Ça, c’est votre point de vue, mon cher collègue !
C’est pourquoi nous sommes convaincus, sans remettre totalement en cause ce principe auquel les professions libérales sont attachées, qu’il est aujourd’hui indispensable de limiter les nouvelles installations dans les zones déjà fortement pourvues de médecins.
Sans anticiper sur l’intervention de ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat, il me semble que nous devrions nous inspirer des mécanismes législatifs qui existent déjà actuellement dans certaines professions de santé : je pense par exemple à ceux qui concernent l’ouverture des officines ou à la régulation de la démographie infirmière.
De même, nous devrions rendre opposable le Schéma régional de l’organisation des soins ambulatoires fixant les besoins en santé des populations par bassin.
Mais il faudra également, comme nous y invite le rapport de Mme Hubert, trouver les réponses structurelles et à long terme pour éviter qu’à l’avenir ne se généralisent les déserts médicaux.
Cela exige de donner à la médecine de proximité, et singulièrement de premier recours, toutes ses lettres de noblesse. La reconnaissance de la médecine générale comme une spécialité ainsi que la possibilité ouverte aux praticiens titulaires du diplôme de médecine générale de percevoir des honoraires similaires à ceux des autres spécialistes pourraient constituer des facteurs déterminants dans le choix des étudiants en faveur de la médecine générale, à condition que cette filière soit réellement soutenue et que le Gouvernement prenne l’ensemble des mesures nécessaires à la création de véritables services universitaires de médecine générale ambulatoire.
Force est de constater que nous en sommes encore loin et que, pour reprendre l’expression retenue par Rémy Senand et Marie Kayser dans un article paru le 8 juin dernier dans la revue Pratiques, l’enseignement de la médecine générale est encore « au milieu du gué ».
J’en veux pour preuve le nombre encore trop faible de professeurs titularisés par la commission d’intégration – à peine 20 – quand les représentants des enseignants de médecine générale estiment nécessaire de titulariser au plus vite plus de 30 professeurs associés, dont les statuts sont particulièrement précaires.
Par ailleurs, compte tenu du faible nombre de nominations par la voie « normale » du Conseil national des universités, se pose sans doute la question de la prolongation de la durée de vie de la commission d’intégration initialement prévue pour cinq ans.
Revaloriser la médecine générale suppose un préalable indispensable qui aujourd’hui fait défaut : une véritable professionnalisation et une revalorisation de la formation initiale des futurs médecins. Autant d’éléments indispensables qui impliquent que l’on accorde enfin « à la filière universitaire de médecine générale les moyens dont elle a besoin » comme le demandent les associations représentant les étudiants de médecine générale. Je pense notamment à la création de postes d’enseignants ne reposant pas, comme c’est très souvent le cas, sur des postes vacants dans d’autres spécialités. Les universitaires savent trop combien, en règle générale, un poste vacant est un poste perdu.
Il n’est pas non plus acceptable que la seule alternative consiste à supprimer un poste d’enseignant dans une filière pour l’affecter à la filière universitaire de médecine. Cette logique comptable ne constitue pas une réponse durable aux enjeux de formation des futurs médecins de premier recours.
Mais il faut également que le processus de formation des étudiants prenne en compte la spécificité propre à cette discipline, c’est-à-dire son caractère ambulatoire. Il faut par exemple permettre la réalisation effective en cabinet médical du stage prévu en second cycle afin de sensibiliser les étudiants à ce mode d’exercice en leur permettant de découvrir une autre réalité que celle du modèle hospitalo-universitaire, aujourd’hui encore très majoritaire.
Alors que certains proposent de réduire la durée des études formant les médecins généralistes, nous considérons, pour notre part, qu’il faudrait au contraire pérenniser la quatrième année de spécialisation comme c’est le cas pour les autres spécialités.
Celle-ci pourrait principalement être orientée vers la réalisation de stages de longues durées, pouvant aller de six mois à un an et dans des territoires qui souffrent d’une sous-densification. Cela permettrait d’assurer de manière continue une présence médicale conjointe à celle du médecin maître de stage, soulageant ce dernier dans ses amplitudes de travail et facilitant l’accès aux soins des patients.
Cela suppose naturellement un accompagnement financier permettant de lever les obstacles liés à l’accueil d’un stagiaire en cabinet. En effet, la présence d’un interne nécessite de la part du maître de stage un investissement en énergie et en temps qui rallonge la consultation et réduit d’autant le nombre de patients qu’il peut accueillir dans la journée.
Cela peut avoir des conséquences financières substantielles dans le cadre d’une rémunération à l’acte et les compensations actuellement consenties semblent insuffisantes pour pallier les pertes réelles.
Enfin, comme le préconise le rapport de Mme Hubert, il apparaît impératif de tenir compte des envies mêmes des médecins et des étudiants concernant les modes d’exercice de leur profession.
Toutes les enquêtes menées auprès des professionnels l’attestent, les médecins, principalement les jeunes diplômés, veulent rompre avec l’isolement qui est le leur. Ils sont de plus en plus nombreux à redouter une installation synonyme de solitude et d’amplitude horaire trop importante. Cela implique de favoriser l’exercice regroupé, principalement pluridisciplinaire, notamment au sein de maisons de santé.
Chacun s’accorde à reconnaître que la pluridisciplinarité constitue un avantage certain, tant pour les professionnels que pour les patients qui disposent ainsi dans un même lieu de l’ensemble des prestations dont ils peuvent avoir besoin.
Or ce mode d’exercice, qui suppose un projet de soins, induit des temps de travail et de concertation qui ne sont pas des temps de soins et par conséquent ne donnent pas lieu, dans le cas d’un paiement à l’acte, à une rémunération.
Il faut donc impérativement développer, comme nous l’avions proposé dans le cadre de l’examen par le Sénat de la loi HPST, une rémunération forfaitaire. Celle-ci pourrait notamment inclure la compensation du temps de travail spécifique issu des besoins liés à l’exercice regroupé, la prise en charge des temps dédiés à l’éducation thérapeutique ou aux missions de prévention.
Si nous sommes favorables à ces expérimentations, nous les associons à la condition primordiale du respect par ces professionnels des tarifs opposables. Nous ne pouvons concevoir que des fonds publics puissent être destinés à des professionnels de santé dont la pratique tarifaire aurait pour effet de participer à leur manière à l’accroissement des renoncements aux soins pour des motifs financiers.
Enfin, pour conclure, je voudrais aborder la question des centres de santé municipaux, mutualistes ou associatifs, qui constituent le mode le plus ancien et le plus répandu de l’exercice collectif et pluridisciplinaire de la médecine.
À l’image du rapport de M. Vallencien, celui de Mme Hubert note l’importance des centres de santé, notamment parce qu’ils contribuent à lutter à la fois contre la désertification médicale et contre le renoncement aux soins, bien que celui-ci reste principalement axé sur la médecine libérale.
Ce tropisme est regrettable car de plus en plus de jeunes diplômés s’orientent vers un exercice salarié qu’ils estiment davantage en adéquation avec leur conception de la médecine, mais aussi avec leur mode de vie.
De la même manière, nous regrettons, à l’instar de la Fédération nationale des centres de santé, que ce rapport limite les centres de santé à « une réponse sanitaire d’exception qu’il serait bon de développer uniquement en cas de défaillance de l’organisation libérale ».
Cette conception, particulièrement anachronique à nos yeux, ne tire aucune conclusion des réussites réalisées quotidiennement par ces centres qui permettent une approche globale des patients, avec la pratique du tiers payant, la prévention, l’éducation en santé ou encore la pluridisciplinarité.
Aussi, nous considérons que ce mode d’exercice ne doit pas être écarté des autres modes collectifs d’exercice et nous souhaitons que le Gouvernement s’engage à étendre aux centres de santé les financements qu’il entend développer pour favoriser l’exercice collectif libéral.