Intervention de Robert Tropeano

Réunion du 13 janvier 2011 à 14h30
Débat sur la désertification médicale

Photo de Robert TropeanoRobert Tropeano :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, longtemps vanté comme l’un des meilleurs du monde, notre système de santé présente aujourd’hui de redoutables symptômes : engorgement des hôpitaux, inégalités sociales dans l’accès aux soins, inégalités territoriales. Ce sujet a déjà été évoqué ce matin lors du débat sur la ruralité...

Les avancées scientifiques et technologiques ont certes rendu la médecine plus fiable, mais les problèmes d’organisation des soins et de démographie médicale privent un grand nombre de Français du bénéfice de ces performances. Derrière la crise budgétaire, bien réelle, est apparue la fracture sanitaire.

Dans certains territoires, en particulier ruraux, la permanence des soins est approximative, les délais d’accès en cas d’urgence sont incompatibles avec l’efficacité des soins, les files d’attente chez les spécialistes s’allongent. En bref, le désert médical s’installe et gagne du terrain dans nos campagnes !

Les origines de ce problème sont évidemment diverses. Ce n’est pas tant, pour l’heure, le nombre de médecins qui est en cause – d’après le dernier atlas du Conseil national de l’ordre, celui-ci est en effet stabilisé à un niveau élevé –, mais leur répartition sur le territoire. L’Île-de-France compte 222 spécialistes pour 100 000 habitants, soit le double de la Picardie, qui n’est pourtant pas à proprement parler une zone rurale reculée !

Le manque d’attractivité de certains territoires est évidemment pour beaucoup dans ces inégalités. Il est clair qu’on ne fera jamais venir un jeune médecin, avec son conjoint, dans une commune où il n’y a pas une offre de services de qualité ou un accès au numérique de nouvelle génération !

Les conditions brutales et souvent anarchiques dans lesquelles sont conduites, depuis quelques années, les restructurations hospitalières ont également un impact fort. Elles démotivent les professionnels et désorganisent la coordination des soins.

Enfin, la désaffection pour la médecine généraliste et l’exercice libéral y est aussi pour quelque chose. La carrière de médecin fait, certes, encore rêver des générations de jeunes gens qui y voient non seulement une manière de gagner leur vie, mais aussi une forme d’engagement, d’altérité, d’humanisme. En revanche, à la différence de leurs aînés, les jeunes diplômés rejettent le schéma traditionnel du médecin à tout faire, isolé dans son cabinet, corvéable jour et nuit.

Parmi les nouveaux inscrits à l’ordre au 1er janvier 2010, moins d’un sur dix exerce en cabinet, deux tiers optent pour une activité salariée et un quart pour des remplacements. Ce faible attrait pour l’exercice libéral se vérifie même en radiologie, discipline souvent pointée comme l’une des plus lucratives.

Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas le niveau insuffisant de la rémunération qui prime dans le refus de l’installation, mais surtout la charge administrative trop lourde, la solitude de l’exercice ou encore les contraintes des gardes.

Face à cette évolution préoccupante, qui ne date pas d’hier, on ne peut plus se contenter de mesures isolées, de promesses. De telles inégalités entre territoires ne sont pas admissibles dans notre république !

Ce ne sont ni les incitations fiscales et sociales en zones de revitalisation rurales, ni la réforme de la première année des études médicales qui a été engagée cette année, ni les quelques mesures de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST – certaines, comme la régionalisation du numerus clausus, la reconnaissance de la médecine de premier secours ou le contrat d’engagement de service public, étaient au demeurant positives... – qui régleront le problème durablement.

On le sait, la pénurie de médecins va s’aggraver avec le vieillissement de la population médicale. Actuellement, dans mon département de l’Hérault, 60 % des médecins sont âgés de plus de soixante ans.

Nous devons donc aller plus loin. La qualité, le nombre, la formation, la répartition, les types de pratiques, les modes et niveaux de rémunération des hommes de l’art médical sont sans doute à repenser à la lumière des besoins médicaux.

Notre collègue Bernard Vera a évoqué le rapport d’Élisabeth Hubert sur la médecine de proximité, remis en novembre au Président de la République, dans lequel elle propose un ensemble de mesures : appui à l’exercice regroupé, refonte totale des tarifs de consultation, rémunération spécifique et incitative pour l’exercice en zones sous-denses, développement de la télémédecine...

Certaines de ces mesures sont intéressantes. Le regroupement de médecins et autres professionnels médicaux ou paramédicaux en un même lieu, par exemple dans les maisons de santé, est une solution en milieu rural et répond au besoin de partager l’expérience.

Le Gouvernement s’est engagé sur un objectif de 250 maisons de santé pluridisciplinaires. Je m’en réjouis, mais, comme je l’ai déjà dit, le succès de cette démarche est lié à la présence dans les territoires concernés d’un minimum de services pour répondre aux besoins légitimes des professionnels de santé et de leurs familles. Or, à cet égard, le désengagement de l’État constitue le maillon faible du dispositif.

Quoi qu’il en soit, il est plus que temps de décider et d’agir, d’autant qu’en matière de santé, plus encore que dans d’autres domaines de l’action publique, les fruits se récoltent à moyen et à long terme.

Une question essentielle demeure : pourra-t-on, un jour, contraindre les jeunes praticiens à adopter une forme ou un lieu d’exercice en fonction des besoins ? Sans être adeptes de la coercition, nous sommes nombreux à douter de l’efficacité des simples incitations.

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