Intervention de Bernard Vera

Réunion du 13 janvier 2011 à 14h30
Débat sur la désertification médicale

Photo de Bernard VeraBernard Vera, pour le groupe CRC-SPG :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le fait que notre assemblée puisse débattre, aujourd’hui, de la médecine de proximité, en dehors de toute loi de financement de la sécurité sociale ou de l’examen d’un projet ou d’une proposition de loi portant sur le sujet, n’est ni anodin ni sans conséquence.

Les conseillers municipaux, les maires, les conseillers généraux ou régionaux, que nous représentons, les territoires et les populations qui les habitent, tout nous invite à poser clairement la question, afin de rechercher par tous les moyens, à garantir l’accès de toutes et de tous à une médecine de proximité, de qualité, et j’ajoute, car ce n’est pas sans importance, à tarifs opposables.

La manière avec laquelle le Sénat s’est approprié les débats de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi « HPST », le fait que la première proposition de loi tendant à la modifier soit d’origine sénatoriale, bien que nous soyons loin de l’approuver, confirme l’analyse de notre groupe, qui nous a conduits à proposer ce débat sur la désertification médicale.

Le Sénat a en effet toute légitimité pour aborder de front cette question, et beaucoup reste à faire, d’autant que Mme Roselyne Bachelot-Narquin a décidé, à l’occasion du congrès de médecine générale qui s’est tenu à Nice en juin dernier, de renoncer à deux mesures censées lutter contre les problèmes de démographie médicale. Pour mémoire, il s’agissait des « contrats santé solidaires » et des « déclarations préalables d’absence », deux mesures à nos yeux peu efficaces.

Si nous avons toujours douté de la capacité de ces deux seules mesures à répondre aux besoins de nos concitoyens, nous ne pouvons que regretter la manière dont celles-ci ont été écartées. Madame la secrétaire d'État, il n’est pas selon moi de bonne politique que le Gouvernement décide, seul, de surseoir à l’exécution de mesures législatives adoptées par la représentation nationale, surtout lorsqu’elles étaient censées améliorer les droits des habitants des territoires qui souffrent d’une sous-densification médicale.

Ce « gel » trouvera sans doute sa conclusion par la suppression de ces mesures, comme le propose notre collègue Jean-Pierre Fourcade, au motif que le Gouvernement et sa majorité veulent témoigner de leur confiance aux professionnels de santé.

Pendant ce temps, nos concitoyens peinent toujours davantage dans leur recherche de médecins de proximité. Pour reprendre les propres termes de Mme Élisabeth Hubert, qui a remis il y a peu un rapport concernant la désertification médicale, « l’état démographique de cette profession [fait] peser un réel danger sur toute l’offre de santé ».

C’est dire, madame la secrétaire d'État, s’il y a urgence à agir !

Plus les réponses tardent à venir, plus les difficultés auxquelles font face nos concitoyens sont grandissantes.

Si la densité médicale était de 275 généralistes pour 100 000 habitants en 1985 et de 340 praticiens en 2005, toutes les études prévoient, à l’horizon 2025, qu’elle tombe à 283 généralistes pour 100 000 habitants, soit un taux à peine supérieur à celui du milieu des années quatre-vingt.

Or le vieillissement de la population, les souffrances liées au travail, les pathologies consécutives aux pollutions ou, tout simplement, les évolutions démographiques ont fait naître des besoins nouveaux qu’il faudra bien satisfaire.

Mes chers collègues, au vu de ces éléments et alors que le nombre de médecins, y compris de médecins de premier recours, n’a jamais été aussi grand, il serait erroné de considérer que seul un problème de démographie se pose aujourd’hui.

Voilà une erreur derrière laquelle il est aisé de se cacher pour renoncer à agir sur la vraie problématique : celle de la régulation géographique.

En revanche, il y aura bien, demain, un réel problème de démographie, avec un manque criant de médecins généralistes dont les patients seront les victimes. Selon les atlas régionaux de la démographie médicale, le nombre total des médecins en activité devrait en effet diminuer de 10 % à l’horizon 2025.

À plus ou moins long terme, l’enjeu auquel nous sommes confrontés est donc bien l’accès de toutes et de tous à des soins de proximité.

Cette ambition est loin d’être réalisée dans la mesure où, actuellement, selon un sondage réalisé par le Collectif interassociatif sur la santé, le CISS, et l’institut Viavoice, 10 % des Français affirment déjà avoir des difficultés à trouver près de chez eux un médecin généraliste. Le pourcentage atteint 27 % dès lors qu’il s’agit de médecins spécialistes et explose à 34 % pour l’accès à des professionnels de santé ne pratiquant pas de dépassement d’honoraires.

La situation est alarmante alors qu’il y a actuellement 214 000 médecins en activité, soit une progression de 22 % du nombre de professionnels depuis les années quatre-vingt-dix. Dans le même temps, la population française ne progressait, elle, que de 10 %.

Ainsi, la répartition inégale des médecins sur le territoire constitue bien la principale difficulté à laquelle sont à ce jour confrontés nos concitoyens.

Selon les données recueillies dans les vingt-trois atlas régionaux de la démographie médicale, certaines régions connaissent une réelle pénurie, et d’autres une sur-densification.

Il est à noter, par exemple, que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur arrive en tête de la densité médicale, avec 375 médecins généralistes en activité pour 100 000 habitants, contre à peine 164 pour la région Nord-Pas-de-Calais. Cette situation résulte principalement du fait que de nombreux jeunes médecins, récemment diplômés, ont pendant longtemps fait le choix d’une installation non dans leurs régions d’origine, mais dans celles où la qualité de vie est considérée comme meilleure.

Pour autant, l’implantation des professionnels dans ces régions à forte densité médicale est également inégale en interne. Si l’on observe une importante densité le long de la côte, dans l’arrière-pays, des régions entières sont pratiquement abandonnées.

De la même manière, s’il est vrai que les départements ruraux souffrent le plus des déserts médicaux, les départements urbains, y compris parmi les plus peuplés, en pâtissent également.

Si Paris compte 742 généralistes pour 100 000 habitants, ils sont sept fois moins nombreux en Seine-Saint-Denis. Et mon département, l’Essonne, fait face à une diminution du nombre de praticiens en activité de 27, 5 % par rapport à l’année dernière, conséquence du vieillissement des médecins en exercice et d’un nombre insuffisant d’installations.

On le voit bien, les déserts médicaux actuels sont donc moins dus à une pénurie médicale qu’à une régulation inefficace ou plutôt, devrais-je dire, qu’à une absence de régulation.

La liberté d’installation que vous défendez conduit à l’évidence, et nos concitoyens le vivent quotidiennement, notamment dans les territoires ruraux et les zones urbaines sensibles, à des conditions d’accès aux soins inacceptables.

Les mesures incitatives et volontaristes que vous n’avez eu de cesse de proposer depuis plus de dix ans ont fait la preuve de leur inefficacité. Votre refus d’adopter d’autres mesures, plus contraignantes, seules à même de garantir dans le temps et dans l’espace une implantation médicale adéquate aux besoins en santé des femmes et des hommes de notre pays confine à l’irresponsabilité.

Je ne prendrai que deux exemples : celui des bourses régionales et celui des aides délivrées par l’État et l’assurance maladie, plus spécifiquement l’avenant 20 de la convention médicale, qui accorde une majoration de 20 % des honoraires des généralistes exerçant en zone déficitaire et en groupe, mode d’exercice d’ailleurs plébiscité par les médecins.

Cette mesure n’a absolument pas permis de réduire les déserts médicaux.

Selon une étude menée conjointement par le CISS, la FNATH, la Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés, et l’UNAF, l’Union nationale des associations familiales, sur 100 caisses primaires, seules 28 ont mis en œuvre les dispositions contenues dans cet avenant. Et dans 17 de ces 28 caisses, l’application de ce dispositif s’est tout de même traduite par une baisse de la densité médicale, alors que l’incitation financière l’accompagnant est de l’ordre de 25 000 à 28 000 euros annuels et par médecin, un complément de rémunération pourtant non négligeable.

Certes, l’attribution de bourses régionales en contrepartie d’une période d’exercice obligatoire dans la collectivité de financement constitue une première étape intéressante, mais elle est largement insuffisante, et ce à un triple titre.

Elle est insuffisante, d’abord, car elle repose, là encore, sur le volontariat et sur la capacité de financement des régions, lesquelles subissent de plein fouet une politique marquée avant tout par une réduction des ressources dont elles disposent, et donc par une compression des dépenses.

Elle est insuffisante, ensuite, car elle entérine la suppression d’un principe fondamental pour notre groupe : l’égalité d’accès aux soins entre tous nos concitoyens, indépendamment de leur lieu de résidence ou de leurs moyens financiers.

Elle est insuffisante, enfin, car, dans le même temps où le Gouvernement plaide en faveur de l’installation volontaire des professionnels de santé dans les territoires qui en manquent cruellement, il pratique une casse méthodique et organisée de l’ensemble des services publics : fermeture des écoles, des postes, des maternités, des gendarmeries et des hôpitaux de proximité.

Mes chers collègues, reconnaissons qu’il est tout de même paradoxal de proposer à des jeunes médecins de s’installer dans des territoires que l’État abandonne lui-même peu à peu.

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