Intervention de Marcel Deneux

Réunion du 10 octobre 2006 à 16h20
Secteur de l'énergie — Discussion générale

Photo de Marcel DeneuxMarcel Deneux :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après un mois de débats à l'Assemblée nationale, nous voici finalement saisis du projet de loi relatif au secteur de l'énergie.

Comme le souligne M. Poniatowski dans son excellent rapport, il s'agit de la quatrième fois au cours de la présente législature que le Parlement est appelé à se prononcer sur l'organisation du secteur énergétique français et sur la définition d'un service public de l'énergie.

L'énergie est plus que jamais au centre des relations interétatiques et, dans le même temps, elle est absolument indispensable à tout un chacun dans sa vie quotidienne et professionnelle. C'est dire les enjeux dont sont porteurs tous les projets de loi portant sur ce secteur. Il n'y a pas de développement économique dans nos systèmes sans consommation d'énergie.

L'objet du texte qui nous est soumis aujourd'hui est double : achever la transposition française des directives relatives à l'ouverture des marchés de l'énergie et autoriser la privatisation de Gaz de France dans la perspective du projet de fusion Suez-Gaz de France.

Nous regrettons que ces deux objectifs majeurs aient été rassemblés en un seul texte, car ce sont deux enjeux tout à fait distincts. Mais surtout, le contenu politique de la privatisation de GDF cristallise le débat et occulte largement le débat sur la transposition des deux directives européennes. J'espère néanmoins que nos débats, pour passionnés qu'ils seront sans doute, seront riches et permettront de poser les vraies questions.

Le groupe UC-UDF est favorable à une transposition complète des deux directives européennes qui ont été arrêtées par le Parlement européen et par le Conseil européen, c'est-à-dire par nos représentants, le 26 juin 2003. Ces deux directives prévoient que tous les consommateurs européens devront pouvoir choisir librement leurs fournisseurs d'électricité et de gaz à partir du 1er juillet 2007.

En effet, pour l'UDF, le modèle européen, tel qu'il s'est construit au cours des cinquante dernières années et tel que les directives le prévoient présentement, est bon, notamment parce que, sous l'influence du modèle français d'organisation du secteur énergétique de 1946, il comporte l'obligation de service public et de service universel. Or, malgré la qualité du cadre européen, la France risque d'être à nouveau l'un des derniers pays à transposer ces deux directives. Ce projet de loi cherche à combler ce retard.

Il faut se réjouir que le projet de fusion entre Suez et Gaz de France ait fourni l'occasion d'examiner un texte sur l'énergie avant la fin de la session. C'est le Conseil d'État qui a rappelé au Gouvernement la nécessité d'insérer ces dispositions dans un projet de loi.

Je n'entrerai pas trop dans le détail des dispositions des deux premiers titres. Toutefois, je m'attacherai à deux points qui me semblent particulièrement importants : la Commission de régulation de l'énergie et le prix de l'énergie au client final.

Alors que le marché de l'énergie est en pleine mutation, avec l'apparition de nouveaux acteurs et les nombreuses restructurations en cours, mais aussi avec le passage à la libéralisation totale du marché de l'énergie en France, il est indispensable de conférer un rôle central important et une vraie autorité à notre régulateur, la Commission de régulation de l'énergie.

Cette Commission est aujourd'hui en France un nain politique, notamment par rapport à son équivalent dans le domaine des télécommunications, alors qu'elle devrait être un arbitre puissant. Elle doit pouvoir agir en toute indépendance et, pour cela, en avoir les moyens.

Pour cette raison, nous sommes très favorables aux deux amendements présentés par le rapporteur de la commission des finances, M. Marini, qui visent à doter la CRE de la personnalité morale et à poser le principe de son indépendance financière. La modification apportée à la composition de la CRE par l'Assemblée nationale nous semble absolument incompatible avec son indépendance. La CRE serait alors la seule autorité de régulation économique, en France et en Europe, à comprendre en son sein des parlementaires.

En outre, la présence de représentants des consommateurs dans ce collège me semble problématique dans la mesure où ces derniers ne sont presque jamais indépendants du secteur, ce qui est contraire aux dispositions consacrées à la régulation dans les directives. Les deux amendements des rapporteurs visant à modifier le collège de la CRE tout en renforçant ses prérogatives me semblent donc très opportuns.

En ce qui concerne le prix de l'énergie, nous avons tous été sensibilisés au problème de la hausse des prix sur le marché dérégulé. Jusqu'en 2000, la fourniture d'électricité en France était un monopole d'EDF et des régies locales. Les clients, particuliers comme professionnels, étaient facturés en fonction de tarifs publics, variant suivant leurs modes de consommation. Ces tarifs étaient parmi les plus compétitifs d'Europe, en raison de la relative faiblesse des coûts de production liée au choix opéré par notre pays en faveur du nucléaire.

Depuis 2001 et l'ouverture du marché, les prix français ont augmenté de 75 % sur le marché dérégulé, contre seulement 10 % pour les tarifs régulés. Ceux-ci sont désormais inférieurs de 66 % à ceux qui sont pratiqués sur le marché dérégulé. Selon le type d'activité, un tel différentiel peut représenter une part importante de la marge d'une PME et aller jusqu'à mettre en cause son existence. Il faut en parler !

Pour remédier à cette situation, les députés ont adopté un dispositif qui permettrait aux consommateurs d'électricité ayant fait le choix d'exercer leur éligibilité de bénéficier d'un tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché. Ce tarif dit « de retour » ne pourrait être supérieur de plus de 30 % au tarif réglementé applicable aux mêmes sites de consommation. Il permettrait en outre aux entreprises de s'approvisionner en électricité à des niveaux de tarifs compatibles avec leur activité.

Il nous reste bien sûr certains points à trancher sur ce sujet lors de nos débats : ce dispositif, prévu initialement pour une durée de deux ans, doit-il être renouvelable ou non ? Ne faut-il prendre comme base de calcul de ce tarif que la part énergie du tarif réglementé ? Et quel pourcentage retenir ? Enfin, quel mode de compensation doit-on retenir : contribution sur les gros producteurs d'électricité ou contribution au service public de l'électricité ? La question reste posée. La position définitive de la commission des affaires économiques à ce sujet sera connue demain.

Il faut néanmoins garder présent à l'esprit qu'il est indispensable de maintenir l'équilibre économique entre les producteurs, les fournisseurs et les consommateurs. Il ne faut pas obérer la capacité d'investissement des producteurs au profit des tarifs pratiqués pour les consommateurs.

En effet, nous sommes dans un contexte d'énergie chère et durablement chère. Il faut nous mettre dans cette disposition d'esprit définitive. La raréfaction des hydrocarbures à plus ou moins court terme laisse difficilement envisager une baisse des cours de toutes les énergies. Ainsi, il semble difficile de lier l'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie à une baisse des prix. Ce serait abuser nos concitoyens que de leur faire croire cela.

En outre, nous aurons bientôt à faire face à des pénuries possibles d'électricité, d'autant qu'il n'existe pas de véritable marché européen de l'électricité, en raison de la faiblesse des interconnections, ce qui est dommage. La construction européenne plus intégrée pour laquelle je milite peut apporter un élément de réponse à ce problème particulier.

La France ne peut donc compter que sur son propre parc de production pour franchir les pics de consommation. Même si les centrales nucléaires françaises fournissent de l'électricité à un niveau suffisant pour la consommation « de base », nos moyens de production en pointe sont, quant à eux, dès maintenant insuffisants pour satisfaire la demande en cas de grand froid ou de canicule. Nous en avons eu la preuve il y a peu de temps encore. En effet, une baisse d'un degré provoque une hausse de la consommation de 1 450 mégawatts, soit l'équivalent de la demande d'une agglomération comme Lyon.

En conséquence, pour écarter tout risque de rupture de l'équilibre du système électrique, comme celui qui a frappé à nos portes l'Italie en septembre 2003, il est indispensable d'augmenter les capacités d'investissements, donc de production.

J'en viens maintenant à l'enjeu politique majeur de ce projet de loi, à savoir la privatisation de Gaz de France dans la perspective de sa fusion avec Suez.

Tout d'abord, je tiens à souligner la situation particulière dans laquelle le Parlement est placé. On nous demande de nous prononcer avant même la décision de la Commission européenne qui interviendra sans doute le 25 octobre et alors que certains actionnaires importants de Suez - je pense au fonds dirigé par M. Knight - sont, comme ils l'ont fait savoir, résolument opposés au projet.

De plus, le groupe Suez mène parallèlement des négociations bilatérales avec le gouvernement belge, ...

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