Intervention de Gérard Le Cam

Réunion du 13 janvier 2011 à 9h30
La ruralité : une chance pour la cohésion et l'avenir des territoires — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le peu d’efficacité de la loi relative au développement des territoires ruraux de 2005 nous amène à aborder les questions de la ruralité – des ruralités ! – et de la fracture territoriale qui continue de s’amplifier.

La question orale posée par notre collègue Didier Guillaume énumère très justement les conséquences de l’ensemble des réformes qui sont aujourd’hui mises en œuvre par la majorité gouvernementale et qui entravent le développement des territoires ruraux. Notre collègue appelle ainsi de ses vœux une prise de conscience des conséquences dramatiques de la réorientation des politiques publiques. Nous sommes en total accord avec cette exigence.

Didier Guillaume relève en particulier trois types de mutations qui affectent les territoires ruraux : la mutation institutionnelle, qui permet une centralisation des pouvoirs à une plus grande échelle, la mutation de l’intervention publique, qui se restreint à sa plus faible expression selon la logique de la révision générale des politiques publiques, et, enfin, le changement du statut et des missions des services publics, auxquels on demande non plus de répondre à l’intérêt général, mais simplement d’être rentables pour les investisseurs. Ces transformations conduisent à mettre de côté les exigences d’un aménagement équilibré du territoire, d’égal accès aux services publics et de cohésion sociale et territoriale.

Nous estimons que ce changement d’orientation est contraire au pacte républicain.

En effet, loin de penser que les 36 000 communes constituent un handicap pour le dynamisme de la France ou que le « mille-feuille territorial » serait source de confusion et de lenteur, nous considérons au contraire que cette diversité est l’expression de la grande richesse de notre pays. Mais les transformations en cours, notamment celles qui ont été introduites par la réforme des collectivités territoriales, visent à éloigner les lieux de décisions des citoyens en centralisant les pouvoirs.

Ainsi, le département est dévitalisé et les communes sont sommées de se regrouper au sein d’intercommunalités, des intercommunalités non de projet mais imposées par le pouvoir central. Ce phénomène est accentué par la mise en perspective des métropoles et des pôles métropolitains qui engendrent la construction d’intercommunalités gigantesques aux pouvoirs considérables. Il s’agit ainsi, de manière très habile, de couper le lien vital entre les élus et leurs administrés, à l’image de ce qui se prépare pour le Grand Paris.

Les pôles de compétitivité et les pôles d’excellence rurale, sans avoir la dimension d’une réelle politique d’aménagement et de revitalisation des territoires, ont certes apporté un peu d’oxygène ici et là. Leur incidence reste à mesurer.

Ces politiques menées par la droite ont pour conséquence la création d’une France à deux vitesses : d’un côté, des pôles économiques et urbains concentrant l’ensemble des pouvoirs, des savoirs et des moyens et, de l’autre, le reste de la France, dépourvu de tout, où l’accès aux services publics dépend des possibilités des collectivités de proximité et de la rentabilité qu’y trouvent les opérateurs. Or, notre conception de la solidarité et de la cohésion nationale doit permettre une péréquation effective des moyens entre tous les territoires placés sous l’égide de l’État.

À cela s’ajoute le fait que, désormais, les collectivités n’ont plus les moyens de répondre aux besoins des citoyens, notamment du fait de la réforme de la taxe professionnelle, qui les a privées d’une ressource essentielle.

D’une part, les pertes engendrées par cette réforme ont été chiffrées par le député Gilles Carrez, qui a évalué son coût pour l’État à 8, 9 milliards d’euros en 2010 et à 7, 5 milliards d’euros en 2011. Ce dernier chiffre est déjà comparable à l’ensemble des baisses d’impôts sur les sociétés consenties entre 2000 et 2009, ce qui fait dire à M. Carrez, député issu des rangs de la majorité, que « la réforme de la taxe professionnelle apparaît […] comme un allégement historique de la pression fiscale pesant sur les entreprises ». Cette analyse est partagée.

D’autre part, le Gouvernement a également porté un coup terrible à la capacité d’intervention des collectivités, notamment rurales, par le gel des dotations aux collectivités territoriales, alors que, en cette période de crise économique sans précédent, la demande de services de proximité est à son comble et les collectivités apparaissent souvent comme l’amortisseur social face à la précarité.

Pouvons-nous vraiment les asphyxier sans mettre en péril les services publics locaux ? Nous ne le pensons pas. Il est donc maintenant urgent de revenir sur cette réforme.

De plus, la refonte de la carte électorale pour les futurs conseillers territoriaux conduira à une révision du découpage des cantons et à la suppression de certains d’entre eux par fusion de cantons ruraux. Nous estimons là encore que ces territoires feront les frais, dans leur représentation, de la volonté du Gouvernement de rationaliser l’administration territoriale.

S’agissant de la deuxième mutation invoquée, celle de l’intervention de l’État dans les territoires, la politique de rigueur appliquée aux territoires est un non-sens, comme le symbolise la réforme de la révision générale des politiques publiques.

Ainsi, les services de l’État ne disposent plus de moyens suffisants, notamment pour instruire les demandes de permis de construire dans certains départements. À ce sujet, ma collègue Évelyne Didier me signalait que le préfet de sa région reconnaissait dans l’un de ses courriers son incapacité, faute de moyens humains.

Nous avons également vu les conséquences désastreuses de ces politiques lors des différents épisodes neigeux, pendant lesquels la restructuration des services de l’équipement et le désengagement de l’État se sont traduits par l’incapacité de faire face aux difficultés.

J’en viens enfin à la transformation de la présence des services publics sur le territoire.

Les Assises des territoires ruraux ont mis en évidence de fortes attentes de la part des habitants en matière de services publics. Mais la réponse apportée par le Gouvernement consiste à transformer le service public en services au public.

La nouveauté de l’accord que celui-ci a récemment passé avec un certain nombre d’entreprises et d’organismes publics réside effectivement dans la mise en place de structures de mutualisation des services publics. À cette occasion, le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire avait bien précisé qu’il s’agissait non pas de redéployer ces services, mais de « mettre des services là où ils ne sont plus et là où ils n’ont peut-être jamais été, à un coût abordable pour les opérateurs ».

Nous en revenons donc à cette sacro-sainte rentabilité, qui justifie le démantèlement de l’ensemble des grands services publics de réseau – énergie, transport, postes, télécommunications – et, maintenant, des services sociaux comme l’hôpital, grâce à la transposition de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, la fameuse directive Bolkestein.

La privatisation successive des services publics, notamment en matière de télécommunications, a conduit à une diminution de la présence des infrastructures correspondantes sur le territoire.

C’est particulièrement le cas de La Poste : la loi portant son changement de statut a permis de garantir la présence sur l’ensemble du territoire, non pas de bureaux de poste de plein exercice, mais simplement de points de contact, c’est-à-dire de services aux rabais rendus par les commerçants déjà implantés.

C’est également le cas du fret ferroviaire, cette activité étant laminée dans un objectif de rentabilité économique. Pourtant, les conséquences sur le terrain pour les petites et moyennes entreprises, les PME, sont particulièrement néfastes. Celles-ci sont dorénavant obligées de faire appel à la route, en contradiction avec les impératifs de rééquibrage modal affirmés au sein du Grenelle de l’environnement.

Le futur financement du schéma national des infrastructures de transport est lui aussi très inquiétant, eu égard aux délais envisagés et à l’appel conséquent au cofinancement des collectivités rurales.

Dans ce contexte, comment encourager l’implantation de commerces de proximité, des PME et des artisans ? Chaque année, les parlementaires doivent se battre contre le Gouvernement, qui n’a de cesse de réduire les crédits du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC.

En déménageant les territoires, quelle France construisez-vous, monsieur le ministre ?

Nous voyons pourtant bien que nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à faire le choix d’une installation en province afin de bénéficier d’une autre qualité de vie. Si toutes les infrastructures de service public ont disparu, si les écoles, les hôpitaux et les tribunaux ont fermé, comment accueillir ces populations ? C’est un paradoxe auquel il faut penser.

Je souhaiterais également dire un mot sur le réseau internet de haut débit, dont la présence sur l’ensemble du territoire est annoncée depuis de nombreuses années. Déjà en décembre 2005, le Gouvernement s’engageait à offrir à l’horizon de 2007 l’accès à ce réseau à toutes les communes de France, et ce à un prix acceptable. Nous sommes aujourd’hui encore loin du compte.

L’adoption du grand emprunt a offert à la majorité une nouvelle occasion d’affirmer le fibrage du territoire pour permettre l’accès de tous aux nouvelles technologies, par le déblocage de 2 milliards d’euros en faveur du très haut débit. La réalité est néanmoins tout autre : aujourd’hui encore, le réseau internet à haut débit n’a pas atteint toutes les campagnes françaises.

À ce titre, la loi relative à la lutte contre la fracture numérique, que nous avons adoptée voilà maintenant une année, n’a fait qu’accentuer les inégalités d’accès au réseau entre les zones dites « denses », essentiellement urbaines, et les zones dites « peu denses », essentiellement rurales.

Selon cette loi, les collectivités doivent déterminer leur schéma directeur territorial d’aménagement numérique pour prétendre à une subvention de l’État, c’est-à-dire à un financement partiel. Mais seuls 34 projets sur 61 ont été retenus pour être financés. Nous estimons que cette question ne pourra pas se résoudre tant qu’un grand service public des télécommunications ne sera pas créé, financé par l’État et garantissant à tous ce droit du xxie siècle.

Nous considérons en outre qu’il est urgent de mettre un point d’arrêt à ces réformes, de réorienter les richesses vers les besoins, notamment par la création d’un pôle public financier permettant de réaliser les investissements d’avenir, et de placer les banques sous contrôle. Nous estimons également qu’il est nécessaire de refonder les services publics autour de la notion de l’intérêt général, et non de la rentabilité pour les actionnaires.

Nous exigeons le respect de l’autonomie des collectivités territoriales, notamment rurales, comme gage d’une démocratie vivante.

Monsieur le ministre, l’évolution structurelle et démographique des ruralités de très nombreuses régions françaises appelle des réponses adaptées à la hauteur des enjeux. Pour ce qui concerne ma région, la Bretagne, une progression de 24, 1 % de la population est attendue sur la période allant de 2007 à 2040. Elle s’appuie essentiellement sur le solde migratoire.

Comment nos collectivités vont-elles pouvoir accueillir ces populations ? La loi du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, la réduction de la consommation des terres agricoles et le manque de moyens financiers des collectivités ne risquent-ils pas de créer un effet de ciseau, bridant ainsi toute évolution pour aller gonfler les métropoles quasi invivables ?

Le monde rural attire les retraités urbains, les pauvres et certains actifs pensant que la pauvreté est moins dure à la campagne et que la solidarité y est plus grande. C’est déjà un leurre aujourd’hui et, si nous n’y prêtons garde, ce sera un véritable piège à misère demain. Peu d’éléments invitent à l’optimisme, monsieur le ministre, qu’il s’agisse de l’évolution du revenu agricole, de la désertification médicale, du niveau des salaires et des retraites, de l’évolution des transports collectifs et industriels, du démantèlement des services publics…

La France rurale, qu’elle soit périurbaine, agricole ou paysagère, mérite mieux. Il n’est pas trop tard pour envisager des réponses adaptées. La ruralité n’est pas un handicap, c’est un véritable atout pour la France. Sachons l’utiliser au bon moment, c’est-à-dire dès maintenant !

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