, je le redis, au Parlement. Le rôle de ce dernier est de légiférer sur la souplesse qu'il convient d'accorder ou non à Gaz de France pour nouer les alliances de son choix. C'est de cela dont nous allons débattre ensemble.
Marques d'approbationsur les travées de l'UMP.
La seule question qui se pose aujourd'hui à nous est donc la suivante : compte tenu des enjeux et des récentes mutations de son environnement, convient-il ou non d'autoriser Gaz de France à se renforcer, à évoluer au rythme de ses concurrents, et si oui à quelles conditions et avec quelles garanties ? C'est le Parlement qui en décidera.
Il faut trouver un équilibre entre la flexibilité nécessaire à Gaz de France pour nouer des alliances et le contrôle d'une part suffisante du capital de l'entreprise par l'État, car nous souhaitons continuer à assumer notre devoir de vigilance.
Comprenons-nous bien : il ne s'agit en aucun cas de vendre des actions. Le seul objectif est de permettre la réalisation d'un projet industriel en donnant des marges de manoeuvre à l'entreprise.
Il se trouve que j'ai vécu plusieurs fois dans ma vie des débats de ce type, sous des majorités tant de gauche que de droite.
À chaque fois que l'État décide que l'intérêt de l'entreprise est d'aller de l'avant, celle-ci utilise finalement la possibilité ouverte pour nouer une alliance industrielle qui lui est indispensable.
Ainsi, on a donné à Renault la possibilité d'aller de l'avant, ...
... c'est-à-dire que l'on a demandé au Parlement d'autoriser l'État à détenir moins de 50 % du capital.
À l'époque, souvenez-vous, Renault voulait se marier avec Volvo. Finalement, grâce à cette autorisation, le groupe Renault-Nissan a pu être créé.
Souvenez-vous des débats qui ont eu lieu sur ce thème ! Ils ont même entraîné la démission d'un grand président d'une entreprise aéronautique, Air France, qui souhaitait nouer une alliance industrielle avec British Airways ; l'autorisation nécessaire lui ayant été refusée, il en a tiré les conséquences en démissionnant. Quand nous sommes arrivés aux affaires, nous avons immédiatement, sous la conduite du Premier ministre, M. Raffarin, donné à Air France la possibilité de s'allier, finalement, à KLM.
Grâce à cette décision, nous avons aujourd'hui le premier opérateur aéronautique mondial, et celui qui dégage le plus de profits !
M. Thierry Breton, ministre. Merci, monsieur Raffarin, d'avoir eu le courage de répondre à cette demande de l'entreprise ! Merci de lui avoir permis d'être aujourd'hui le leader mondial dans son secteur !
Applaudissementssur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Je vous appelle, les uns et les autres, à assumer vos responsabilités !
Vous parlerez à votre tour, madame Borvo ! Cessez de répondre, c'est insupportable !
Vous voterez ce que vous voudrez, en votre âme et conscience, mais il est de mon devoir de vous rappeler les objets et les enjeux de ce débat.
Revenons-en aux éléments qu'il me semble indispensable de préserver, pour que l'intérêt général auquel nous sommes tous attachés soit garanti, y compris dans le cadre des alliances que Gaz de France pourra nouer.
Tout d'abord, il nous semble souhaitable, dans cette optique, de ramener à un tiers l'obligation de détention du capital de Gaz de France par l'État. C'est ce que souhaite et propose le Gouvernement, mais c'est vous qui déciderez, et personne d'autre. C'est le Parlement, et non le Gouvernement, qui doit décider si oui ou non sera autorisée la modification d'une loi pour tenir compte d'éléments nouveaux.
Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.
Le seuil juridique du tiers du capital confère en effet un pouvoir important.
L'actionnaire qui détient ainsi - veuillez m'excuser de tenir ces propos sur le droit des sociétés, mais je suis contraint de le faire, puisque certains ont l'air de méconnaître...
M. Thierry Breton, ministre. ...le pouvoir de celui qui détient un tiers du capital
Rires ironiquessur les travées du groupe CRC.
Je disais que l'actionnaire qui détient ce que l'on appelle la « minorité de blocage » a une capacité déterminante sur toutes les décisions structurantes de l'entreprise, ...
M. Thierry Breton, ministre. ...qu'il s'agisse d'une fusion ou d'une scission, de tout appel au capital, de toute évolution de l'objet social ou même du siège.
M. Daniel Raoul s'exclame.
Par ailleurs, il vous est proposé de mettre en place une action spécifique sur les actifs essentiels à la sécurité d'approvisionnement. Nous l'avons toujours dit, l'action spécifique que nous proposons est strictement compatible à la jurisprudence européenne.
J'ai transmis au président de la commission des affaires économiques, M. Emorine, la réponse du commissaire Charlie Mc Creevy, chargé du marché intérieur, qui nous avait été demandée la semaine dernière. Il y est indiqué qu'« au vu des éléments transmis par les autorités françaises, » ses « services ont conclu que, dans son état actuel, le projet de décret ne contient pas d'élément contentieux qui mènerait la Commission à ouvrir une procédure d'infraction à l'encontre de la France ».
M. le président de la commission des affaires économiques tient cette lettre à votre disposition, ainsi que tous les documents qui peuvent vous intéresser.
Le président du groupe socialiste a demandé que le projet de décret d'application soit transmis, ...
...ce que je fais bien volontiers auprès de la commission des affaires économiques.
Par ailleurs, je veux insister sur deux points de la façon la plus claire qui soit.
En premier lieu, il n'y a aucun lien entre la détention du capital et les tarifs.
Cette question est très fréquemment évoquée et nous aurons l'occasion d'y revenir.
Ainsi, en 2000, alors que Gaz de France était la propriété à 100 % de l'État français, MM. Fabius et Strauss-Kahn ont augmenté les tarifs du gaz pour les particuliers de 30 % en moins d'un an. Je ne leur jette pas la pierre, parce qu'ils ont sans doute procédé à ces augmentations à leur corps défendant, ...
M. Thierry Breton, ministre. ...et parce qu'ils ont appliqué la loi sur les tarifs réglementés, qui sont fixés après avis de la Commission de régulation de l'énergie
Mme Demessine s'exclame.
Ce principe existe et s'applique ; c'est tout. On peut ensuite essayer de se raconter des histoires - pardonnez-moi l'expression -, la réalité est celle que je vous décris.
Nous aurons le temps d'en débattre.
Les principales garanties qui doivent être données pour une évolution de Gaz de France sont donc celles-ci : une détention du capital qui serait ramenée à 34 % pour l'État, ...
...des actions spécifiques sur les terminaux méthaniers, les infrastructures de transport, mais également les stockages stratégiques.
En second lieu, je tiens à redire le plus clairement possible que nous donnerons ainsi à Gaz de France la possibilité de nouer les alliances de son choix pour aller de l'avant.
A cet égard, nous soutenons le projet de Gaz de France de s'allier avec Suez. Il lui appartiendra, le moment venu, de le finaliser, et lorsque les informations finales nous seront communiquées, nous en débattrons avec la commission des affaires économiques. Je souhaite vivement que ce projet aboutisse, mais ce qui est au coeur du débat aujourd'hui, c'est la possibilité d'aller de l'avant, comme ont pu le faire les entreprises que j'ai citées tout à l'heure, ...
... même s'il peut arriver, in fine, que les unions réalisées ne soient pas celles qui avaient été envisagées initialement. Évidemment, je souhaite vivement que Gaz de France se marie avec Suez, mais la question que nous posons n'est pas celle-ci. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)
J'en viens à EDF. Je sais que c'est votre sujet favori, et je vous remercie de la patience dont vous avez fait preuve !
La fusion entre EDF et GDF a été examinée de la façon la plus approfondie en 2004 - c'est une date marquante pour le secteur de l'énergie !
Vives protestations sur les travées du groupe CRC.
Elle a conclu de façon très claire que cette hypothèse devait être écartée, compte tenu des cessions très importantes qu'il faudrait consentir pour respecter le droit de la concurrence. Ces conclusions sont actuellement disponibles sur le site Internet du ministère.
Ces cessions toucheraient plusieurs centrales nucléaires : sept, dix, voire quinze centrales pourraient être concernées. Comme je l'ai dit tout à l'heure, certains ne se préoccupent pas du parc nucléaire français. Pour notre part, au Gouvernement...
M. Thierry Breton, ministre. ...et au sein de la majorité - je sais que les membres du groupe CRC partagent ce point de vue -, nous estimons tout à fait inconcevable de démanteler le parc nucléaire français.
Applaudissementssur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous vous transmettrons tous les éléments nécessaires à votre information.
En 2005, Gaz du Portugal et Électricité du Portugal ont voulu se marier. Eh bien, cette fusion n'a pas eu lieu. Je tiens à votre disposition les documents contenant les raisons exactes du refus de la Commission européenne et de la Cour européenne de justice.
M. Thierry Breton, ministre. Monsieur le président, je voudrais conclure
Ah !sur les travées du groupe socialiste.
Je le dis avec beaucoup d'humilité - c'est un sujet difficile - et de sérénité. En effet, avec François Loos, nous nous présentons devant la Haute Assemblée en ayant clairement le sentiment d'avoir énormément dialogué pendant plusieurs mois.
Ceux qui sont venus à notre rencontre le savent, que ce soient les acteurs sociaux - Dieu sait qu'ils jouent un rôle important ! -, les parlementaires ou l'opinion publique.
L'opinion publique est contre, vous le savez bien, monsieur le ministre !
M. Thierry Breton, ministre. Nous sommes prêts désormais, François Loos et moi-même, à les tenir au sein de cet hémicycle. Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés que, quel que soit le temps que vous estimerez nécessaire, nous serons présents pour répondre à vos questions.
Applaudissementssur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.- Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC brandissent à nouveau leurs maillots.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l'issue de près de quatre semaines de débat à l'Assemblée nationale, nous voici, à notre tour, saisis du projet de loi relatif au secteur de l'énergie.
Même si les délais sont courts, nous avons bien conscience des contraintes. Je tenais à remercier le Gouvernement d'avoir d'ores et déjà prévu un nombre de jours de séance important, qui nous permettra d'aborder tous les enjeux de cette discussion.
Je me félicite également du fait que l'opposition au Sénat ait fait le choix d'une stratégie plus constructive qu'à l'Assemblée nationale en ne déposant « que » 650 amendements, ce qui représente tout de même un chiffre important. Il est vrai que, ces derniers temps, nos repères en la matière avaient été quelque peu bousculés...
Je ne doute pas malgré tout que, dans ces conditions, nous ayons un vrai débat constructif, et je m'engage, à cet égard, à répondre aussi précisément que possible aux questions des uns et des autres.
Malheureusement, la bataille...
...à laquelle vous faisiez allusion, monsieur le ministre, qui a eu lieu à l'Assemblée nationale, où plus de 137 000 amendements avaient été déposés - dont plus de 50 000 sur le seul article 10 -, ...
Sourires
...a éclipsé les autres aspects pourtant majeurs de ce texte. Vous avez bien fait de les rappeler.
En effet, hormis la question de la privatisation de Gaz de France, les autres dispositions de ce projet de loi sont fondamentales.
Elles ont tout d'abord vocation à insérer dans notre droit interne les derniers éléments des directives européennes relatives aux marchés énergétiques que nous n'avions pas encore transposés.
Cela concerne, en premier lieu, l'ouverture à la concurrence pour les particuliers des marchés de l'électricité et du gaz naturel à compter du 1er juillet 2007. Nous abordons ainsi la dernière étape d'un mouvement progressif de libéralisation et d'unification de ces marchés au niveau européen. Ce processus, entamé voilà désormais plus de vingt ans avec l'Acte unique européen, avait été relancé - vous y avez fait allusion, monsieur le ministre - lors du sommet européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002, auquel notre pays était représenté par M. Jospin.
C'est exact.
Au cours de cette rencontre, les États membres s'étaient alors engagés à adopter dès que possible les propositions de directives en instance concernant la phase finale de l'ouverture de ces marchés à la concurrence.
Je tiens à rappeler que les gouvernements français successifs, toutes sensibilités politiques confondues, n'ont jamais remis en cause ce processus. Surtout, il s'agit d'un mouvement sur lequel il m'apparaît très difficile, si ce n'est impossible, de revenir. Dans ce contexte, il appartient au législateur de mettre en oeuvre les dispositions nécessaires au maintien des spécificités de notre secteur énergétique afin d'en préserver ses points forts.
Il est d'abord indispensable d'assurer la sécurité juridique du système tarifaire français. Sans mesures législatives, celui-ci se trouverait dépourvu de base légale à compter du 1er juillet 2007 et pourrait être remis en cause à l'occasion d'un contentieux communautaire. De ce point de vue, le projet de loi apporte incontestablement cette stabilité juridique et, surtout, garantit la pérennité des tarifs au bénéfice des consommateurs ne souhaitant pas exercer leur éligibilité.
J'ajoute que le projet de loi, s'inspirant des travaux de très grande qualité effectués par M. Jean-Claude Lenoir, en sa qualité de président du Conseil supérieur de l'énergie, est extrêmement protecteur pour les consommateurs, puisque ceux d'entre eux qui feront le choix de la concurrence pourront revenir au tarif lors des changements de site de consommation, c'est-à-dire en cas de déménagement.
Cela concerne chaque année, en moyenne, près de 10 % des Français.
En outre, pour protéger les consommateurs particuliers, le projet de loi renforce de manière tout à fait opportune les obligations d'information précontractuelles et contractuelles reposant sur les fournisseurs d'électricité et de gaz.
Il nous appartient, en deuxième lieu, de procéder, là aussi avant le 1er juillet 2007, à la transposition des volets des directives prévoyant la séparation juridique des gestionnaires de réseaux de distribution. Il s'agit d'une obligation afin de garantir la neutralité des gestionnaires de réseaux de distribution, les GRD, vis-à-vis de tous les fournisseurs.
Enfin, au chapitre du service public, le projet de loi institue, à l'instar de ce qui existe depuis 2004 dans le domaine de l'électricité, un tarif social en gaz qui s'adressera aux ménages les plus démunis et qui sera applicable dès cet hiver.
Au-delà des dispositions contenues dans le projet de loi initial, les députés ont enrichi le texte de manière substantielle.
Tout d'abord, ils ont introduit des dispositifs concernant notre régulateur énergétique, la Commission de régulation de l'énergie.
L'Assemblée nationale a, d'une part, élargi ses compétences et défini ses missions générales et, d'autre part, modifié les règles de composition du collège.
Si les dispositions relatives aux compétences de la CRE ne posent pas de problème, la commission des affaires économiques ne vous proposant que quelques adaptations à la marge, la réforme du collège est, quant à elle, plus problématique.
Dans le schéma instauré par l'Assemblée nationale, le collège compterait désormais douze commissaires puisque, outre sept membres désignés selon les modalités actuelles, seraient membres de cette instance quatre parlementaires et un représentant des consommateurs. Par ailleurs, à l'exception du président, les autres commissaires n'exerceraient plus leur fonction à plein temps.
La commission des affaires économiques ne souscrit pas à l'économie générale de cette réforme. Vous avez fait allusion à mes amendements, monsieur le ministre. La commission a considéré, avec moi, que la présence de parlementaires au sein d'une autorité administrative indépendante était, à la fois, contraire au principe de séparation des pouvoirs...
... et difficile à mettre en oeuvre compte tenu de nos obligations.
Il faut que vous sachiez, mes chers collègues, que la Commission de régulation de l'énergie se réunit régulièrement deux à trois jours entiers par semaine, plus particulièrement les mardis et mercredis.
MM. Roland du Luart et Henri Revol. Voilà !
Quant à la présence d'un représentant des consommateurs, nous l'avons également jugée problématique, puisque sûrement contraire aux directives et difficile à mettre en oeuvre, compte tenu de l'impossibilité de trouver un membre unique représentant tous les consommateurs dans leur diversité.
C'est pourquoi la commission des affaires économiques vous propose, conjointement avec la commission des finances - et je me réjouis de la complicité que nous avons eue, Philippe Marini et moi-même, à cet égard -, de revenir sur cette réforme afin de maintenir les principes actuels de nomination de la CRE et de mettre en oeuvre les préconisations avancées par notre collègue Patrice Gélard, dans un remarquable rapport...
... qu'il a récemment publié sur les autorités administratives indépendantes.
Cet amendement prévoit, à cet égard, une dissociation, au sein de la CRE, entre les fonctions de régulation et les missions de sanction, en créant un comité de règlement des différends, de la médiation et des sanctions. La création de cette nouvelle instance, qui compterait six membres dont un président, est notamment nécessaire pour nous mettre en règle au regard des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme.
Cet amendement va également moins loin dans la voie de la « déprofessionnalisation » du collège, puisque ce dernier compterait, parmi ses sept membres, trois commissaires professionnels, le président toujours nommé par décret, et deux vice-présidents désignés par les présidents des assemblées parlementaires. Les autres membres seraient rémunérés à la vacation.
Dernier aspect de la réforme que nous proposons, nous souhaitons confier les compétences liées à la médiation des litiges commerciaux entre fournisseurs et consommateurs particuliers à ce comité. Les fonctions de médiateur national de l'énergie, instance créée par les députés, seraient donc exercées par le président du comité.
Ensuite, l'Assemblée nationale a adopté un dispositif, dit de « tarif transitoire », que nous appelons plus communément « tarif de retour », lequel s'adresse aux entreprises qui ont exercé leur éligibilité et qui ont vu leur facture d'électricité considérablement augmenter au cours des dernières années.
Il s'agit, là encore, d'un mécanisme très important pour la compétitivité de notre économie, mais qui, dans ses modalités, risque de nous poser problème au regard des autorités bruxelloises.
L'article adopté par les députés permet aux consommateurs ayant exercé leur éligibilité de bénéficier d'un tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché pour une durée de deux ans renouvelable. Ce tarif serait fixé à un niveau qui ne pourrait excéder 30 % par rapport aux tarifs réglementés applicables à des sites de consommation comparables.
La commission des affaires économiques a considéré que le caractère pérenne de la mesure était de nature à la rendre euro-incompatible.
C'est pourquoi, tout en approuvant l'esprit de ces dispositions, nous vous proposons de supprimer leur caractère renouvelable et nous prévoyons d'établir un bilan de ce dispositif avant la fin de l'année 2008, pour envisager sa prolongation, s'il y a lieu.
Nous évoquerons ce point lors de l'examen de cet amendement. Il mérite débat, car il s'agit là d'un mécanisme important.
J'en viens maintenant au contexte énergétique européen, qui a conduit le Gouvernement à proposer au Parlement de revenir sur le statut actuel de Gaz de France. À cet égard, je vous remercie, monsieur le ministre, de nous en avoir déjà dressé un profil, que je qualifierai de pragmatique.
Depuis deux ans, le secteur de l'énergie dans notre continent a subi d'importantes mutations. Quelles sont les principales caractéristiques de ces évolutions ?
L'on constate, d'abord, un accroissement des tensions sur les marchés de l'énergie. Les ressources d'énergie fossile s'amenuisent - vous y avez fait allusion, monsieur le ministre -, les investissements de production d'électricité sont insuffisants, et tout cela se produit dans un contexte de hausse croissante de la demande.
Ensuite, le paysage industriel est, quant à lui, en ébullition. Dans le cadre de la constitution du marché européen de l'énergie, les opérateurs historiques nationaux cherchent des partenariats. Je ne m'aventurerai pas dans une description exhaustive de tous ces mouvements, mais je citerai, pour mémoire, plusieurs faits récents.
Ainsi, l'Espagne est actuellement le terrain de manoeuvres industrielles portant sur le rachat de l'électricien Endesa, que la compagnie E.ON regarde avec gourmandise et qu'une entreprise du secteur du bâtiment en Espagne observe également avec l'oeil du « défenseur » !
Cet été - vous l'avez tous observé, mes chers collègues -, Gazprom et la Sonatrach ont passé un accord important, qui a pour conséquence directe de rendre l'Europe encore plus dépendante de la même entité, ...
... pour un tiers de ses importations gazières.
Gazprom, toujours lui, a pris 10 % du capital du principal électricien russe, qui fournit près de 70 % de l'électricité aux consommateurs russes.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Alors, cela veut dire qu'il se passe quelque chose, mes chers collègues, et que nous devons en tenir compte ! Nous ne pouvons pas garder les yeux fermés !
Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Nos opérateurs historiques ne sont pas restés à l'écart de ce mouvement, puisqu'ils ont eux-mêmes poursuivi cette stratégie d'internationalisation.
Je vous le rappelle, EDF est désormais un grand électricien : en Italie, avec Edison, ou en Grande-Bretagne, avec London Energy.
De même, Gaz de France n'a pu trouver de partenaires, mais la compagnie compte de nombreux clients dans plusieurs pays européens, au nombre desquels l'Italie et la Roumanie.
De manière plus générale, le secteur énergétique européen se caractérise par un vaste mouvement de convergence entre gaziers et électriciens pour fournir les deux énergies aux consommateurs.
Dans le même temps, le prix des énergies connaît une poussée à la hausse, en particulier celui des hydrocarbures. Le marché de l'électricité a enregistré, lui aussi, de très fortes tensions, ce qui a eu des conséquences économiques très substantielles pour un bon nombre d'entreprises françaises.
Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce phénomène.
La première, la plus importante à mes yeux, réside dans le fait que les pays de l'Union européenne, y compris la France, manquent considérablement de moyens de production. D'ici à 2030, on considère que l'Europe doit construire l'équivalent en puissance de cinq parcs électronucléaires français. Il s'agit d'une question cruciale à double titre.
D'une part, cette insuffisance de l'offre pèse sur la sécurité des réseaux électriques, puisque notre pays est régulièrement à la limite de l'équilibre, hiver comme été - et chacun le sait bien dans cette enceinte -, ce qui nous impose des importations périodiques massives d'électricité.
D'autre part, ce déséquilibre entre l'offre et la demande contribue aux tensions sur les prix.
La deuxième raison a trait à la mise en place d'un marché des permis d'émission de dioxyde de carbone. Avec un prix de la tonne de CO2 aux alentours de 20 euros, le prix du mégawatt-heure sur les marchés s'accroît mécaniquement de plus de 10 euros, ce qui est considérable.
Enfin, troisième raison, le renchérissement du pétrole et du gaz est un phénomène qui pèse, lui aussi, sur les coûts de production des installations utilisant ces sources d'énergie pour l'électricité.
Pourquoi rappeler l'ensemble de ces éléments factuels ? Tout simplement, pour vous démontrer que, en deux ans, la situation a considérablement évolué et que nous ne pouvons pas rester les bras croisés et nous contenter de la subir.
Le projet de loi constitue, à cet égard, une réponse plus que bienvenue à ces changements. Mieux encore, je dirai qu'il s'agit d'une réponse nécessaire. Cela conduit le Gouvernement à demander au Parlement l'autorisation d'abaisser la part de l'État dans le capital de Gaz de France sous le seuil des 50 % afin de doter l'entreprise des armes nécessaires pour affronter cette nouvelle concurrence.
Cette entreprise n'est pas moyenne à l'échelon national, car Gaz de France est une grande entreprise française. Mais, sur le plan mondial, elle est somme toute de taille moyenne.
Mes chers collègues, nous ne sommes certes pas ici pour statuer sur la fusion Gaz de France-Suez.
Cette question relève de la seule responsabilité des conseils d'administration des entreprises.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Nous ne sommes pas là non plus, et je pèse bien mes mots, pour jouer le chevalier blanc de Suez.
Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Toutefois, il est clair que c'est le projet industriel qui devrait découler directement de la privatisation de Gaz de France. À ce sujet, je voudrais réaffirmer avec force tout le soutien que j'apporte à cette opération, préparée de longue date...
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... puisque, comme les membres de la commission des affaires économiques le savent bien, avant 2004, Pierre Gadonneix, alors président de Gaz de France, l'évoquait déjà devant nous !
Exclamations sur les travées du groupe CRC.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement s'était engagé à l'époque à ce que l'État reste actionnaire à 70 % !
L'opération donnera à notre gazier les moyens de poursuivre son développement et d'investir dans les années à venir. Elle permettra la constitution d'une superbe entreprise qui sera le numéro un mondial dans le domaine du gaz naturel liquéfié - vous l'avez dit, monsieur le ministre -, ce qui représente un enjeu stratégique à l'heure de la nécessaire diversification de nos sources d'approvisionnement gazier
Ce sera aussi le premier fournisseur de gaz en Europe et le cinquième producteur d'électricité, avec 6 millions de clients.
Enfin, l'opération favorisera le rapprochement d'un grand gazier européen, doté d'un large portefeuille de clientèle domestique, avec un grand électricien européen, présentant en outre, tous deux, des complémentarités sur le plan géographique.
Je ne m'étendrai pas à l'excès sur ce sujet, puisque nous aurons l'occasion d'y revenir abondamment.
Toutefois, je ne veux pas achever mon propos sans avoir répondu, par avance, à quelques questions qui risquent de nous être posées par les détracteurs de ce projet de loi, tout au long de cette discussion.
Exclamations sur les travées du groupe CRC.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Y avait-il des solutions industrielles alternatives ?
Oui ! sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Exclamations sur les mêmes travées.
Cependant, parmi les énergéticiens européens de taille comparable à Gaz de France présentant des complémentarités aussi évidentes que Suez, la réponse est vraisemblablement négative.
Oh ! sur les travées du groupe CRC.
Mes chers collègues, écoutez un peu de temps en temps !
Je vous signale que les portes de la firme espagnole Endesa nous sont fermées.
Par ailleurs, un mariage avec la compagnie britannique Centrica eût été plus que hasardeux !
Disons que la fiancée n'était pas forcément la plus belle !
Fallait-il alors privilégier la solution des participations croisées ?
... et ces dernières ont considéré que le seul projet industriel véritablement porteur de sens passait par une fusion. Respectons ce choix !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'eût certainement été un bon choix voilà dix ans.
Ah !sur les travées du groupe CRC.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Nous l'avions évoqué voilà deux ans, constatant déjà à l'époque qu'une telle proposition arrivait trop tard
M. Jean-Marc Pastor s'exclame.
Monsieur le ministre, vous avez réveillé notre mémoire, et vous avez eu raison. Rappelons-le, si nous souhaitons fusionner ces deux entreprises, nous devrons en demander l'autorisation à la Commission européenne. Si d'aventure cette dernière venait à valider un tel scénario, ce qui est loin d'être évident au regard de la décision qu'elle a rendue au sujet des énergéticiens portugais, ce ne serait qu'au prix d'importantes cessions d'actifs, ...
... évaluées par la commission Roulet, au sein de laquelle siégeaient des parlementaires de toutes les sensibilités politiques, à 15 % des activités que chaque entreprise devrait abandonner à tous les stades de la chaîne énergétique.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. En clair, que vous le vouliez ou non, cela contraindrait EDF-GDF fusionnées à abandonner non seulement des centrales nucléaires
Exclamations sur les travées du groupe CRC.
Je vous interroge : pensez-vous sérieusement que les salariés d'EDF et de Gaz de France verraient avec plaisir ces entreprises obligées d'abandonner les marchés du Nord-Pas-de-Calais et de PACA pour donner satisfaction aux exigences de Bruxelles ? Je ne le pense pas !
D'autres exigences seraient fixées à Gaz de France, qui serait contraint d'abandonner des capacités de stockage, voire des parts de ports méthaniers.
Je pense sincèrement que ce serait particulièrement préjudiciable pour les entreprises EDF et GDF.
Dans tous les cas, une telle stratégie serait économiquement absurde...
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... et, je pèse bien mes mots, socialement inacceptable.
Très bien ! sur les travées de l'UMP. -Rires
Autre question : la privatisation de Gaz de France permettra-t-elle d'accroître les investissements et de préparer notre avenir énergétique ? Je réponds : bien sûr ! C'est précisément pour permettre à GDF d'avoir accès à de nouvelles sources de financement que nous autorisons une ouverture plus large de son capital, de façon à donner au groupe la taille critique nécessaire pour investir.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. La privatisation remet-elle en cause notre indépendance énergétique ?
Oui !
Comme je l'indiquais, la fusion avec Suez donnera naissance à un géant mondial du gaz naturel liquéfié qui nous permettra de diminuer notre dépendance à l'égard des principaux exportateurs de gaz par gazoduc.
Lisez de temps en temps les expertises, chère collègue !
Les livraisons de gaz liquéfié vont doubler sur le territoire national dans les quinze années à venir ; cette démarche est donc une manière d'assurer notre indépendance énergétique.
La privatisation implique-t-elle la disparition des contrats de concession signés avec les collectivités territoriales ? Là encore, la réponse est négative, puisque Gaz de France garde son monopole de distribution dans sa zone de desserte historique tout en conservant l'obligation de procéder à une péréquation des coûts de distribution.
L'entreprise résultant d'une éventuelle fusion Suez-Gaz de France pourra-t-elle faire l'objet de toutes les convoitises de groupes étrangers ?
En théorie oui, puisque seuls 46 % du capital devraient être détenus par un actionnariat stable. En pratique, cette menace reste plus qu'improbable en raison de la présence de l'État français, à hauteur de 34 %, dans le capital de l'entreprise.
Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
À cet égard, je rappellerai que Gazprom a essayé cette année de prendre le contrôle du gazier britannique Centrica : cela n'a pas été possible, tout simplement en raison de l'opposition du Gouvernement britannique.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Celui-ci n'est pourtant pas nécessairement réputé pour être le plus interventionniste des gouvernements en Europe, et il possédait 0 % du capital de l'entreprise ! Cela démontre que, en matière d'énergie, même avec des acteurs privés, rien ne peut se faire contre la volonté de l'État.
Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Le service public va-t-il disparaître avec la privatisation ? Bien évidemment non, puisque la loi impose à tous les opérateurs, privés ou publics, des obligations de service public.
Exclamations sur les travées du groupe CRC.
Enfin, dernière question, les prix du gaz pour le consommateur vont-ils augmenter avec la privatisation ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Oui, monsieur du Luart, vous avez raison, la réponse est claire...
Protestations sur les travées du groupe CRC.
Exclamations sur les mêmes travées.
Les prix ont donc déjà augmenté, et cela n'a aucun lien avec la structure capitalistique de l'entreprise...
... puisque les tarifs du gaz applicables aux ménages n'exerçant pas leur éligibilité resteront déterminés par le Gouvernement. Rappelons que la récente hausse des prix du gaz a été provoquée par le renchérissement du prix du pétrole. Je soulignerai d'ailleurs, peut-être avec une certaine cruauté, qu'ils ont augmenté de 8 % en 2000 et de 15 % en 2001, ...
... alors même que GDF était détenu à 100 % par l'État.
Au-delà de tous ces procès d'intention, mes chers collègues, il appartient au Gouvernement et à sa majorité d'être réalistes et pragmatiques.
Cela suppose donc de prendre les devants et de ne pas nous laisser imposer par d'autres, dans un secteur aussi stratégique que celui de l'énergie, des évolutions que nous n'aurions pas souhaitées. C'est pourquoi la majorité de la commission des affaires économiques approuve pleinement le texte du projet de loi et le soutiendra.
Je conclurai volontiers mon propos par cette phrase d'Alexandre Dumas tirée des Mille et un fantômes : « Dieu me garde de prêcher l'immobilité ! L'immobilité, c'est la mort. » Même si l'écrivain n'avait pas nécessairement pensé au secteur de l'énergie, il est clair que cette phrase s'applique parfaitement à ce secteur.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Effectivement, dans un monde toujours changeant, nous refusons clairement l'immobilité.
Très bien ! et applaudissementssur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des finances souhaite s'exprimer pour avis essentiellement de deux points de vue.
D'une part, du point de vue de l'État actionnaire, du point de vue du patrimoine public, nous nous sommes demandé si l'article 10 du projet de loi est conforme à nos intérêts bien compris.
Attendez, mes chers collègues !
D'autre part, nous avons souhaité poursuivre notre réflexion sur une problématique que nous avons souvent abordée dans le passé, celle des autorités de régulation, de leur autonomie et des moyens qu'elles peuvent mettre en oeuvre.
Par ailleurs, la commission des finances, qui est bien entendu très sensibilisée aux questions de compétitivité et d'attractivité du territoire, se sent concernée par les dispositifs qui sont de nature à garantir au consommateur final d'énergie, en particulier aux entreprises, les meilleures conditions de prix de revient. En effet, il peut s'agir pour ces entreprises d'un élément important, voire vital dans les choix de localisation, pour la réalisation d'investissements et pour la défense de l'emploi.
Je commencerai, si vous le voulez bien, mes chers collègues, par les remarques que la commission des finances a formulées sur l'article 10 ou autour de l'article 10. Cet article, qui vise à proposer une privatisation maîtrisée de Gaz de France, nous paraît bon pour l'État actionnaire.
Je vais m'efforcer de le montrer de manière aussi simple que possible.
Je ferai tout d'abord un constat : Gaz de France est une belle entreprise, mais qui est aujourd'hui enclavée et doit grandir.
C'est aussi une entreprise en bonne santé. Son introduction en Bourse, qui a été autorisée par la loi du 9 août 2004 et effectuée en juillet 2005, a été un vrai succès. Elle s'est faite de deux manières : par cession d'actions existantes et par augmentation de capital.
À la fin de septembre 2006, le cours de l'action de Gaz de France avait augmenté de 34 % par rapport à son cours d'introduction, ce qui, du point de vue du patrimoine public, a accru la valeur de la part de l'État dans son capital de 270 millions d'euros.
De plus, l'entreprise a versé à l'État, au titre de 2005, un dividende de 536 millions d'euros, en hausse de près de 50 % par rapport à 2004.
Gaz de France dispose en outre de « fondamentaux » solides. Du point de vue commercial, l'entreprise garde une position très large sur des marchés dorénavant ouverts à la concurrence, puisque sa part de marché en France, pour les clients ayant exercé leur éligibilité, reste à l'heure actuelle de 79 %. De plus, Gaz de France poursuit son développement à l'international, secteur dans lequel, en 2005, elle a réalisé 36 % de son chiffre d'affaires.
Gaz de France est par ailleurs une entreprise rentable. Son bénéfice net s'est établi à 1, 7 milliard d'euros en 2005, en augmentation de près de 30 % par rapport en 2004, pour un chiffre d'affaires consolidé de 22, 4 milliards d'euros.
Enfin, en termes financiers, Gaz de France est une entreprise peu endettée. Sa structure de bilan est saine puisque la dette financière nette des disponibilités à la fin de l'année 2005 ne représente que 20 % des fonds propres, ou encore huit mois et demi de cash flow opérationnel.
Vous me pardonnerez, mes chers collègues, d'avoir dû rappeler ces quelques chiffres, qui étaient nécessaires pour mettre en perspective le problème dont nous traitons.
Malgré ces éléments favorables dans l'instant, si l'on regarde les choses en termes de perspectives, il est clair que Gaz de France doit grandir, d'une part, pour pouvoir « peser » face à des fournisseurs de gaz puissants, de plus en plus puissants, voire surpuissants, et, d'autre part, pour ne pas rester isolé, enclavé, pendant les grandes manoeuvres qui s'opèrent sous nos yeux au sein de l'industrie européenne de l'énergie.
En ce qui concerne les fournisseurs, rappelons, mes chers collègues, et M. le ministre a évoqué ce point tout à l'heure, que 40 % du gaz commercialisé par Gaz de France provient de deux pays seulement : la Russie et l'Algérie, pays qui ont d'ailleurs conclu cet été un protocole dont nous ne connaissons pas encore toutes les conséquences concrètes.
Malgré les assurances que nous donne notre partenaire russe, la question se pose de la capacité de Gazprom à respecter dans l'avenir les contrats à long terme que cette entreprise a souscrits. Elle se pose non seulement pour des raisons politiques - nous devons les prendre en compte, notamment en référence à la crise russo-ukrainienne qui s'est produite voilà juste un an -, mais aussi pour des raisons techniques. Gazprom est aujourd'hui pour la Russie une extraordinaire pompe à finances dont la réalité économique permet à l'État russe, que l'on ne saurait bien sûr condamner pour cela, de se désendetter rapidement. Pour la Fédération de Russie, la priorité est là, plus qu'à la réalisation des investissements dans la branche exploration-production qui sont le seul gage, la seule garantie que Gazprom honorera tous les contrats à long terme actuellement signés, en cours de signature, ou qui seront signés dans un avenir proche par cette société.
Peut-être l'accord de coopération signé le 4 août 2006 entre Gazprom et la Sonatrach préfigure-t-il une « cartellisation » encore plus avancée du marché européen du gaz. Il est donc clair que Gaz de France se trouve devant l'urgente et criante nécessité de diversifier davantage encore ses approvisionnements et, à cette fin, d'atteindre une certaine « taille critique » par rapport à ses fournisseurs.
Par ailleurs, Gaz de France ne saurait rester isolé du fait de son actionnariat dans les « grandes manoeuvres » de l'industrie européenne de l'énergie.
Je rappellerai, bien que cela ait déjà été fort bien évoqué, qu'un mouvement considérable de fusions et d'acquisitions s'est déroulé depuis le début des années 2000 ; au demeurant, EDF, pour ce qui la concerne, y participe largement, et nous avons tout lieu de nous en réjouir.
Aujourd'hui, ce mouvement change d'échelle, ainsi que l'illustre, en particulier, la bataille entre l'espagnol Gas natural et l'allemand E.ON pour l'acquisition du grand électricien espagnol Endesa, valorisé à une trentaine de milliards d'euros.
Dès lors, si l'on est convaincu de cette nécessité de grandir et de se désenclaver, quelles alliances choisir ?
Cela a été dit très clairement par M. le ministre de l'économie, il n'appartient pas au présent projet de loi de trancher cette question, mais il lui appartient et il nous appartient de créer les conditions juridiques d'une bonne alliance.
Dans le passé, un passé relativement lointain - je suis d'ailleurs étonné que la mémoire soit si courte -, on évoquait des alliances entre pétroliers et gaziers. Voilà dix ans, les observateurs de ces secteurs raisonnaient en effet en ces termes, et l'on prédisait parfois un regroupement entre Total et Gaz de France.
C'était sans doute raisonnable à ce moment-là.
Aujourd'hui, l'envolée des capitalisations des grandes sociétés pétrolières ne permet plus d'envisager de telles alliances ou de tels regroupements, car cela marginaliserait complètement, diluerait totalement la présence de l'État dans le capital de l'entité qui résulterait d'un tel rapprochement.
Par conséquent, si l'on exclut cette orientation qui pourrait avoir un sens du point de vue industriel mais qui n'est plus possible, quelles alliances sont-elles concevables ?
Il en est deux. La première a souvent été évoquée - on y reviendra sans doute au cours des débats -, c'est le regroupement d'EDF et de GDF.
La seconde, qui a fait l'objet d'une annonce de principe dès le mois de février dernier, concerne le regroupement avec le groupe Suez-Electrabel, celui-ci me paraissant aujourd'hui être la formule la meilleure, celle qui présente le plus d'avantages au moins du point de vue de l'État actionnaire.
Mes chers collègues, je parle de l'État actionnaire. Je me suis efforcé de dire dès le départ que c'était l'angle d'attaque de la commission des finances qui ne saurait être critiquée pour cela, ...
car elle se considère un peu comme gardienne du patrimoine public, du patrimoine collectif et de sa valorisation.
Par conséquent, si j'accole le terme « État » au terme « actionnaire », je pense que, à ce point de l'exposé, le terme « actionnaire » n'a pas lieu de vous faire peur.
En ce qui concerne EDF, je me réfère à une analyse juridique dont j'ai eu connaissance, réalisée d'ailleurs à la demande de l'Agence des participations de l'État, et qui émane d'un grand cabinet juridique parisien, le cabinet Bredin-Prat. Cette étude, qui est disponible, montre en termes très argumentés que la fusion d'EDF et de GDF renforcerait la position dominante d'EDF et de GDF sur leur marché historique, en fait par élimination de leur principal concurrent potentiel.
Qui est le principal concurrent potentiel d'EDF dans un marché où se développera l'offre multi-énergies ? C'est GDF. Et qui est le principal concurrent potentiel de GDF sur un tel marché ? C'est EDF.
Si l'un et l'autre fusionnent, compte tenu de la force dont il s'agit, le principe même de la concurrence sera totalement privé d'effet sur le territoire de la République française. Et la capacité de ce nouveau groupe de s'imposer dans les offres commerciales « multi-énergies » renforcerait encore cet effet de domination.
Il en résulte, d'un point de vue juridique, que la Commission européenne, dans le cadre des compétences qui lui sont reconnues par les traités, ferait naturellement payer très cher - je ne juge pas, je dis le droit et les faits - la création d'une telle position dominante de marché. C'est pourquoi l'étude que j'ai citée, qui est publique, estimait que la Commission européenne ne pourrait autoriser une telle fusion qu'en cas de cession d'actifs majeurs. M. le ministre et M. le rapporteur ont donné des exemples concrets sur ce que cela pourrait signifier, M. le rapporteur aussi : 10 % à 15 % du parc nucléaire d'EDF, 15 % à 20 % de capacités de stockage de gaz compétitives de GDF.
Mes chers collègues, de telles conséquences seraient à l'évidence insupportables.
J'ajouterai à titre personnel, hors de l'analyse juridique, un argument supplémentaire pour récuser une telle issue.
Nous verrions aussi se constituer un véritable « empire énergétique » d'une puissance absolument considérable, un « État énergétique dans l'État », qui serait certainement bien difficile à orienter pour un État actionnaire beaucoup plus faible que son immense filiale avec les perspectives qui lui seraient ouvertes en France, en Europe et à l'extérieur.
Et si l'on veut rester dans un État bien administré, il faut quand même se préoccuper quelque peu de l'équilibre. Une telle concentration - 180 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 215 000 employés - est-elle véritablement une perspective soutenable ?
C'est votre droit de le penser !
S'agissant de Suez, nous pouvons faire état de complémentarités évidentes, d'une diversification bienvenue des approvisionnements de gaz grâce à des contrats qui existent déjà et qui sont susceptibles de se développer, notamment avec le Qatar et le Yémen. M. le rapporteur a fait allusion très clairement à la possibilité que représente le marché du gaz pétrolier liquéfié. On peut dire que, à l'horizon 2007, la dépendance à l'égard de la Russie et de l'Algérie est susceptible de baisser déjà de manière significative, la part de ces deux pays retombant de 40 % environ à quelque 26 %, ce qui est une donnée aisément vérifiable.
Mme Nicole Bricq s'exclame.
Par ailleurs, une grande complémentarité des actifs gaziers et électriques des deux groupes permet de se positionner de manière crédible sur les offres multi-énergies. Des synergies opérationnelles, des économies liées au rapprochement ont été chiffrées par les deux groupes et surtout cautionnées par des études indépendantes d'analystes financiers, à un montant compris entre 500 millions d'euros et 1 milliard d'euros à l'horizon 2009, 2010, 2012, selon les différentes études. C'est évidemment un enjeu tout à fait considérable. Le nouvel ensemble aura les moyens de son efficacité économique.
Dès lors, mes chers collègues, l'échange éventuel de 70 % du capital de Gaz de France contre 34 % du capital d'un nouvel ensemble Suez-Gaz de France, s'il voit le jour, est un échange favorable à l'actionnaire État dans le moyen et le long terme.
Protestations sur les travées du groupe CRC.
J'ajoute, mes chers collègues, que cet article encadre très correctement les choses.
Rappelons les pouvoirs qui s'attachent à la minorité de blocage dans notre droit des sociétés. C'est bien un droit de veto pour les décisions relevant des assemblées générales extraordinaires : changement de statut, d'objet social, de siège social.
Rappelons surtout que l'on nous propose la création d'une action spécifique...
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ... permettant à l'État d'exercer un droit de veto sur certaines décisions, en particulier sur les cessions d'actifs susceptibles de porter préjudice aux intérêts essentiels de la France. Je pense, mes chers collègues - c'est une précision qu'il faudra apporter -, que cette expression « intérêts essentiels de la France » est préférable en définitive à l'expression « intérêts nationaux » telle que figurant dans le projet de loi qui nous est soumis.
Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Par ailleurs, un commissaire du Gouvernement sera présent avec voix consultative et assurera la représentation de l'État au sein des organes de direction
Nouvelles exclamations sur les mêmes travées
Enfin, je rappelle que ni le service public du gaz résultant de la loi du 3 janvier 2003 dans sa dernière rédaction ni le statut du personnel des industries électriques et gazières résultant de la loi du 8 avril 1946 ne sont remis en cause par le présent projet de loi. (On verra ! sur les travées du groupe CRC.)
Mes chers collègues, j'ajouterai un dernier mot sur l'aspect patrimonial. La commission des finances souhaiterait que, d'une certaine façon, l'accessoire suive le principal, c'est-à-dire que les distributeurs locaux contrôlés par des municipalités puissent aussi voir leur capital ouvert, car les dispositions qui s'imposent à eux ne sont que le miroir de la loi de nationalisation de 1946.
C'est en effet très important pour certaines grandes villes de notre pays.
Je serai beaucoup plus bref sur la problématique de la régulation car vous en connaissez déjà tous les éléments.
La commission des finances a proposé au Sénat, lors de l'examen de deux lois de finances rectificatives consécutives, de bien vouloir voter des dispositions conférant à la Commission de régulation de l'énergie la personnalité morale et l'autonomie financière.
Un régulateur indépendant est un régulateur qui maîtrise son budget. Par conséquent, si le pouvoir exécutif peut réguler un budget, l'indépendance n'est pas totale. Si les moyens en personnel mis au service du régulateur sont soumis à un contrôle budgétaire et administratif au sein d'un ministère, l'indépendance du régulateur n'est pas aussi large qu'on pourrait le souhaiter.
Vous ne serez donc pas surpris si la commission des finances vous soumet à nouveau les deux amendements correspondants.
S'agissant de la composition et des missions de la Commission de régulation de l'énergie, la commission des finances a adopté un amendement identique à celui de la commission des affaires économiques.
J'en profite d'ailleurs pour dire que, contrairement à nos collègues du Palais Bourbon, nous n'avons pas voulu nous livrer à une surenchère ou à une compétition même amicale entre commissions. Nous avons choisi des approches qui sont conjointes, complémentaires, et, comme l'a dit M. le rapporteur, « des approches qui reflètent une certaine complicité » entre le rapporteur et le rapporteur pour avis.
J'en viens à ma conclusion : il s'agit de la question des tarifs, qui est l'essentiel, le fond même du sujet.
Nous devons reconnaître et accepter, mes chers collègues, que, lors de la négociation au nom de la France des directives de l'Union européenne sur l'ouverture des marchés de l'énergie, nombre d'observateurs et d'acteurs se sont trompés, certainement de bonne foi. L'erreur est très largement collective. Mais ils se sont trompés parce qu'on leur a prédit des mécanismes d'ajustement du marché non pas sur le coût marginal à court terme de l'énergie la plus classique et la plus polluante, mais sur un coût de long terme résultant d'un mélange entre le nucléaire, le gaz et le charbon propre.
C'est ce qui a incité de nombreuses entreprises à opter pour l'éligibilité, et c'est Électricité de France elle-même qui l'a promue. Ce sont d'une certaine manière les pouvoirs publics qui l'ont fait, ...
...et ce sont les universitaires les plus réputés, les autorités académiques les plus incontestables qui ont prédit cet ajustement sur un certain optimum économique de marché.
Or, mes chers collègues, cela ne s'est pas produit : il faut avoir la modestie de le constater.
Si les entreprises industrielles ou tertiaires qui ont opté pour l'éligibilité s'en sont bien portées pendant une brève période, elles ont ensuite vu leurs coûts d'approvisionnement augmenter et même s'envoler.
Comme l'a fait l'Assemblée nationale avec l'accord du Gouvernement, nous devons prendre en compte certaines questions, et je conclurai sur ce point.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Mes propos vous seraient-ils désagréables, mes chers collègues ?
Exclamations sur les travées du groupe CRC.
Ce pays s'est doté, grâce aux efforts de la puissance publique, des moyens d'assurer à long terme son indépendance énergétique, ...
Laissez-moi m'exprimer, sinon, je ne vais pas pouvoir conclure mon propos !
Quel est le temps de parole attribué à un rapporteur ? N'est-il pas de dix minutes ?
Ce pays, disais-je, s'est doté des moyens de son indépendance énergétique. Pour y parvenir, il a consenti de lourds sacrifices, il a accepté des risques que d'autres pays européens n'ont pas voulu prendre.
Nos amis allemands ont-ils pris autant de risques ? La situation de la France n'est-elle pas exemplaire sur le plan européen du point de vue tant de son indépendance énergétique que de la protection de l'environnement ?
Ce pays doit donc être payé de retour. Il ne faut pas, dans les secteurs où nous avons un avantage compétitif, que nos entreprises souffrent plus que les autres.
Dans ce contexte, la formule des « tarifs de retour », pour parler de manière simplifiée, est bonne et utile. Elle est aujourd'hui ce que l'on peut faire de mieux dans le respect des directives européennes, directives qui devront d'ailleurs, selon moi, être renégociées et révisées un jour, mais c'est un autre sujet.
Je souhaite, comme certains de mes collègues, notamment M. Jean Arthuis - nous avons d'ailleurs déposé un amendement sur ce sujet -, que nous parvenions à optimiser le tarif de retour, dans l'intérêt des entreprises consommatrices d'énergie.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, lors du débat d'orientation sur l'énergie du 15 juin dernier, nous avons abordé dans cet hémicycle de nombreux sujets de réflexion et débattu de l'intérêt du texte qui nous est présenté aujourd'hui.
Je ne reviendrai donc pas sur les termes de ce débat. Je focaliserai mon intervention sur les principales perspectives ouvertes par le présent projet de loi dont le contenu vient de nous être détaillé.
Le premier point que je souhaite aborder concerne l'avenir de Gaz de France et l'organisation du pôle énergétique français.
Le projet de loi, en autorisant une éventuelle privatisation de Gaz de France, ouvre à cette grande entreprise la voie de « mariages capitalistiques »...
...dont l'intérêt industriel a été abondamment souligné.
Cependant, ce choix suscite, ça et là, de vives contestations, et nous avons pu le constater tout à l'heure. Selon une contre-proposition que certains de nos collègues devraient défendre, et qui a été abondamment relayée par la presse, mieux vaudrait, plutôt que d'envisager la construction de deux très grands acteurs mondiaux de l'énergie dans notre pays, n'en avoir qu'un seul, mais gigantesque. Bref, on nous présente la fusion d'EDF et de GDF comme une alternative crédible.
Cette fusion eût peut-être été possible à l'époque où l'Europe de l'énergie n'était encore qu'une addition de monopoles nationaux. Mais aujourd'hui, les frontières ont été ouvertes : la règle qui a été posée par l'Europe, et relayée dans tous les pays de l'Union, est celle de la concurrence.
Depuis l'engagement de ce processus de libéralisation, les gouvernements français qui se sont succédé n'ont pas remis en cause le principe et tous au contraire ont contribué à le définir.
Or, nous le savons bien, la logique de la concurrence interdit la construction d'un groupe hégémonique sur notre marché national, ce que seraient EDF et GDF rassemblés. Plus précisément, si un tel groupe voyait le jour, le prix à payer serait tout à fait exorbitant. Ce que les autorités européennes de la concurrence tendraient alors vraisemblablement à imposer pour garantir un minimum de concurrence ne serait en effet ni plus ni moins que le démantèlement du parc nucléaire d'EDF.
Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
La commission des affaires économiques du Sénat avait organisé en juin 2002, juste après les élections législatives, un colloque sur l'avenir du secteur énergétique français au cours duquel l'importance de ce risque avait été soulignée. En 2004, le rapport Roulet, que vous avez évoqué, monsieur le ministre, rédigé par une commission indépendante, a confirmé que ce démantèlement nucléaire serait probablement la contrepartie exigée par Bruxelles en échange de l'acceptation d'une telle fusion.
Ce rapport exposait également les conséquences dévastatrices qui découleraient pour EDF d'une telle exigence, tant le contrôle de ses cinquante-huit centrales nucléaires est une de ses grandes forces.
Les négociations conduites actuellement auprès des instances européennes de la concurrence à propos des cessions d'actifs, qui seraient exigées notamment sur le marché belge si Gaz de France et Suez se rapprochaient, prouvent bien, s'il en était besoin, que ce qui vient d'être évoqué n'est nullement une hypothèse d'école.
Bien plus, l'interdiction récente par la Commission européenne d'un projet de fusion de même nature, envisagé au Portugal, démontre clairement, puisqu'il était d'envergure bien moindre à l'échelle européenne, la vigilance, voire l'intransigeance de Bruxelles sur ces questions.
Mais certains d'entre vous ne sont peut-être pas encore convaincus par le caractère périlleux d'un regroupement d'EDF et de GDF. Qu'il me soit donc permis d'évoquer le rapport présenté en 1999 au Premier ministre, M. Lionel Jospin, par l'une de nos collègues alors députée socialiste. Ce rapport tout à fait remarquable concluait une mission de réflexion et de concertation qu'elle avait conduite sur la transposition de la directive européenne sur le marché intérieur du gaz. On pouvait lire à la page 29 de ce rapport particulièrement limpide qu'un rapprochement de GDF avec EDF, qui « se traduirait juridiquement par la fusion des deux établissements publics dans le but de créer un grand pôle public de l'énergie, semble voué à l'échec. »
Outre la difficulté pour la nouvelle entité de respecter le principe de spécialité propre à chacun des opérateurs, ce rapport expliquait que l'on pouvait craindre « une réaction négative à ce rapprochement de la part des autorités communautaires sous la forme de l'imposition de conditions strictes, au titre du contrôle des concentrations, comme une limitation des opérations de développement ou la cession de certaines activités, ce qui nuirait à la fois à EDF et à GDF et conduirait de fait à un démantèlement des deux entreprises ».
Je ne suis donc pas le seul, mes chers collègues, à vous mettre en garde contre le danger d'idées séduisantes, mais irréalistes. Une des voix les plus autorisées du groupe socialiste fait choeur avec la mienne à sept ans de distance.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
On ne peut donc que se poser la question de savoir pourquoi un projet enterré sous Lionel Jospin ressurgit sous Dominique de Villepin ? Cela signifie-t-il, pour pasticher une formule de Pascal, que vérité en deçà de 2002 devient erreur au-delà de l'approche de 2007 ?
Applaudissements sur les travées de l'UMP. -Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Je ne trancherai pas ce débat. Ce que je souhaite dire ici, c'est qu'il n'est pas sain de vanter les mérites d'une fusion d'EDF et de GDF qui serait immanquablement censurée par Bruxelles.
Exclamations sur les travées du groupe CRC.
Ce n'est pas bon pour la qualité du débat politique et ce n'est pas bon pour l'Europe. En effet, après avoir fait miroiter à l'opinion des projets impossibles, on ferait peser l'opprobre de leur censure sur l'Union européenne que, par ailleurs, on propose de rendre plus démocratique. C'est avec de telles stratégies que l'on peut perdre des référendums dont on a été les premiers à réclamer l'organisation !
Le souci de l'Europe doit, bien entendu, nous conduire aussi à soutenir la position que vient d'exprimer M. Ladislas Poniatowski, s'agissant de ce qu'il est convenu d'appeler le tarif de retour.
Il est en effet normal à mes yeux, eu égard au profond déséquilibre qui existe actuellement entre le tarif régulé et les prix du marché, que nous prenions une mesure provisoire pour corriger cette situation.
Cependant, décider dès maintenant que cette mesure sera renouvelable à l'échéance de sa première application, dans deux ans, reviendrait indirectement à réduire comme peau de chagrin l'ouverture du marché et la libre fixation des prix.
En effet, cela ne reviendrait-il pas tout simplement à défaire ce qui avait été construit antérieurement ? À terme, cela n'aboutirait-il pas, de renouvellement en renouvellement, à ce qu'il n'y ait plus guère que deux tarifs, le tarif régulé et le tarif de retour, c'est-à-dire deux tarifs administrés ? Où serait alors la concurrence ? Où serait le respect des engagements que nous avons pris devant l'Union européenne ?
Là encore, nul doute que, à terme plus ou moins éloigné, le caractère renouvelable de la mesure soit, pour des raisons parfaitement légitimes, censuré par Bruxelles. Dans cette hypothèse, la responsabilité de la décision serait, une fois encore, mise au passif de Bruxelles alors que, en réalité, c'est nous qui n'aurions pas su prendre nos responsabilités au moment où nous avions à les exercer.
Ce ne serait pas digne de la France. Ce ne serait pas digne de l'image de la France en Europe. Ce ne serait pas digne de la conception que nous nous faisons de l'Europe. C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter l'amendement que la commission des affaires économiques vous présentera sur ce sujet.
Enfin, le dernier point important sur lequel je tiens à attirer votre attention a trait à la composition et aux missions de la Commission de régulation de l'énergie.
S'agissant d'abord des missions de la Commission de régulation, le dispositif qui vous est présenté s'inspire des travaux conduits par notre collègue M. Patrice Gélard. Je tiens à cette occasion à rendre hommage à la cohérence et à la pertinence des propositions qu'il a avancées quant à l'organisation des autorités administratives indépendantes.
S'agissant ensuite de la composition de la Commission de régulation de l'énergie, il vous est demandé de revenir à un collège plus proche de celui qui avait été instauré initialement. Comme l'a rappelé à juste titre M. le rapporteur, le contrôle du Parlement sur l'action de cette Autorité ne passe vraisemblablement pas par la désignation de plusieurs de ses membres au collège. J'en suis pour ma part convaincu, et il me paraît plus instructif d'entendre régulièrement le président ou les membres de cette autorité plutôt que de déléguer des collègues pour y siéger. J'espère sincèrement que ce point de vue sera partagé par la Haute Assemblée.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l'orée du long débat qui s'ouvre maintenant, je forme un dernier souhait : que ce débat soit dense et qu'il permette à chacune et à chacun d'exprimer complètement ses opinions.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
M. Roland du Luart remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 125 minutes ;
Groupe socialiste, 82 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 34 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je m'exprimerai au nom de mes collègues ne figurant sur la liste d'aucun groupe. Avant d'entrer dans le vif du sujet, il me semble important de faire un détour, en évoquant la réalité, et non pas l'image rêvée, du contexte énergétique.
Cette réalité est inquiétante pour trois raisons, qui résultent de trois constats.
J'évoquerai tout d'abord le marché mondial de l'énergie. Contrairement à ce qui se passait au cours de la période heureuse de 1981 à 1999, la consommation mondiale croît désormais plus vite que la production mondiale, sous le triple effet de l'épuisement de la ressource, du manque d'investissement en matière de capacités et de l'arrivée de grands pays émergents, notamment les grands pays asiatiques. Cela signifie que la ressource, quelle qu'elle soit, sera durablement rare et chère.
Ensuite, s'agissant plus particulièrement du marché du gaz et des besoins dans ce domaine, le mix énergétique européen connaîtra des bouleversements dans les vingt prochaines années. La part du gaz dans la consommation énergétique va doubler, pour une raison assez simple, que l'on pourrait appeler la convergence : le gaz sera utilisé, de plus en plus, pour fabriquer de l'électricité, parce que la production nucléaire plafonne et que celle de charbon décroît désormais, notamment en raison des rejets de CO2.
Concernant les ressources, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, on observe une hyperconcentration des gisements entre des mains qui ne sont pas innocentes, et encore moins philanthropes, et qui voudraient bien utiliser fréquemment, ce qu'elles font d'ailleurs, l'énergie et la ressource en énergie comme une arme à l'égard d'autres pays.
Enfin - c'est mon troisième constat -, la dépendance énergétique de la France est impressionnante. Notre taux de dépendance gazière, en particulier, atteint pratiquement 100 %.
Mes chers collègues, même avec la mise en service du réacteur EPR de Flamanville en 2012, si nous n'avons pas construit trois centrales thermiques à gaz avant 2010, nous serons rapidement au-dessus du seuil de défaillance. C'est dramatique pour notre économie, il faut le dire.
Parallèlement, les directives européennes prévoient l'ouverture du marché à partir de juillet prochain : celle-ci accélérera encore le mouvement de concentration, en aval, comme cela a été dit très largement, mais aussi en amont. Personne, pour le moment, n'a fait référence à la licence de commercialisation que Gazprom s'est procurée voilà quelques mois, non pas en Géorgie ou en Ukraine, mais en France.
On voit donc bien, à travers ces trois constats, que le monde de l'énergie change rapidement. Devant ces changements, seules deux attitudes sont possibles : la première est de ne pas bouger, en se claquemurant dans un certain nombre de certitudes ; la seconde est d'essayer de maîtriser l'évolution, de peser sur cette dernière en étant réactif et en regardant objectivement ces grandes évolutions.
Concernant le premier volet du texte, cette tension, cette dialectique entre l'adaptation et la non-adaptation, a été parfaitement évoquée par Ladislas Poniatowski : si l'envie nous prenait de ne pas transposer la directive, nous perdrions de facto et de jure la possibilité d'avoir un tarif régulé du gaz.
Il en va de même, me semble-t-il - ne nous cachons pas derrière notre petit doigt -, pour le second volet du projet de loi. Face à la perspective d'une alliance entre GDF et Suez, l'essentiel du débat va donc se concentrer sur deux questions : premièrement, peut-on avoir une plus grande indépendance énergétique si l'État détient une part moins importante dans le capital du futur groupe ?
Deuxièmement, les missions de service public peuvent-elles être conservées, voire améliorées, avec une part de l'État moins importante dans le capital ?
Tout d'abord, qu'est-ce que l'indépendance énergétique pour un pays qui n'a ni champ pétrolier ni gisement de gaz ? On peut la définir très objectivement, me semble-t-il, par trois critères.
Il s'agit, en premier lieu, d'effectuer de bons choix énergétiques. Il convient, en second lieu, de sécuriser notre approvisionnement. Il nous faut, en troisième lieu, constituer de grands acteurs mondiaux.
Faire de bons choix énergétiques signifie, bien sûr, réaliser des économies d'énergie. Vous avez tous pu constater qu'il fait souvent très chaud dans les bureaux du Sénat. Si, au niveau national, nous réduisions d'un degré le chauffage, notre économie d'énergie serait de 7 % ! C'est extraordinaire !
Mes chers collègues, nous pourrions tomber d'accord sur le fait que nos bureaux, au Sénat, pourraient parfois être un peu moins chauffés.
Les bons choix énergétiques, c'est aussi et surtout la maîtrise des deux activités de souveraineté énergétique, à savoir le nucléaire et le gaz naturel liquéfié, le GNL. Ces dernières nous permettent en effet de nous exonérer de la contrainte de production. Demain, si l'alliance GDF-Suez se fait, nous aurons le premier acteur mondial s'agissant du GNL.
Par conséquent, GDF, qui, pour le moment, n'est qu'une entreprise qui achète du gaz pour le distribuer, pourra en produire, sur d'autres champs, qui seront au Yémen, au Qatar ou en Égypte, grâce à sa flotte de méthaniers. Elle pourra conquérir une activité de production pouvant ensuite représenter jusqu'à 15 % de son activité totale.
C'est considérable, je tenais à le dire.
À mes yeux, l'indépendance énergétique passe non seulement par ces bons choix, mais aussi par la sécurité d'approvisionnement, qui sera renforcée. Le nouveau groupe disposera en effet d'une dizaine de pays source et d'une combinaison de portefeuilles d'approvisionnement qui sera sans équivalent en Europe et même, pratiquement, dans le monde occidental.
Vous le savez, il n'y a que deux façons de se fournir en gaz : par les gazoducs, mais c'est risqué, et par le GNL. En disposant de positions déterminantes sur le GNL, il est possible, de fait, d'accroître notre sécurité d'approvisionnement.
S'agissant de la constitution d'acteurs mondiaux, il s'agit, sur un marché mondial, de relever deux défis : réaliser des investissements en faveur de la capacité de production, sans trop recourir à l'endettement, c'est-à-dire en préservant un bilan solide, ...
... et conserver une sécurité d'approvisionnement. Sur ce dernier point, l'enjeu est capital : il s'agit de savoir si, à côté d'Areva, de Total et d'EDF, nous voulons construire, tous ensemble, le quatrième pôle français d'excellence dans le domaine de l'énergie.
Je sais bien que certains rêvent d'autres alliances. Je crois très honnêtement que, dès lors que l'on s'inscrit dans un État de droit, notamment européen, tel qu'il nous est imposé aujourd'hui, l'alliance GDF-Suez est la seule possible, parce qu'elle est eurocompatible, grâce, tout simplement, à sa complémentarité. En effet, dans le cadre d'une alliance entre EDF et GDF, 97 % du marché du gaz et de l'électricité se trouveraient concentrés dans les mains d'un seul groupe, ce qui poserait un problème juridique. Une telle solution n'est donc pas envisageable.
Certains, notamment à l'Assemblée nationale, estiment que, la mariée étant trop belle et l'alliance tellement désirable, celle-ci ne manquera pas, inévitablement, d'attirer un prédateur.
Ils reconnaissent ainsi implicitement que c'est un beau mariage ! Ils oublient cependant le droit des sociétés, que vous avez rappelé tout à l'heure, monsieur le ministre : l'État détenant le tiers des actions, une assemblée générale extraordinaire ne pourra pas faire n'importe quoi, notamment en termes de structure de l'entreprise.
En outre, grâce à certaines actions spécifiques, en particulier l'espèce de droit de veto détenu par l'État sur les actifs les plus essentiels, la souveraineté énergétique française sera renforcée.
Une dernière question importante, après l'indépendance énergétique, concerne les missions de service public. En d'autres termes, un fournisseur public serait-il mieux à même qu'un fournisseur privé de garantir les missions de service public, notamment des tarifs convenables ? Je ne le crois pas, s'agissant, en particulier, des prix. En effet, comment expliquer que, depuis quinze ans, pour les ménages, les tarifs du gaz belge soient toujours inférieurs à ceux du gaz français, alors que, en Belgique, c'est Suez qui fournit le gaz et que, en France, il s'agit d'un groupe public ?
Comment expliquer que, sur la période 2000-2001, l'augmentation des tarifs du gaz ait été de 30 %, alors que l'entreprise qui a pris la décision de ces augmentations est complètement publique ? En réalité, nous aurons non pas un prix, mais un tarif qui sera régulé. Permettez-moi, mes chers collègues, de vous dire que l'idée selon laquelle une entreprise nationalisée est plus compétitive et plus à même de proposer de meilleurs prix est une idée un peu simple et peut-être même un peu vieillotte.
M. Michel Bécot applaudit.
Le nouveau groupe héritera de la totalité des obligations et des missions de service public, lesquelles sont précisées dans différents textes, en particulier le contrat de service public entre l'État et Gaz de France signé le 10 juin 2005. Mes chers collègues, ne confondons pas la structure du capital et la capacité d'une entreprise à assurer des obligations de service public ! Dans chacun de vos départements, vous constatez qu'il existe en France beaucoup plus d'entreprises privées chargées de missions de service public que d'entreprises publiques chargées de missions de service public. Je pense notamment aux délégations de service public, ...
C'est vrai non seulement pour l'eau, mais aussi pour la continuité territoriale entre les îles et le continent...
Ce projet de loi, monsieur le ministre, va dans le sens d'un renforcement des obligations de service public, avec, par exemple, l'institution - et c'est capital - d'un tarif social du gaz pour les plus démunis. Personnellement, c'est l'une des raisons qui a emporté ma décision.
Par ailleurs, le texte va aussi dans le sens d'un meilleur contrôle du régulateur. L'État sera un actionnaire moins important, mais il devra assurer ses missions de régulation par le biais d'une autorité administrative indépendante. Le régulateur disposera de compétences renforcées, d'une composition élargie et, surtout, d'un comité, qui pourra décider soit d'une médiation, soit d'une sanction, et qui pèsera dans les différents débats.
Ce texte est difficile, mais c'est un bon texte. Je crois qu'il prépare les défis du XXIe siècle et l'avenir énergétique des futures générations.
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le ministre, je dois vous dire tout de suite que vous n'allez pas entendre le même son de cloche !
Nous sommes réunis aujourd'hui pour discuter en hâte d'un projet de loi qui portera, s'il est adopté, un coup fatal au service public de l'énergie gazière, ...
... entraînant dans son sillage, sans aucun doute, le service public de l'électricité.
Avec ce texte, le Gouvernement poursuit la mise en oeuvre, dans le secteur de l'énergie, des politiques d'ouverture à la concurrence, de désengagement de l'État et de démantèlement des entreprises publiques : aujourd'hui Gaz de France, et demain EDF !
Sur ce sujet, vous comprendrez, monsieur le rapporteur, que nous ne puissions accorder de crédit à vos paroles rassurantes sur la non-privatisation d'EDF. Nous n'avons pas la mémoire courte au point d'oublier - pour ne citer que vous ! - les mots qui ont été les vôtres en 2004.
Vous affirmiez alors ceci : « le Parlement lui-même a souligné son attachement au maintien dans le secteur public d'EDF et de GDF, considérant que la conduite de la politique énergétique nécessite le maintien et le développement d'entreprises publiques nationales ».
Le projet de loi que nous examinons deux ans plus tard est aux antipodes de ces sages paroles ! En asservissant les secteurs de l'électricité et du gaz au libre échange et à la rentabilité à court terme, le Gouvernement place les pouvoirs publics en dehors des décisions énergétiques pour la France, pour l'Europe et même pour la planète.
De plus, l'entrée d'investisseurs privés dans le capital des entreprises historiques appelle nécessairement une rentabilité des capitaux investis, à plus forte raison si ces investisseurs privés sont majoritaires ! La recherche de la création de valeur pour les actionnaires est totalement inconciliable avec les missions d'intérêt général inhérentes au service public de l'énergie.
Seul un service public de l'énergie est à même d'assurer l'indépendance énergétique, la sécurité d'approvisionnement, le droit à l'électricité pour tous, le développement équilibré du territoire, dans le respect de l'environnement.
Nous avons demandé à de multiples reprises un bilan des conséquences de la libéralisation des marchés de l'énergie. En 2002, à Barcelone, le président de la République, Jacques Chirac, et son premier ministre, Lionel Jospin, avaient tenté de rassurer nos concitoyens en faisant valoir qu'ils avaient obtenu qu'un bilan soit réalisé avant l'ouverture totale des marchés prévue en juillet 2007.
En janvier 2006, monsieur le ministre, vous aviez déclaré qu'un bilan serait réalisé et confié à une commission indépendante.
Nous avons aujourd'hui la certitude que ce bilan ne sera pas dressé. Et pour cause, il serait désastreux et condamnerait votre politique énergétique ! La libéralisation des marchés de l'énergie en Europe, c'est 250 000 emplois supprimés ou précarisés ; c'est la hausse des tarifs qui étrangle déjà les entreprises et, bientôt, les particuliers ; ce sont des ruptures d'approvisionnement, et j'en passe ! Vous n'ignorez pas ces effets dévastateurs. Pourtant, votre projet de loi met tout en oeuvre pour accélérer ce processus destructeur pour notre service public, pour nos emplois et pour notre industrie.
Les articles 1er et 2 ouvrent à la concurrence les marchés de l'électricité et du gaz aux consommateurs domestiques. Ils leur « offrent » donc la possibilité de sortir des tarifs régulés. Vous martelez que le consommateur a le choix ; la preuve serait que l'article 4 maintient les tarifs régulés. Mais, en réalité, ce que vous nommez « libre choix » n'est qu'une mascarade !
D'abord, la libéralisation transforme l'usager en consommateur et l'expose à la hausse des prix qu'elle entraîne. De quelle liberté dispose-t-on quand on sait que la facture de gaz a augmenté de 70 % depuis l'ouverture du marché en 2000, que l'écart entre les prix du marché et les tarifs réglementés pour l'électricité vient d'atteindre 61 % et, enfin, que les entreprises ont subi des augmentations de 70 % à 100 % de leur facture électrique depuis trois ans ?
Ensuite, l'article 4 ne permet pas aux consommateurs ayant exercé leur éligibilité de revenir aux tarifs réglementés. Pourquoi poser une telle interdiction si les tarifs du marché sont tellement avantageux ?
Enfin, quelle pérennité assurer aux tarifs réglementés si la volonté politique est de les voir disparaître ?
Il est assez édifiant de constater que, à côté de cet affichage à l'article 4, il existe, d'une part, une réelle volonté sur les plans national et européen d'alignement des tarifs réglementés sur ceux du marché et que, d'autre part, cette entreprise est facilitée par l'absence de transparence et de contrôle sur la formation des tarifs réglementés.
Cette volonté de convergence se ressent déjà. Normalement, les tarifs réglementés sont censés répercuter exactement la hausse des coûts d'approvisionnement. Or, dans les comptes de Gaz de France du premier semestre 2006, pour la première fois de son histoire, la marge gaz a continué à progresser, alors que les coûts d'approvisionnement augmentaient.
Dans son rapport de 2006, la Commission de régulation de l'énergie déplore d'ailleurs « les freins à l'ouverture du marché ». Citant la Commission européenne, elle indique ceci : « en imposant des tarifs réglementés tels que la part fourniture des tarifs soit particulièrement basse et sensiblement inférieure aux prix du marché, la France empêche l'entrée des concurrents ». Les tarifs réglementés sont également au banc des accusés de la lettre de griefs du Commissaire chargé de la concurrence.
L'opacité de la formule tarifaire contenue dans des accords secrets entre l'État et Gaz de France renforce encore nos craintes sur la pérennité de ces tarifs. Comment les garantir s'il n'y a aucun contrôle ?
Quand on vous parle d'indépendance et de transparence dans la formation des tarifs réglementés, l'idée court de les confier à la Commission de régulation de l'énergie, alors que cette dernière est contre !
En ce qui concerne le tarif transitoire d'ajustement du marché, il nous semble qu'on peut légitimement douter de son efficacité quand on sait, par exemple, qu'en 2005 GDF a augmenté ses dividendes de 48 %. Vous pensez réellement, monsieur le ministre, que les prix vont baisser sous l'effet de l'actionnariat privé ?
De plus, il est tout simplement scandaleux que le financement de la compensation se fasse par une contribution due par les opérateurs historiques. Cette compensation ne manquera d'ailleurs pas de se répercuter sur les usagers domestiques et les PME !
Enfin, la tarification de solidarité, prévue à l'article 3 du projet de loi, reste une mesure insuffisante. En effet, les critères d'éligibilité à cette tarification devraient reposer sur le niveau de ressources et non pas sur un statut des personnes. En bref, vous proposez des remèdes insuffisants aux maux que votre politique engendre.
En effet, la situation n'est pas la même qu'en 2000. Quand le tarif social a été mis en place pour l'électricité, il n'était pas question de privatisation !
Abordons maintenant la question de la sécurité d'approvisionnement.
Votre projet de loi, en prévoyant la privatisation de GDF, risque de remettre en cause le fonctionnement des contrats à long terme. Il semblerait d'ailleurs que ces derniers soient condamnés par la Commission européenne dans sa lettre de griefs. Ces contrats, qui sont scellés politiquement entre les États, sont la clé de voûte de la sécurité de l'approvisionnement en France.
En transférant ces contrats au privé, les entreprises seront tentées, pour satisfaire leurs actionnaires, de vendre le gaz acheté dans le cadre de ces contrats au prix du marché. Vous imaginez les conséquences sur les futurs contrats ! D'ailleurs, s'ils ne sont plus liés par de tels contrats, les pays producteurs pourraient même vendre directement sur le marché à court terme, dont les prix sont deux fois plus élevés.
La sécurité d'approvisionnement passe par le renforcement de la maîtrise publique et non par une fuite en avant libérale.
Enfin, à cause de votre projet de loi, l'État va perdre la maîtrise des activités stratégiques de transport, de distribution et de stockage de gaz.
La logique mise à l'oeuvre à l'article 6 n'est ni plus ni moins que le démantèlement d'entreprises publiques qui s'étaient construites sous la forme d'entreprises intégrées. Ainsi, elles pouvaient réduire les coûts de production et permettre des péréquations entre leurs activités, pour construire un service public efficace.
Le transport, qui reste la propriété de Gaz de France, est ainsi privatisé de fait. Tout est organisé dans le projet de loi pour que la distribution subisse le même sort. Ce qui se trame, c'est le découpage de Gaz de France en centres de profits sous forme de filialisation ou d'ouverture des capitaux des entreprises gestionnaires de réseaux.
Dans la même logique, votre projet de loi abandonne, aux articles 8 et 9, le principe de péréquation tarifaire nationale. Si le fonds prévu par la loi n'a jamais fonctionné, c'est parce que Gaz de France couvrait la quasi-totalité du réseau gaz et réglait la question à son niveau.
Aujourd'hui, ni GDF ni EDF ne possèdent, du fait de l'existence des distributeurs non nationalisés, les DNN, l'entier monopole de distribution sur le territoire. Mais les périmètres d'intervention très limités des DNN permettaient aux opérateurs historiques de réaliser de réelles économies d'échelle.
Alors que la volonté politique du Gouvernement est de favoriser l'entrée dans le secteur de nouveaux opérateurs privés, le projet de loi prépare la disparition de la péréquation. C'est bien le système de l'eau qui nous est proposé en filigrane : des concessionnaires choisis par appel d'offres et faisant des prix par concessions.
La privatisation de Gaz de France, conjuguée à l'ouverture totale des marchés, entraînera la fin des monopoles de concessions conférés par la loi aux entreprises publiques.
La péréquation tarifaire au niveau national, seule capable d'assurer une réelle égalité de traitement des usagers, est gravement remise en cause. Votre politique fait voler en éclat les fondements de l'organisation du système énergétique national.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement porte un coup fatal à l'un des services publics de l'énergie les plus performants au monde. §Il détruit un outil qui a fait ses preuves et qui assurait la sécurité de l'approvisionnement, sa continuité, la sécurité des installations, le droit d'accès à l'énergie pour tous.
Il brade un outil qui permettait les investissements nécessaires pour satisfaire les besoins énergétiques nationaux de demain.
M. Yves Coquelle. Parce que nous ne voulons pas que l'intérêt national soit sacrifié à l'intérêt des actionnaires, parce que l'énergie ne peut être considérée comme une simple marchandise, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, alors que la fin de la législature est toute proche et que nous sommes à six mois d'échéances électorales décisives pour l'avenir de la France, voici que le Sénat est invité, au pas de charge et sans délai, à changer les principes mêmes de notre politique énergétique et à remettre en cause les fondements de notre service public de l'énergie.
Comme on le voit, il s'agit de légiférer non sur des chaussettes - encore que ces biens soient fort respectables ! -, mais sur l'avenir énergétique de la France, et donc sur l'organisation du secteur énergétique, dont on sait bien qu'il est plus que jamais au coeur des enjeux de société.
Pourquoi tant d'acharnement et de précipitation à vouloir privatiser GDF, alors que les nouveaux défis justifient le maintien, voire l'accroissement, de l'intervention des pouvoirs publics ?
Pourquoi un tel revirement de la part du Gouvernement, alors que, voilà environ un an, le Parlement adoptait la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique, dont l'article 1er énonce : « La politique énergétique repose sur un service public de l'énergie [...]. Sa conduite nécessite le maintien et le développement d'entreprises publiques nationales ».
Telle était - en tout cas avais-je cru le comprendre - la feuille de route établie par le Parlement pour les années à venir, et cela à la demande de ce même gouvernement et avec le soutien de cette même majorité.
Oui, mais on nous dit que le monde a changé. Certes, mais pas en six petits mois ! En effet, c'est bien six mois après l'adoption de cette loi de programme que le revirement du Gouvernement a eu lieu, puisque c'est en février dernier que fut décidée la fusion avec Suez et donc la privatisation de GDF.
Où va-t-on ? Il est des lois qui sont votées et pour lesquelles de hautes personnalités nous ont indiqué qu'elles ne devaient pas s'appliquer. Souvenez-vous du CPE ! Il en est d'autres, maintenant, à propos desquelles certaines dispositions n'ont pas plus de valeur que des chiffons de papier. Où allons-nous ?
Mais il y a pis ; je veux parler du reniement de certains engagements. Dois-je rappeler, en effet, les propos tenus en 2004 par M. Sarkozy, alors ministre de l'économie ?
« Je l'affirme, parce que c'est un engagement du Gouvernement, EDF et GDF ne seront pas privatisés. »
M. Roland Courteau. La parole était forte et le ton assuré. Ce qui nous garantissait que la loi ne permettrait pas de privatiser ultérieurement, avait-il même ajouté, c'est ... la parole de l'État !
Mme Hélène Luc s'exclame.
Aujourd'hui, M. Sarkozy affirme soutenir M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - je ne le vois d'ailleurs pas au banc des ministres
Il est parti ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
- sur le projet de privatisation qui nous est présenté. Pourtant, voilà quelques jours, écoutant sur la chaîne LCI M. Devedjian, très proche conseiller du président de l'UMP, je fus quelque peu stupéfait de l'entendre dire ceci : « Si M. Sarkozy avait été en charge aujourd'hui de ce dossier, il aurait tenu ses engagements. »
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
C'est incroyable ! Il n'y a plus de Gouvernement, il n'y a plus d'État, il n'y a plus rien !
Cela signifierait donc que M. Sarkozy ne soutient nullement le ministre de l'économie, à moins que M. Devedjian ne veuille, en fait, par ses propos, protéger la crédibilité de M. Sarkozy au cas où... Sait-on jamais !
M. Roland Courteau. On ne sait plus qui croire ! Ce qui est certain, c'est que, dans une démocratie, il n'est pas normal qu'à deux reprises, et en si peu de temps, la parole de l'État soit à ce point bafouée.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Bref, le Gouvernement se renie ! Toute la question est de savoir si la majorité sénatoriale va le suivre. Convenons que l'on tente vainement de comprendre la logique de la politique industrielle de ce gouvernement, qui semble réagir au coup par coup. En l'occurrence - d'autres ont pu le dire avec beaucoup d'humour -, le texte répond à la question suivante : « Comment privatiser GDF sans en avoir l'air et tout en parlant d'autre chose ? » Notons que, jusqu'à présent, le mot « privatisation » est rarement employé dans les rangs de la majorité. M. le rapporteur l'a cité une fois et il a été le seul. S'agirait-il d'un gros mot ?
Bien évidemment, nous ne considérons pas qu'il faille rejeter les alliances entre les différents groupes. Mais nous estimons que les nations doivent garder la maîtrise de l'énergie afin de pouvoir orienter les stratégies des industriels, d'autant que, selon nous, les intérêts particuliers des actionnaires et l'intérêt général du pays sont antinomiques.
Je ne reviens pas davantage sur l'habillage ou l'alibi utilisé par le Gouvernement pour justifier son projet de fusion. Rappelons simplement qu'on nous a d'abord annoncé qu'il fallait intervenir au nom du patriotisme économique pour contrer l'OPA d'Enel.
Tandis que, le lendemain, l'on nous expliquait qu'en réalité le projet de fusion GDF-Suez était à l'étude depuis très longtemps.
Hier, l'on nous parlait de riposte à une intervention hostile ; aujourd'hui, l'on invoque le développement de GDF ; demain, peut-être reconnaîtra-t-on qu'il s'agissait surtout pour le Gouvernement de privatiser un groupe public pour voler au secours d'une entreprise privée.
Mais écoutons l'appréciation de l'économiste américain prix Nobel en 2001, qui fut aussi économiste en chef à la Banque mondiale, et qu'on ne peut soupçonner d'être hostile à l'économie de marché : « Privatiser GDF, c'est inutile et stupide. La France a un bon système, juste, à bas prix et fiable [...]. Pour ce que j'en connais, votre entreprise publique est plus efficace, plus stable que ce qu'on a connu aux États-Unis. » Il ajoutait : « Les marchés débridés, ça ne fonctionne pas. »
Et pourtant, nous sommes invités aujourd'hui à délibérer au pas de charge.
Outre qu'il ne respecte pas la morale, ce projet de loi est dangereux : il remet en cause notre service public de l'énergie, lequel a pourtant démontré son efficacité dès lors qu'il s'est agi d'accroître notre indépendance énergétique, d'assurer notre sécurité d'approvisionnement, d'établir une péréquation tarifaire et d'assurer des prix abordables.
Ce projet de loi est dangereux, car il donne un chèque en blanc aux différents acteurs. Nul ne peut en effet présager la tournure que prendront les événements après la privatisation de GDF, notamment parce que la Commission européenne ne rendra ses conclusions définitives sur le projet de fusion GDF-Suez qu'après le vote sur ce projet de loi.
Nul ne sait par ailleurs ce que décidera l'assemblée générale des actionnaires de Suez, qui n'aura lieu qu'en décembre. Aujourd'hui, nous n'avons donc pas connaissance avec exactitude des conditions financières de cette fusion GDF-Suez.
Pourtant, on nous demande de préparer l'étape préalable à cette fusion alors que la Commission européenne s'interroge sur la compatibilité du projet avec le droit communautaire.
De même, des cessions d'actifs qui seront loin d'être négligeables vont être demandées à GDF en contrepartie de la fusion. Mais nous ne savons pas exactement lesquelles sont concernées ni quelle sera leur ampleur. Pourtant, il nous est demandé de délibérer sans délai, le cas échéant les yeux fermés.
Vous nous avez parlé des cessions d'actifs dans le cadre d'une fusion GDF-EDF. Mais vous ne nous dites rien sur celles qui seront exigées dans le cadre d'une fusion Suez-GDF.
Comment le Gouvernement peut-il engager de tels processus sans que le Parlement dispose d'éléments aussi essentiels ?
Pourquoi une telle précipitation ? Que je sache, les légions d'Enel ne sont pas encore aux portes de Suez ! Comment peut-on engager la privatisation de GDF sans connaître son avenir ?
Pourquoi tant de précipitation ? Permettez-moi de plaisanter, même si le moment ne s'y prête pas : craignez-vous à ce point que GDF ne finisse par être la dernière fille du village à ne pas avoir de prétendant ?
Sourires
Pourquoi une telle précipitation ? Seriez-vous si inquiets à l'approche des échéances de 2007 que vous voudriez préalablement régler cette question ?
D'autres l'ont dit avant moi : il eût été plus responsable qu'une telle question, aussi capitale pour l'avenir de la France, soit renvoyée au vote des Français et aux grands choix politiques de 2007.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
De surcroît, le fusil est à plusieurs coups puisque l'entreprise EDF se trouve dans le collimateur : pour tenter de réduire sa place et de démanteler son monopole de fait dans la production d'électricité, on constitue contre elle un groupe privé concurrent. Ce dernier, de plus, disposera du fichier commercial constitué par les onze millions de clients de GDF.
C'est plus qu'un concurrent que l'on va introduire, c'est bel et bien un cheval de Troie.
Et comme si cela ne suffisait pas, voilà qu'on nous demande d'aller plus loin et de faire financer la concurrence par... cette même entreprise EDF, à travers le mécanisme de compensation établi à l'intention des fournisseurs pour la mise en oeuvre du tarif réglementé transitoire.
Notre inquiétude est réelle. La concurrence frontale du nouveau groupe avec EDF peut s'avérer de surcroît destructrice pour le service public, avec des conséquences redoutables pour l'avenir de l'électricien, dont le sort pourrait être à terme identique à celui de Gaz de France.
Mais n'est-ce pas là peut-être aussi l'un des autres objectifs recherchés ?
Non, le projet qui nous est présenté n'est pas bon pour la France, pour les raisons que je viens d'indiquer, mais aussi parce que cette privatisation risque d'avoir des conséquences négatives sur l'emploi.
Mme Hélène Luc approuve.
Aucune privatisation n'a été réalisée sans compression des effectifs, première variable d'ajustement les coûts vers le bas, pour la plus grande satisfaction des actionnaires.
Convenons également que la construction que vous proposez, si l'on songe au service commun et aux quelque 50 000 personnes concernées, a de quoi nous alarmer. En effet, ce qui est proposé, en vérité, c'est la non-viabilité de ce service, qui sera dépourvu de la personnalité morale, où chaque filiale aura sa ligne de commandement. La concurrence entre Suez et GDF, d'un côté, et EDF, de l'autre, sera particulièrement exacerbée.
Nous pensons qu'en fait vous avez programmé la disparition de ce service et que, pour l'heure, vous ne procédez qu'à une sorte d'habillage destiné à rassurer provisoirement, afin de vous permettre de passer le cap sans encombre.
Non, ce projet n'est pas bon, car comment prétendre assurer la sécurité énergétique de la France en commençant par abandonner à un groupe privé l'ensemble des infrastructures lourdes qui en sont les outils ? Est-ce là la version nouvelle du patriotisme économique ? Quel sera le poids de l'État dans les orientations stratégiques alors que sa participation au capital se sera nettement réduite ?
L'on nous dit par ailleurs qu'on va créer un nouveau géant. Mais qui a dit que « loin de créer un géant du gaz, la fusion n'entraînerait qu'un grossissement de 25 % de GDF dans la distribution et guère plus dans le transport et le stockage » ? Ce sont certains de vos amis, monsieur le ministre, qui ajoutent cruellement que « croire que le nouveau groupe pourrait ainsi peser sur le prix d'achat auprès des producteurs est une douce illusion ou un argument fallacieux. » Je ne saurais dire mieux.
Ce projet de loi n'est pas bon, car il ouvre la porte à une remise en cause des tarifs réglementés de l'électricité et du gaz. Or ces tarifs sont une expression de solidarité nationale et un outil de solidarité territoriale. Certes, le texte affirme le principe du maintien des tarifs réglementés, mais il ne s'agit là que de digues de papier. À terme, et à la suite de certaines dispositions, l'on risque d'assister à une disparition pure et simple des tarifs réglementés, notamment par un alignement progressif de ces derniers sur les prix de marché.
Au contraire, la construction d'un pôle public permettrait de conserver la maîtrise des évolutions tarifaires.
Non, mes chers collègues, ce projet de loi n'est pas bon car, quoi qu'on prétende, il ne met pas le nouveau groupe à l'abri d'une OPA hostile.
J'ai entendu dire que la participation de 34 % de l'État dans le nouveau groupe et la fameuse golden share nous en protégeraient. Mais, au cours de nombreuses auditions qu'a organisées le groupe socialiste, je n'ai rencontré personne qui ait pris au sérieux cette affirmation.
Alors que la structuration actuelle du capital de GDF assure quant à elle une vraie protection contre une OPA, puisque l'État en détient 80 % des actions, rien ne garantit en revanche qu'une entreprise comme Gazprom ne prendra pas demain le contrôle du nouveau groupe privé.
Ainsi, au nom du patriotisme économique, on nous suggère de privatiser GDF pour assurer la fusion avec Suez. Au nom de ce même patriotisme, on assisterait ainsi, impuissants, à la mainmise d'un groupe étranger sur nos infrastructures lourdes.
C'est à n'y plus rien comprendre !
La privatisation de GDF pose par ailleurs deux questions juridiques lourdes, notamment au regard de l'alinéa 9 du préambule de la constitution de 1946, préambule repris par la constitution de 1958. Mais elle pose aussi des problèmes par rapport aux communes et aux concessions de service public. Mes collègues du groupe socialiste aborderont ces questions.
J'en viens maintenant au bilan désastreux de cette décennie de libéralisation
Nous avons à l'époque dénoncé les prétendus bienfaits de l'ouverture totale des marchés en nous appuyant sur les expériences négatives des pays pionniers en matière de libéralisation, dont les prix de l'énergie avaient subi des hausses vertigineuses, cependant que leur système d'électricité connaissait de graves dysfonctionnements.
L'envolée des prix pour les professionnels ces dernières années en France conforte notre position de méfiance de l'époque.
Même le MEDEF souligne que l'ouverture actuelle du marché de l'électricité conduit tout le monde dans le mur !
Mes chers collègues, la polémique rebondit régulièrement à propos du sommet de Barcelone de mars 2002. Les uns et les autres l'ont évoqué au cours de ce débat. Alors finissons-en ! Que s'est-il passé à Barcelone lors du Conseil européen ?
En mars 2002, la France, représentée par son président Jacques Chirac et par son premier ministre Lionel Jospin, a accepté l'ouverture du marché de l'énergie pour les entreprises, mais non pour les ménages. Surtout, deux conditions étaient posées. La première prévoyait une étude d'impact de l'ouverture des marchés avant l'ouverture totale à la concurrence : on l'attend toujours ; la seconde, qui a été acceptée dans le cadre de l'accord, prévoyait l'adoption d'une directive-cadre pour les services d'intérêt général avant la fin de l'année 2002 : on l'attend encore. Daniel Raoul reviendra probablement sur ce point.
Cette position avait d'ailleurs été soutenue par Jacques Chirac lors de la conférence de presse donnée alors à l'issue du Conseil.
Je vous rappelle que nous étions en mars 2002. Or c'est bien le gouvernement de M. Raffarin qui, huit mois plus tard, par la voix de Nicole Fontaine, acceptait sans conditions lors du Conseil « énergie » qu'une date finale soit fixée pour libéraliser totalement l'électricité et le gaz.
Ce fut annoncé ici même, avec une fierté et un enthousiasme que je ne retrouve plus aujourd'hui.
Par ailleurs, et pour répondre aux remarques faites par M. Loos jeudi dernier, je ferai observer que les députés européens socialistes français se sont opposés, en juin 2003, aux directives visant à l'ouverture des marchés du gaz et de l'électricité à la concurrence.
Pour conclure, j'évoquerai les alternatives à la privatisation de GDF et la politique européenne de l'énergie.
Nous avons besoin d'une politique commune de l'énergie qui favorise l'émergence de grands groupes de service public, arc-boutés à un projet industriel.
Si l'énergie est considérée comme un bien public et un bien de première nécessité, bien de surcroît indispensable à l'indépendance nationale et à la souveraineté d'une nation, alors elle ne peut être laissée aux seules forces du marché. Un tel secteur exige une régulation exorbitante du marché, afin que les prix ne soient pas le reflet de rapports de force et d'intérêts ou de « désajustements » entre l'offre et la demande.
Si l'entreprise GDF a besoin d'alliances, allons gardons-là... propriété publique et recherchons les voies d'une alliance avec cette entreprise.
La privatisation ne constitue pas la solution unique. D'ailleurs, compte tenu des dégâts du libéralisme, comprenez, monsieur le ministre délégué, que nous puissions avoir le souci de trouver d'autres réponses. Les enjeux sont tels qu'on doit prendre le temps de réfléchir, d'étudier la manière d'organiser ce rapprochement entre GDF et EDF et, partant, de s'assurer de son « euro-compatibilité ».
D'autres que nous, y compris dans votre camp, monsieur le ministre, travaillent sur l'une de ces hypothèses. C'est dire si d'autres voies que la privatisation de GDF sont à explorer.
Pourquoi se contenter de dire que, puisque le Portugal n'a pas eu gain de cause, ce n'est pas la peine de poser la question à la Commission européenne ? Comparaison n'est pas raison ! Affrontez donc la Commission sur ce dossier du rapprochement entre EDF et GDF !
Mais, en réalité, le Gouvernement ne veut pas de ce rapprochement pour différentes raisons, notamment idéologiques. Il a donc d'emblée opté pour la fusion GDF-Suez.
Notre proposition de constitution d'un pôle public de l'énergie EDF-GDF doit permettre à la France de rester maître de sa politique énergétique. C'est le seul moyen de garantir aux entreprises comme aux consommateurs domestiques un service public de qualité à des tarifs intéressants.
En fait, tout nous sépare, monsieur le ministre délégué, notamment lorsque le Gouvernement fait le choix du démantèlement du service public de l'énergie alors que nous proposons son renforcement.
Nul ne sera donc étonné que le groupe socialiste et les Verts rejettent avec force un tel texte, en attendant le grand choix des Français en 2007, ou peut-être même un tout prochain référendum, puisque nous allons proposer au Sénat, avec nos collègues du groupe CRC, une motion référendaire.
Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après un mois de débats à l'Assemblée nationale, nous voici finalement saisis du projet de loi relatif au secteur de l'énergie.
Comme le souligne M. Poniatowski dans son excellent rapport, il s'agit de la quatrième fois au cours de la présente législature que le Parlement est appelé à se prononcer sur l'organisation du secteur énergétique français et sur la définition d'un service public de l'énergie.
L'énergie est plus que jamais au centre des relations interétatiques et, dans le même temps, elle est absolument indispensable à tout un chacun dans sa vie quotidienne et professionnelle. C'est dire les enjeux dont sont porteurs tous les projets de loi portant sur ce secteur. Il n'y a pas de développement économique dans nos systèmes sans consommation d'énergie.
L'objet du texte qui nous est soumis aujourd'hui est double : achever la transposition française des directives relatives à l'ouverture des marchés de l'énergie et autoriser la privatisation de Gaz de France dans la perspective du projet de fusion Suez-Gaz de France.
Nous regrettons que ces deux objectifs majeurs aient été rassemblés en un seul texte, car ce sont deux enjeux tout à fait distincts. Mais surtout, le contenu politique de la privatisation de GDF cristallise le débat et occulte largement le débat sur la transposition des deux directives européennes. J'espère néanmoins que nos débats, pour passionnés qu'ils seront sans doute, seront riches et permettront de poser les vraies questions.
Le groupe UC-UDF est favorable à une transposition complète des deux directives européennes qui ont été arrêtées par le Parlement européen et par le Conseil européen, c'est-à-dire par nos représentants, le 26 juin 2003. Ces deux directives prévoient que tous les consommateurs européens devront pouvoir choisir librement leurs fournisseurs d'électricité et de gaz à partir du 1er juillet 2007.
En effet, pour l'UDF, le modèle européen, tel qu'il s'est construit au cours des cinquante dernières années et tel que les directives le prévoient présentement, est bon, notamment parce que, sous l'influence du modèle français d'organisation du secteur énergétique de 1946, il comporte l'obligation de service public et de service universel. Or, malgré la qualité du cadre européen, la France risque d'être à nouveau l'un des derniers pays à transposer ces deux directives. Ce projet de loi cherche à combler ce retard.
Il faut se réjouir que le projet de fusion entre Suez et Gaz de France ait fourni l'occasion d'examiner un texte sur l'énergie avant la fin de la session. C'est le Conseil d'État qui a rappelé au Gouvernement la nécessité d'insérer ces dispositions dans un projet de loi.
Je n'entrerai pas trop dans le détail des dispositions des deux premiers titres. Toutefois, je m'attacherai à deux points qui me semblent particulièrement importants : la Commission de régulation de l'énergie et le prix de l'énergie au client final.
Alors que le marché de l'énergie est en pleine mutation, avec l'apparition de nouveaux acteurs et les nombreuses restructurations en cours, mais aussi avec le passage à la libéralisation totale du marché de l'énergie en France, il est indispensable de conférer un rôle central important et une vraie autorité à notre régulateur, la Commission de régulation de l'énergie.
Cette Commission est aujourd'hui en France un nain politique, notamment par rapport à son équivalent dans le domaine des télécommunications, alors qu'elle devrait être un arbitre puissant. Elle doit pouvoir agir en toute indépendance et, pour cela, en avoir les moyens.
Pour cette raison, nous sommes très favorables aux deux amendements présentés par le rapporteur de la commission des finances, M. Marini, qui visent à doter la CRE de la personnalité morale et à poser le principe de son indépendance financière. La modification apportée à la composition de la CRE par l'Assemblée nationale nous semble absolument incompatible avec son indépendance. La CRE serait alors la seule autorité de régulation économique, en France et en Europe, à comprendre en son sein des parlementaires.
En outre, la présence de représentants des consommateurs dans ce collège me semble problématique dans la mesure où ces derniers ne sont presque jamais indépendants du secteur, ce qui est contraire aux dispositions consacrées à la régulation dans les directives. Les deux amendements des rapporteurs visant à modifier le collège de la CRE tout en renforçant ses prérogatives me semblent donc très opportuns.
En ce qui concerne le prix de l'énergie, nous avons tous été sensibilisés au problème de la hausse des prix sur le marché dérégulé. Jusqu'en 2000, la fourniture d'électricité en France était un monopole d'EDF et des régies locales. Les clients, particuliers comme professionnels, étaient facturés en fonction de tarifs publics, variant suivant leurs modes de consommation. Ces tarifs étaient parmi les plus compétitifs d'Europe, en raison de la relative faiblesse des coûts de production liée au choix opéré par notre pays en faveur du nucléaire.
Depuis 2001 et l'ouverture du marché, les prix français ont augmenté de 75 % sur le marché dérégulé, contre seulement 10 % pour les tarifs régulés. Ceux-ci sont désormais inférieurs de 66 % à ceux qui sont pratiqués sur le marché dérégulé. Selon le type d'activité, un tel différentiel peut représenter une part importante de la marge d'une PME et aller jusqu'à mettre en cause son existence. Il faut en parler !
Pour remédier à cette situation, les députés ont adopté un dispositif qui permettrait aux consommateurs d'électricité ayant fait le choix d'exercer leur éligibilité de bénéficier d'un tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché. Ce tarif dit « de retour » ne pourrait être supérieur de plus de 30 % au tarif réglementé applicable aux mêmes sites de consommation. Il permettrait en outre aux entreprises de s'approvisionner en électricité à des niveaux de tarifs compatibles avec leur activité.
Il nous reste bien sûr certains points à trancher sur ce sujet lors de nos débats : ce dispositif, prévu initialement pour une durée de deux ans, doit-il être renouvelable ou non ? Ne faut-il prendre comme base de calcul de ce tarif que la part énergie du tarif réglementé ? Et quel pourcentage retenir ? Enfin, quel mode de compensation doit-on retenir : contribution sur les gros producteurs d'électricité ou contribution au service public de l'électricité ? La question reste posée. La position définitive de la commission des affaires économiques à ce sujet sera connue demain.
Il faut néanmoins garder présent à l'esprit qu'il est indispensable de maintenir l'équilibre économique entre les producteurs, les fournisseurs et les consommateurs. Il ne faut pas obérer la capacité d'investissement des producteurs au profit des tarifs pratiqués pour les consommateurs.
En effet, nous sommes dans un contexte d'énergie chère et durablement chère. Il faut nous mettre dans cette disposition d'esprit définitive. La raréfaction des hydrocarbures à plus ou moins court terme laisse difficilement envisager une baisse des cours de toutes les énergies. Ainsi, il semble difficile de lier l'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie à une baisse des prix. Ce serait abuser nos concitoyens que de leur faire croire cela.
En outre, nous aurons bientôt à faire face à des pénuries possibles d'électricité, d'autant qu'il n'existe pas de véritable marché européen de l'électricité, en raison de la faiblesse des interconnections, ce qui est dommage. La construction européenne plus intégrée pour laquelle je milite peut apporter un élément de réponse à ce problème particulier.
La France ne peut donc compter que sur son propre parc de production pour franchir les pics de consommation. Même si les centrales nucléaires françaises fournissent de l'électricité à un niveau suffisant pour la consommation « de base », nos moyens de production en pointe sont, quant à eux, dès maintenant insuffisants pour satisfaire la demande en cas de grand froid ou de canicule. Nous en avons eu la preuve il y a peu de temps encore. En effet, une baisse d'un degré provoque une hausse de la consommation de 1 450 mégawatts, soit l'équivalent de la demande d'une agglomération comme Lyon.
En conséquence, pour écarter tout risque de rupture de l'équilibre du système électrique, comme celui qui a frappé à nos portes l'Italie en septembre 2003, il est indispensable d'augmenter les capacités d'investissements, donc de production.
J'en viens maintenant à l'enjeu politique majeur de ce projet de loi, à savoir la privatisation de Gaz de France dans la perspective de sa fusion avec Suez.
Tout d'abord, je tiens à souligner la situation particulière dans laquelle le Parlement est placé. On nous demande de nous prononcer avant même la décision de la Commission européenne qui interviendra sans doute le 25 octobre et alors que certains actionnaires importants de Suez - je pense au fonds dirigé par M. Knight - sont, comme ils l'ont fait savoir, résolument opposés au projet.
De plus, le groupe Suez mène parallèlement des négociations bilatérales avec le gouvernement belge, ...
...négociations qui sont relatives à l'ouverture du marché de l'électricité en Belgique et qui impliquent sans doute des concessions supplémentaires par rapport à celles qui sont proposées à la Commission par les deux groupes.
Je souligne d'ailleurs à ce sujet que, curieusement, M. Mestrallet conduit seul ces négociations sans que M. Cirelli y soit associé, alors que tous deux devront demain présider le futur ensemble. Tout cela laisse planer des incertitudes sur le projet définitif de fusion, ce qui complexifie le travail des parlementaires.
Pourtant, le projet que l'on nous propose aujourd'hui est séduisant à plus d'un titre. Il permet de renforcer la capitalisation de GDF et de lui donner ainsi la possibilité de poursuivre sa croissance. Gaz de France disposerait d'une structure plus souple pour s'adapter aux lois du marché en pleine mutation. Le nouvel ensemble proposerait aussi une offre duale gaz-électricité, répondant sans doute mieux aux attentes des clients. En outre, cet ensemble deviendrait le numéro un européen de la vente de gaz et serait également le plus gros acheteur de gaz du continent. La répartition des approvisionnements du groupe à l'horizon 2007 se ferait à partir d'un portefeuille de fournisseurs plus diversifié. Enfin, le nouvel ensemble disposerait d'une position dominante dans le gaz naturel liquéfié.
Ces avantages sont indiscutables. Je regrette cependant que l'on n'ait pas pris le temps d'explorer d'autres solutions, comme la proposition de la CFDT visant à garantir une participation de l'État à au moins 51 %, ou des propositions d'actionnaires minoritaires de Suez suggérant une OPA de Gaz de France sur Suez, financée par l'emprunt.
Philippe Marini a tout à l'heure très bien développé les qualités du projet de rapprochement qui se prépare et qui nous est soumis. Je ne ferai pas mieux que lui, et n'insisterai donc pas sur ce point.
Il est primordial pour nous que la fusion entre les deux groupes ne se fasse pas au détriment de Gaz de France et n'aboutisse pas par ailleurs à créer des conditions de concurrence déloyale avec EDF.
Ainsi, dans la réponse des deux groupes à la Commission européenne, il semble bien que les actifs de GDF soient plus touchés que ceux de Suez. La Commission européenne recommande en effet la cession de Distrigaz, de la participation de GDF dans la Société de production électrique et la cession de volumes de gaz aux concurrents à hauteur de 50 térawattheures annuels, diminuant ainsi l'intérêt de ce rapprochement.
Le deuxième risque est de rendre GDF opéable.
Le facteur déclenchant de cette fusion - la menace d'une OPA d'Enel sur Suez avec, à court terme le risque de démantèlement du groupe - reste d'actualité. Le rapporteur de la commission des finances a souligné dans son rapport que le futur groupe bénéficierait d'un « actionnariat stable limitant considérablement les risques de prise de contrôle non sollicitée », c'est-à-dire, en clair, les risques d'une OPA !
Certes, la part cumulée de l'État, de la Caisse des dépôts et consignations et d'Areva s'élèverait à 37, 4 %. Mais le noyau des actionnaires stables de Suez sera très dilué dans le groupe.
Par ailleurs, permettez-moi d'émettre quelques doutes sur la fiabilité d'Albert Frère, actionnaire important de Suez. En effet, même s'il s'est prononcé publiquement en faveur de la fusion, est un investisseur généralement guidé par une logique plus capitaliste qu'industrielle.
Le capital flottant du nouveau groupe, s'il est de 53, 5 %, est donc inférieur au capital opéable. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je pense qu'il ne faut pas sacrifier GDF pour mettre Suez à l'abri. Il ne faut négliger ni la puissance financière des fonds de pension anglo-saxons ni celle des producteurs de gaz, comme Gazprom.
Par ailleurs, monsieur le ministre, que se passera-t-il en cas d'augmentation du capital de la future société ? L'État se laissera-t-il diluer ou bien suivra-t-il l'augmentation de capital, et avec quels moyens, compte tenu de l'état actuel de nos finances nationales ?
Et il ne s'agit pas là d'un cas de figure théorique.
Enfin se pose un problème de crédibilité.
Le projet de fusion entre Suez et GDF nous oblige à revenir sur des engagements forts pris par le précédent Gouvernement et par le chef de l'État voilà seulement deux ans. Pour illustrer mes propos, je citerai le Président de la République et le ministre de l'intérieur, alors ministre de l'économie et des finances.
« Ces entreprises [EDF et GDF] sont de grands services publics. Elles le resteront, ce qui signifie qu'elles ne seront pas privatisées », a déclaré Jacques Chirac le 19 mai 2004.
M. Marcel Deneux. « Je le redis avec force : conformément aux engagements du Président de la République et du Gouvernement, EDF et Gaz de France ne seront pas privatisées », avait quant à lui solennellement déclaré Nicolas Sarkozy le 16 juin 2004.
Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Lors de l'examen de la loi relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, le groupe Union centriste-UDF avait défendu un amendement visant à porter à 50 % la part de l'État dans le capital de GDF, afin de lui donner les capacités financières de se développer.
Monsieur Poniatowski, vous étiez alors rapporteur de ce texte et vous nous aviez demandé de retirer notre amendement, comme le ministre, afin de ne pas gêner le Gouvernement. Ce n'est pourtant pas notre genre !.)
Nouveaux sourires
Afin de préserver la paix sociale, nous avions accepté de retirer notre amendement. Pourquoi nous demande-t-on aujourd'hui d'aller encore plus loin que ce qu'on nous a refusé il y a deux ans ?
S'il est nécessaire que GDF soit préservé, il est aussi indispensable que les consommateurs français ne soient pas lésés par cette fusion.
L'énergie est un enjeu national, nous en sommes tous d'accord. La sécurité d'approvisionnement constitue un objectif géostratégique constant de l'État. L'État doit donc en garder la maîtrise, sinon directement, du moins indirectement. Existe-t-il un marché fluide, diversifié qui permette d'atteindre cet objectif national avec les moyens ordinaires d'un État simple régulateur et non intervenant, comme il l'a été avec EDF, GDF, Elf ou Total ? Malheureusement, la situation n'est plus celle-là.
En matière d'électricité, il n'existe pas de marché international. Pour des raisons physiques, l'électricité, énergie secondaire, n'est pas stockable. Elle est difficilement transportable sur de longues distances. De surcroît, seul le nucléaire est à la hauteur des défis à venir
M. Jean Desessard s'exclame
Quant au gaz, il n'est plus guère produit en France, presque plus en Europe occidentale, sauf en Norvège. Le marché international du gaz est un réel oligopole où règnent et régneront de plus en plus en maîtres les fournisseurs russes, algériens et sud-américains, lesquels viennent d'ailleurs de conclure un accord de coordination pour leur offre.
À cet égard, je salue la politique d'approvisionnement très diversifié que GDF a réussi à mettre en place depuis quelques années. C'est une belle réussite !
Mais, à l'avenir, monsieur le ministre, face à la situation du monde que je viens de décrire, l'État français sera-t-il en mesure d'assurer l'indépendance énergétique de la France...
... et d'obtenir les meilleurs prix pour les entreprises et les ménages ? En un mot, l'État a-t-il encore les moyens de maîtriser l'évolution de ce secteur ? Votre projet de loi le permet-il, monsieur le ministre ?
Certes, en disposant d'une minorité de blocage dans le capital de Gaz de France, l'État conservera une certaine influence, bien ténue toutefois, me semble-t-il, au regard des enjeux actuels. Une entreprise à majorité publique serait mieux armée pour faire face aux risques d'instabilité que présente un petit nombre de pays fournisseurs - l'Algérie, la Russie, la Norvège et le Venezuela. L'État, en perdant la majorité dans Gaz de France, ne risque-t-il pas de se priver d'un instrument essentiel pour défendre l'intérêt général ?
M. Marcel Deneux. Nous avons deux semaines, mes chers collègues, pour nous faire une opinion et répondre à ces interrogations. Soyez assuré, monsieur le ministre, que nous participerons avec vigilance à ces débats.
Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et sur quelques travées de l'UMP. - Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour un rappel au règlement.
Monsieur le président, il a fallu attendre longtemps avant d'écouter le premier orateur socialiste s'exprimer. Les applaudissements nourris qui ont accueilli son intervention sur l'ensemble des travées de l'opposition ont montré combien elle avait été appréciée ! Or, à peine notre collègue était-il monté à la tribune que M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie quittait l'hémicycle. À peine avait-il achevé son intervention que M. le ministre revenait !
M. le ministre s'est encore absenté au moment même où notre collègue Marcel Deneux citait des propos de M. Nicolas Sarkozy. J'aurais pourtant aimé qu'il entende mon rappel au règlement, qui lui est destiné.
Ma question est la suivante : comment M. le ministre fera-t-il pour répondre à ces deux orateurs, qu'il n'a pas écoutés, apparemment volontairement ?
M. le ministre délégué à l'industrie transmettra certainement à M. le ministre des finances ce qui a été dit en son absence.
Au demeurant, je rappelle que l'usage du téléphone portable est interdit en séance. Pour prendre une communication, M. le ministre doit donc sortir.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.