Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, notre système de santé présentait, jusqu’à récemment, tous les avantages : liberté individuelle d’accès aux soins quasi universelle pour le patient ; universalité de la couverture avec la CMU ; faible coût pour les intéressés de leurs études et de leur formation ; liberté de prescription, d’installation, de mode d’exercice pour le médecin ; enfin, qualité reconnue des soins.
Pour résumer, il est fondé sur la socialisation quasi intégrale du coût des choix individuels, qu’il s’agisse du médecin ou du patient.
Côté médecin, le système assure globalement un bon niveau de revenus, progressant plus vite que le salaire moyen, et aucune contrepartie sociale autre que celle qu’il s’impose à lui-même ne lui est demandée, pas même, depuis 2003, d’assurer des gardes.
Le nerf du système est la rémunération, pour tout ou partie, à l’acte de 67 % des omnipraticiens et de 50 % des spécialistes, dont 69 % des radiologues et 64, 5 % des cardiologues. Ce mode de rémunération est désormais appliqué globalement à l’hôpital public, dont les ressources dépendent du nombre et de la qualité des actes qui s’y pratiquent.
Un système libéral financé par l’argent public, impossible de rêver mieux !
Mais le système s’est mis à dysfonctionner en termes de coûts et en termes qualitatifs : files d’attente qui s’allongent pour l’accès à certaines spécialités ; surchauffe des urgences qui, ici ou là, prennent ponctuellement des allures de cours des miracles ; extrême disparité de la démographie médicale, sujet du débat de cet après-midi.
Le diagnostic est connu : la présence médicale est très variable d’une région à l’autre, entre les départements d’une même région, entre les villes et les zones rurales, entre les quartiers des villes et même entre les secteurs ruraux d’un même département.
Elle est encore plus variable s’agissant des spécialistes. Entre les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et la Picardie, la densité des spécialistes varie du simple au double ; vous auriez, mes chers collègues, de nombreux exemples à apporter sur ce point.
Même une démographie médicale favorable, comme c’est le cas dans mon département du Var, ne signifie pas pour autant que la permanence des soins est assurée dans les zones rurales. Je peux vous citer l’exemple d’un canton de 5 000 habitants qui dispose de sept médecins – ce qui me paraît tout de même suffisant – mais dans lequel, pour autant, trouver un médecin disponible après les heures de bureau est difficile.
On avance le chiffre de 2 600 000 personnes qui rencontreraient des difficultés pour accéder à un généraliste, un spécialiste ou un professionnel de santé, et ce en dépit du fait que, comme cela a été souligné, il n’y a jamais eu autant de médecins en France, notamment de médecins libéraux et de spécialistes, et que notre densité médicale est tout à fait comparable, voire légèrement supérieure à la moyenne constatée dans les pays de l’Europe à quinze. De même, le nombre d’actes n’a pas cessé d’augmenter, surtout les actes de spécialité.
Le constat s’impose donc : même si, dans les dix ans qui viennent, la question des effectifs compliquera encore la donne, ce n’est pas le manque de médecins et de professionnels de santé qui est responsable des déserts médicaux, c’est le système.
En effet, pourquoi voulez-vous que des diplômés, essentiellement d’origine urbaine aisée, formés à une médecine de plus en plus technique, aillent gagner leur vie en zone rurale et acceptent des contraintes horaires fortes s’ils peuvent faire autrement ? Dans la mesure où ils n’ont aucune obligation, pourquoi s’en imposeraient-ils ?
Lors d’une précédente discussion dans cette assemblée, j’avais exposé le dilemme à Mme Bachelot-Narquin, et sa réponse m’avait étonné : « J’indiquerai, pour faire écho au débat engagé par M. Collombat, que nous ne pourrons pas faire, sur ce sujet, l’économie d’une réflexion philosophique. Quand la puissance publique, c’est-à-dire le contribuable local, le contribuable national ou le cotisant à la sécurité sociale, aura financé à grand renfort de subventions des maisons médicales de garde ou des centres de santé, participé au fonctionnement de ces installations, réglé les cotisations sociales des médecins, augmenté les rémunérations comme nous le faisons déjà, avec une progression de plus de 20 % dans certains secteurs, rémunéré la permanence des soins en plus des consultations et des visites majorées – 150 euros la nuit –, payé forfaitairement la prise en charge des malades chroniques, pourrons-nous toujours arguer qu’il s’agit de médecine libérale ? ». Tels ont été les propos de Mme Bachelot !
Les jeunes médecins pourront-ils toujours revendiquer la liberté d’installation ? Certains médecins refusent d’assumer les tâches les plus contraignantes, comme les gardes de nuit puisque le système repose sur le volontariat.
J’indique aussi qu’un principe irréfragable veut que qui paie commande ! Certaines exigences présentées benoîtement, ici ou là, sur toutes les travées, comme des mesures techniques impliquent in fine un changement de système et l’instauration d’un service public étatisé ou para-étatisé. Il faut avoir le courage non seulement de dire les choses mais d’en tirer les conséquences. Mais on en est resté là !
Toute mesure curative un tant soit peu sérieuse étant actuellement politiquement impossible, on se limitera donc à quelques granules homéopathiques, ce que fait très bien le dernier rapport de Mme Hubert. Celles de ses propositions que je préfère, c’est de maintenir en activité des médecins au-delà de soixante ans – les pauvres ! –, de faire appel à des médecins retraités et d’« inciter les internes à effectuer une année supplémentaire de mission de service public ».
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, puisque nous sommes dans des déserts, pourquoi ne pas faire appel aux organisations non gouvernementales, les ONG ? Je pense que les vocations ne manqueraient pas !