Nous sommes également à la veille d’échéances électorales majeures pour notre pays et nous devrons présenter à nos concitoyens un bilan complet, une analyse détaillée et sincère de la politique menée depuis dix ans.
Le regard permanent des marchés nous interdit d’ailleurs de travestir la réalité. Celle-ci est malheureusement sombre. La situation de nos comptes publics, et singulièrement de nos comptes sociaux, est arrivée au bout d’une logique. Nous ne pouvons plus procrastiner. Le Gouvernement a gravement failli en laissant filer les déficits et en refusant de prendre les décisions qui pourtant s’imposaient et sont aujourd’hui plus nécessaires encore pour un retour rapide à l’équilibre des comptes sociaux.
Vous le savez bien, ces prélèvements sociaux ne permettent pas, et depuis trop longtemps, de couvrir les dépenses de sécurité sociale. Le ratio de couverture des dépenses par les recettes qui était, pour le régime général, de 96, 6 % en 2008 – nous le jugions déjà très faible – est passé à 92, 3 % en 2010. Il remonte en 2012 mais dépassera à peine 95 %. Vous le voyez, nous sommes très loin du principe, inscrit dans le code de la sécurité sociale, de l’équilibre de chacune des branches de la sécurité sociale !
Cette persistance de déficits à un niveau très élevé a conduit la Cour des comptes à analyser en détail leur nature et à chercher à en distinguer la part conjoncturelle et la part structurelle. D’après ses estimations, plus des deux tiers du déficit du régime général en 2010 ont un caractère structurel, essentiellement dû à une insuffisance de recettes. Avant la crise, la Cour des comptes avait évalué le niveau du déficit structurel de la sécurité sociale à environ 10 milliards d’euros, précisément celui qui est enregistré chaque année depuis 2004. On ne peut s’empêcher de penser que la situation aurait été bien différente si la sécurité sociale avait abordé la crise avec des comptes équilibrés...
Malheureusement, pour l’avenir, la distinction entre déficit structurel et déficit conjoncturel présentera peu d’intérêt. En effet, même en retenant l’hypothèse d’une croissance forte et régulière assortie d’une bonne maîtrise des dépenses de santé, le déficit annuel du régime général restera fixé aux alentours de 10 milliards d’euros jusqu’en 2014, comme le montre la prévision pluriannuelle de l’annexe B du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, bâtie, cette année encore, sur des hypothèses extrêmement volontaristes, à savoir une croissance annuelle de 2 % pour le PIB et de 4 % pour la masse salariale à partir de 2013.
Seules des mesures nouvelles significatives pourront donc permettre une réduction du déficit, le retour de la croissance étant tout juste suffisant pour stabiliser le solde actuel, contrairement à ce que nous a longtemps dit le Gouvernement.
Récemment, toutefois, vous semblez avoir un peu changé d’optique, peut-être sous la regrettable pression des marchés. Cela se manifeste par l’augmentation du taux des prélèvements obligatoires prévue pour 2011 et 2012. Cette hausse n’est en effet possible que grâce à l’adoption de mesures nouvelles. Mais, malgré tout, comme le montre également l’annexe B du projet de loi de financement de la sécurité sociale ou les perspectives de la loi de programmation votée l’année dernière, nous sommes encore très loin de l’équilibre.
Une question, terrible, se pose alors : le Gouvernement aurait-il abandonné tout objectif de retour à l’équilibre des comptes sociaux ? Nous le craignons et le déplorons.
Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport du mois de septembre, cette situation de déficit perpétuel des comptes sociaux est une véritable exception française. Aucun autre pays européen ne laisse filer ses déficits de la protection sociale au-delà des inévitables ajustements conjoncturels. En Allemagne, par exemple, il est même interdit aux caisses d’assurance maladie d’être en déséquilibre.
Pour quelle raison n’avons-nous pas compris – je ne peux m’empêcher de viser là, en premier lieu, le Gouvernement actuel – qu’il est totalement irresponsable de financer à crédit des dépenses courantes ? Est-il moralement admissible de prévoir d’imposer à nos enfants et à nos petits-enfants de payer nos dépenses de santé en plus des leurs ?
Bien sûr, les comparaisons internationales et même simplement européennes doivent être utilisées avec précaution, car tout dépend aussi de l’organisation de nos systèmes respectifs. Mais la Cour des comptes, qui s’est penchée avec discernement sur la question, considère que nous sommes réellement les seuls à enregistrer de manière constante de tels niveaux de déficits sociaux.
Aussi, face à la situation actuelle, je suis animé par deux certitudes : la première est que notre système de protection sociale est, cette fois-ci, réellement menacé du fait de l’ampleur des déficits atteints; la seconde est que nous devons cesser de reporter nos difficultés d’aujourd’hui sur les générations futures en creusant encore la dette.
Cela signifie que tous nos efforts et notre réflexion doivent désormais porter sur la manière de réduire les déficits des années à venir. Autrement dit : comment financer le maintien d’un haut niveau de protection sociale pour nos concitoyens, tout en tenant compte, bien sûr, du montant déjà élevé de nos prélèvements obligatoires et des contraintes de compétitivité d’une économie ouverte ?
La maîtrise des dépenses est évidemment essentielle – je le dis à nos collègues de l’opposition, ici, au Sénat –, dès lors qu’elle est juste et mise en œuvre dans un vrai souci d’efficience, mais ce n’est pas notre sujet de débat aujourd’hui.
La définition d’un niveau de recettes suffisant pour assurer une bonne couverture sociale est en effet la priorité. Je constate d’ailleurs qu’aucun observateur, aucune institution, aucun expert avisé n’exclut, en la matière, une hausse des prélèvements pour faire face aux dépenses supplémentaires, liées notamment au vieillissement de la population. La Cour des comptes elle-même – et on ne peut la suspecter de laxisme – ne cesse de rappeler, rapport après rapport, cette nécessité. Philippe Séguin, d’abord, puis Didier Migaud l’ont vigoureusement affirmé plusieurs fois devant notre commission.
Cette dernière proposera d’ailleurs, la semaine prochaine, des mesures concrètes lors de l’examen du PLFSS pour 2012. Mais il est d’ores et déjà possible de définir les grandes pistes qu’elle retient. Elles s’orientent autour de trois axes : en premier lieu, la révision des mesures coûteuses et sans fondement, au premier rang desquelles je place les exonérations de cotisations sociales sur les heures supplémentaires, votées dans le cadre de la loi TEPA d’août 2007, qui représentent un coût de 3, 5 milliards d’euros pour la sécurité sociale §; en second lieu, l’amplification de la réduction des niches sociales, qui constitue un levier prioritaire pour le relèvement des finances publiques, au travers notamment de la hausse du forfait social, de l’accroissement des contributions sociales sur les retraites chapeaux, les stock-options ou les parachutes dorés ; …