Nous aurons le temps d’y revenir dans le détail dans les semaines qui viennent en examinant les amendements destinés à corriger les principales erreurs commises ces dernières années, dans l’attente d’une alternance qui permettra de remettre globalement notre système fiscal sur de bons rails.
Cependant, je ne peux tout de même pas ne pas mentionner les réformes successives de la fiscalité du patrimoine, dans le sens tantôt d’un allégement, tantôt d’un alourdissement, sauf pour une catégorie bien déterminée de Français, les plus riches, qui, eux, sont toujours gagnants, que le mouvement soit à la baisse ou à la hausse ! Tout cela est non seulement injuste, mais aussi illisible.
Je dois aussi mentionner la fiscalité des entreprises et revenir sur la réforme de la taxe professionnelle.
Vous avez allégé de près de 5 milliards d’euros les charges qui pèsent sur les entreprises, dégradant d’autant le déficit structurel, cette réforme ayant été financée par l’emprunt. Ce faisant, vous avez provoqué un désordre sans précédent dans les finances locales et même, comme nous l’avons observé la semaine dernière en examinant en commission une enquête de la Cour des comptes, perturbé sensiblement la reforme de votre administration.
Or les entreprises avaient-elles besoin de ce dispositif ? On peut en douter si l’on fait la liste des mesures qui, depuis lors, ont accru les prélèvements qui pèsent sur elles, liste qui n’est d’ailleurs pas close puisqu’une surtaxe de l’impôt sur les sociétés est annoncée dans un projet de loi de finances rectificative ! Allez comprendre : après avoir allégé cet impôt de 5 milliards d’euros, on le surtaxe en fin de quinquennat… Incohérence, une fois encore !
Quoi qu’il en soit, on attend toujours l’étude économique sur les effets de la réforme de la taxe professionnelle sur la compétitivité, la croissance et l’emploi, puisque c’est au nom de ces trois facteurs que Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi nous avait à l’époque présenté cette réforme comme nécessaire. On doute cependant que le bilan soit positif.
Vous avez parlé, madame la ministre, du crédit impôt recherche, dispositif pour lequel la période d’évaluation est, nous dit-on, de cinq ans. J’ai cependant observé, dans le cadre du travail de convergence fiscale avec l’Allemagne, que ce pays ne disposait pas d’un tel crédit d’impôt mais qu’il était très supérieur au nôtre en termes de compétitivité et de parts de marché. Les chiffres de notre commerce extérieur et nos pertes de parts de marché depuis, il faut bien le constater, une dizaine d’années me conduisent d’ailleurs à m’interroger sur la pertinence de nos dispositifs fiscaux.
Je m’arrête là et vous renvoie, mes chers collègues, au rapport de la commission pour ce qui est d’autres graves erreurs, qu’il s’agisse de la fiscalité écologique, que le Gouvernement a « plombé » dans l’opinion avec la calamiteuse taxe carbone, du régime des heures supplémentaires, contre-productif en période de chômage intensif et, hélas ! toujours croissant, ou encore des réformes allant dans le mauvais sens de la fiscalité immobilière.
Je veux maintenant aborder la contribution des prélèvements obligatoires à la trajectoire de nos finances publiques, ce qui est l’objet de ce débat.
Il ressort de l’analyse des programmations successives que le Gouvernement n’a, pendant trop longtemps, ni compris la nature ni perçu la profondeur de la crise de 2008 et qu’il a entretenu, jusqu’à tout récemment – y compris dans le programme de stabilité qu’il a transmis à la Commission en avril 2011 –, l’espoir de terminer la législature sans faire remonter le taux de prélèvements obligatoires au-dessus de son niveau de 2007. De ce point de vue, la programmation associée au projet de loi de finances pour 2012 marque une rupture puisqu’elle prévoit que notre pays battra son record en matière de taux de prélèvements obligatoires à partir de 2013, à 45 % et plus.
À ce sujet, je me souviens du débat de 1999, auquel j’ai participé dans une autre assemblée, entre majorité et opposition d’alors ; je note qu’il vous est de plus en plus difficile, madame la ministre, de nous accuser d’incarner les augmentations de prélèvements obligatoires puisque vous les avez vous-mêmes augmentés. Je me souviens aussi que, en début de quinquennat, le Président de la République s’était engagé à les diminuer de quatre points.
Votre refus de vous rendre à l’évidence constitue la raison principale de l’éparpillement et de l’incohérence de votre politique fiscale. Le Gouvernement augmente les impôts à reculons, mais il ne peut pas inscrire les mesures qu’il propose dans la cohérence, les privant ainsi de lisibilité pour les agents économiques : les ménages, qui épargnent au lieu de consommer, les entreprises, qui hésitent à investir, les collectivités locales, qui freinent leurs projets, leur taux d’investissement étant ainsi passé, je le rappelle, de 71 % à 63 %.
Pourtant, la hausse des prélèvements obligatoires que vous avez opérée est une évidence mathématique dès lors que l’on s’inscrit dans une trajectoire de réduction du déficit et, pour peu que l’on reconnaisse que la dynamique de la dépense publique dans notre pays est forte, on doit assumer, et non pas subir, les hausses de prélèvements pour les répartir – c’est une différence entre nous – de manière juste socialement et pertinente économiquement. Un exemple particulièrement éclairant du déni qui caractérise l’attitude du Gouvernement en matière de prélèvements obligatoires est fourni par ce qu’il est convenu d’appeler les « niches » fiscales et sociales.
On peut être d’accord, et je crois que nous le sommes tous, sur le fait que la réduction du poids des dispositifs dérogatoires est une nécessité ; notre désaccord, légitime en démocratie, porte sur les choix de réductions, madame la ministre. Au reste, il est paradoxal que le Gouvernement choisisse de réduire, de préférence, des niches jugées efficaces dans le rapport du comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, présidé par M. Henri Guillaume, inspecteur général des finances, rapport dont la commission des finances a disposé peut-être tardivement mais qu’elle a néanmoins eu le temps d’examiner dans le détail.
Encore plus grave à nos yeux est la perte de crédibilité de la parole publique que produit le discours du Gouvernement sur les niches fiscales.
D’une part, le Gouvernement considère que les réductions de niches n’ont pas les mêmes effets économiques que les hausses faciales des barèmes. C’est absurde : toutes les hausses de prélèvements obligatoires, niches ou non, ont un impact sur la croissance économique.
D’autre part, le Gouvernement communique sur le fait qu’il réduit les niches plutôt que de procéder à des augmentations généralisées de la fiscalité. Ce n’est pas vrai ! Parmi toutes les mesures soumises au Parlement en 2010 et 2011, il apparaît que plus de 40 % portent sur des dispositifs non dérogatoires, donc généraux, et moins de 30 % sur des niches au sens strict.
Si le Gouvernement communique sur les niches, c’est aussi pour s’abstenir de remettre en cause plus profondément la structure de nos « grands » impôts, à commencer par l’impôt sur les sociétés, qui est tellement « mité » que ses « modalités de calcul » coûtent presque autant que ce qu’il rapporte, soit près de 40 milliards d’euros !
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, ce débat sur les prélèvements obligatoires est très utile, car il éclaire l’avenir. Le bilan des cinq dernières années auquel j’ai procédé dans un rapport écrit l’est également, car c’est le précipité de tout ce qu’il ne faut pas faire.