Hélas non, mon cher collègue, mais je ferai de mon mieux.
Cette période d’examen budgétaire est propice à l’expression du constat renouvelé de notre désaccord fondamental quant à la manière de gouverner de votre majorité, politique conduisant, faute de priorité et d’objectifs à court, moyen et long termes clairement affichés, et dans le contexte financier contraint que nous connaissons tous, à des transferts de compétences ni concertés, ni compensés, ni même évalués, à des surcoûts ou des dysfonctionnements liés à des décisions prises ou à des annonces faites à l’emporte-pièce.
Ces deux attitudes conduisent in fine à ne pas inscrire les sommes nécessaires au maintien en condition opérationnelle de nos forces de sécurité, dépenses qui n’ont peut-être pas d’effet en matière de politique de communication vers le « grand public ». La réalité, c’est qu’une grande partie des suppressions d’emplois annoncées dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, n’est pas justifiée – puisque la seule justification de ces suppressions est financière –, mais serait théoriquement rendue supportable, voire indolore, pour les services, par l’amélioration des conditions matérielles, techniques et scientifiques de travail des hommes et des femmes qui sont au service de notre sécurité à tous. Comme chacun le sait, comme vous ne l’ignorez pas, monsieur le ministre, c’est de la pure théorie !
Pour en revenir aux transferts de compétences et de missions, et sans entamer le débat qui pourrait avoir lieu sur la clarification nécessaire des rôles des entreprises de sécurité privées dans la « coproduction » de sécurité prônée par beaucoup, il faut que le ministre de l’intérieur manque singulièrement de moyens pour en arriver à solliciter les préfets, l’été dernier, pour qu’ils promeuvent le développement de « collaborateurs occasionnels » des forces de l’ordre : des citoyens lambda sont encouragés à surveiller l’espace public, sans aucun encadrement ni aucune limite.
Non, monsieur le ministre, Mme Klès ne voit aucun point commun entre un gendarme ou un policier qui, dans le cadre de ses missions, d’une assermentation, d’une hiérarchie respectueuse de l’équilibre entre libertés individuelles et sécurité, effectue une surveillance de notre espace de vie publique, et un Français à qui l’on demande non seulement de jeter un coup d’œil à la maison de ses voisins lorsqu’ils sont en vacances – acte de civisme naturel ou qui devrait l’être –, mais aussi et surtout de « signaler » aux forces de l’ordre tout fait, tout individu semblant marginal, tout véhicule stationné un peu longtemps, dans un quartier ou ailleurs...
Non, monsieur le ministre, la sécurité n’est pas l’affaire de « Mme la délation », mais bel et bien des pouvoirs publics ; charge à eux d’y consacrer les moyens nécessaires.
Oui, monsieur le ministre, les collectivités locales, par le moyen notamment des polices municipales, par l’intermédiaire de Conseils intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance, ou CISPD, qui ne fonctionnent bien que par la seule volonté politique locale, par le lien étroit qu’elles entretiennent avec les forces de sécurité nationales, participent à la production de la sécurité. Toutefois, ce ne peut être à n’importe quel coût, pour n’importe quelles missions, et notamment pas pour le maintien de l’ordre public, une mission régalienne s’il en est et qui doit relever de l’État républicain.
Monsieur le ministre, la police municipale ne peut être la supplétive des forces de la police nationale. Les maires ne l’accepteront pas et ne le feront pas.
Ils sont inquiets face à la création expérimentale, dans quarante-quatre départements, des « patrouilleurs » §agents de sécurité en conditions précaires, dont le niveau de formation est inférieur au premier niveau de recrutement des gendarmes ou policiers nationaux, et qui contribuent au fonctionnement d’un dispositif de proximité d’un coût évalué à 18 millions d’euros pour à peine six mois... Si ce dispositif se révèle efficace et à la fois étendu et pérennisé, qui le supportera ? L’État ou les communes ? Dans quelles conditions ?
Après les tentatives, heureusement sans suite, de conférer plus de pouvoirs judiciaires aux policiers municipaux et de les mettre ainsi à la disposition des officiers de police judiciaire territorialement compétents, tout en laissant les charges financières aux communes, vous ne pouvez faire semblant de ne pas entendre nos inquiétudes.
La vidéoprotection est devenue trop souvent une fin en soi. Comment ne pas voir, là encore, à tout le moins des tentatives de transfert de charges vers les communes ? Quel est le chiffre du coût de la maintenance de ce matériel, à leur seule charge, du pourcentage – incompressible – de 30 % de caméras hors-service dans un système installé, du coût – non négligeable – de l’exploitation des images, sans laquelle aucune efficacité ne peut être obtenue. Enfin, quelle efficacité réelle en attendre ?
Un « sentiment » d’efficacité des professionnels, avez-vous dit récemment. Mais alors, pourquoi tant torturer les chiffres et l’état 4001, notamment l’index 107, pour évaluer les évolutions de la délinquance, si les « sentiments », les « impressions » à utilisation variable suffisent ?
Transfert de compétences, encore, et impréparation totale : le transfèrement des détenus et les gardes des personnes en cas d’hospitalisation ont fait l’objet de longues tractations, dès 2002, puis de décisions pour leur mise en œuvre, enfin, en 2011, avec pourtant de nombreux dysfonctionnements et désaccords encore entre les ministères concernés, celui de l’intérieur et celui de la justice.
Ainsi, monsieur le ministre, pourquoi, au moins en Bretagne, mais peut-être aussi ailleurs, a-t-il été instauré, alors que M. Sarkozy était ministre de l’intérieur et vous-même préfet de cette région, une curieuse habitude, qui est toujours en usage ? Le transfert de responsabilité, de l’administration pénitentiaire vers les forces de police pour la garde en milieu hospitalier banal de détenus parfois dangereux ne se fait que difficilement et par voie de mise en demeure. Ce transfert de responsabilité a pourtant été acté par voie législative.
Plus grave, et plus important en termes budgétaires, bien qu’aucune somme n’apparaisse nulle part sur ce sujet : les locaux nécessaires, prévus par la loi, pour la réalisation dans de nouvelles conditions des gardes à vue. Longtemps remise aux calendes grecques, la réforme de la garde à vue aurait dû être entreprise, réfléchie, concertée. Elle a été en réalité imposée à la va-vite, sans aucune anticipation et, de fait, sans la moindre programmation, y compris financière.
Mme Klès évoquait ensuite le problème des locaux, souvent en très mauvais état, puis le nécessaire renouvellement et entretien des parcs de véhicules. Même si un effort a été consenti cette année, l’ampleur des dégâts est telle que de réels problèmes demeurent pour payer les dépenses de véhicules, mais aussi parfois de carburant !
Monsieur le ministre, j’en arrive à la conclusion : refusant les transferts de compétences, insidieux ou clairement affichés, que ce budget sous-tend, refusant de laisser les forces de l’ordre sans les moyens nécessaires à l’exercice de leurs missions, refusant une politique à la petite semaine qui n’affiche aucune réelle priorité permettant de prendre en compte les contraintes des finances publiques comme la situation réelle de la sécurité intérieure, ayant, au contraire, beaucoup de respect et de considération pour tous les hommes et les femmes qui se dévouent et s’investissent, souvent au-delà du raisonnable, au service de la sécurité des Français, Mme Klès, avec les membres de son groupe, ne votera pas ce budget.