Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de rappeler l’importance de la mission « Enseignement scolaire » dans le budget de l’État : ses crédits s’élèvent à 62, 3 milliards d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, ce qui correspond à un plafond de 981 206 emplois rémunérés par le ministère de l’éducation nationale.
Notre ancien collègue Gérard Longuet était, l’année dernière, rapporteur spécial des crédits de cette mission. Il avait alors déjà souligné des déficiences dans la gestion du ministère de l’éducation nationale. Ses observations sont, hélas, toujours d’actualité.
Elles portaient notamment sur quatre points, que je vais rappeler.
En premier lieu, concernant l’enseignement technique agricole, M. Longuet avait relevé, le 17 novembre 2010, lors de l’examen en commission des finances des crédits de la mission inscrits dans le projet de loi de finances pour 2011, que la contraction des emplois, « eu égard à la taille des établissements comme à leur répartition sur l’ensemble du territoire, conduit à des fermetures de classes ou de sites scolaires. […] Nous avons donc un vrai sujet quant à l’application de la diminution des effectifs dans l’enseignement technique agricole. »
En deuxième lieu, s’agissant des corrections techniques du plafond d’emplois du ministère de l’éducation nationale, à hauteur – excusez du peu ! – de 20 359 équivalents temps plein travaillé, M. Longuet indiquait que « le ministère de l’éducation nationale […] semble manifestement fâché avec la comptabilité. […] Contrairement aux années précédentes, le schéma d’emplois n’est pas justifié au niveau national mais est renvoyé à la responsabilité des académies. » Or, aujourd’hui encore, plus d’un an après l’engagement de la réforme, nous ne savons toujours pas comment les suppressions d’emplois ont été réparties entre les académies ! Monsieur le ministre, peut-être pourrez-vous apporter des réponses aux inquiétudes à ce sujet des enseignants, des parents et, bien sûr, des élèves ?
En troisième lieu, en ce qui concerne les suppressions d’emplois, M. Longuet observait qu’il conviendrait « sans doute d’interroger le ministre sur la soutenabilité à moyen terme » d’une telle politique. La question peut être reposée cette année !
En quatrième lieu, M. Longuet relevait que les plafonds d’emplois en exécution ne correspondent toujours pas aux prévisions de la loi de finances, le Gouvernement ne sachant procéder à temps à la « régularisation du désajustement constaté entre recrutements et départs ». En d’autres termes, le ministère de l’éducation nationale ne parvient pas à anticiper correctement les décisions de ses agents en matière de départ à la retraite, ni à ajuster en conséquence le nombre de postes offerts aux différents concours.
Par ailleurs, dans son rapport d’information du 21 juin dernier fait au nom de la mission commune d’information sur l’organisation territoriale du système scolaire et sur l’évaluation des expérimentations locales en matière d’éducation, notre collègue Jean-Claude Carle remarquait que les suppressions de postes donnaient « une certaine prime à la facilité ».
En dépit de toutes ces observations, le présent projet loi de finances poursuit la politique de suppression de postes, à hauteur, en 2012 et à périmètre constant, de 15 640 ETPT, ce nombre traduisant l’effet en année pleine des suppressions de postes de la rentrée 2011 et 14 000 nouvelles suppressions d’emploi prévues à la rentrée 2012. L’économie correspondante s’élève à 467 millions d’euros, soit l’équivalent de la non-revalorisation de 1 % du point d’indice de la fonction publique pour les personnels de l’éducation nationale.
Entre la loi de finances initiale pour 2008 et le présent projet de loi de finances pour 2012, 70 600 postes ont été supprimés dans l’éducation nationale, dont 68 000 postes d’enseignant et 2 600 postes dans le secteur administratif.
Pour les rapporteurs spéciaux, le rétablissement d’un grand nombre des postes d’enseignant supprimés depuis 2007 doit constituer une priorité, si l’on veut redonner au service public de l’éducation les moyens de ses ambitions.
En outre, la répartition des suppressions de postes entre le public et le privé ne nous paraît pas équitable. En effet, l’enseignement privé subit moins de 10 % des suppressions de postes, alors qu’il est d’usage de respecter un prorata de 20 % entre les créations ou les suppressions de postes dans l’enseignement privé et celles qui concernent l’enseignement public.
S’agissant toujours des effectifs, le nombre de professeurs contractuels n’est toujours pas connu avec précision ; nous savons seulement que, entre le 31 décembre 2005 et le 31 décembre 2010, il a augmenté de 76 %. Ces informations doivent bien sûr être rendues publiques, c’est la raison pour laquelle la commission des finances présentera un amendement tendant à prévoir la remise d’un rapport sur cette question au Parlement.
Les dépenses relatives aux heures supplémentaires constituent une dernière variable d’ajustement des emplois de l’éducation nationale. Celles-ci s’élèvent à 1, 31 milliard d’euros pour l’année scolaire 2010-2011, soit une hausse de 3, 1 % par rapport à l’année scolaire précédente. Ces sommes équivalent à la rémunération de 40 000 ETPT, ce qui est beaucoup, même si, bien entendu, toutes ces heures supplémentaires ne correspondent pas des heures d’enseignement. En tout état de cause, il faut y regarder de plus près.
Nous sommes confrontés à une question majeure : quelle école voulons-nous pour nos enfants ? Quels sont les moyens à la hauteur des enjeux ? À cet égard, en dehors de la dépense d’éducation par élève ou par établissement, qui est légèrement supérieure à la moyenne dans notre pays, les comparaisons internationales fournies par l’OCDE ne sont pas toujours flatteuses pour nous : les classes françaises comptent un nombre d’élèves plus élevé que celles des autres pays industrialisés, et le taux d’encadrement est en France inférieur à la moyenne des autres États de l’OCDE.
Pour justifier la suppression de postes d’enseignant, le Gouvernement avance des arguments démographiques : à moyen terme, le nombre d’élèves diminuerait, tandis que le nombre d’enseignants augmenterait. Le Gouvernement retient pour son calcul une période de vingt ans, allant de la rentrée scolaire 1990-1991 à la rentrée scolaire 2010-2011.
Ces chiffres sont, pour le moins, extrêmement contestables, puisqu’ils dépendent largement de la période retenue. En effet, depuis le début des années 2000, le nombre d’élèves scolarisés dans l’enseignement public du premier degré a augmenté, ce que ne font pas apparaître les modalités de calcul retenues par le Gouvernement, qui tendent à masquer quelques évolutions observées depuis 2002.
Par ailleurs, les évolutions moyennes masquent des tendances disparates : il faudrait pouvoir défalquer la création de dispositifs spécifiques d’encadrement des élèves en difficulté et/ou handicapés, dispositifs qui n’existaient généralement pas il y a vingt ans, pour apprécier avec beaucoup plus de précision l’évolution dans les autres classes.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous ne sommes pas convaincus par l’argument du Gouvernement selon lequel il y aurait plus d’enseignants pour moins d’élèves.
En conclusion, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat de rejeter les crédits de la mission « Enseignement scolaire ». §