Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 1er décembre 2011 à 21h30
Loi de finances pour 2012 — Enseignement scolaire

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au titre du dernier exercice budgétaire de la mandature nous est présenté un budget d’un montant de quelque 62 milliards d’euros pour les cinq programmes de la mission « Enseignement scolaire ».

Selon vous, monsieur le ministre, ce chiffre traduit la priorité accordée par le Gouvernement à la réussite de chaque élève et sa volonté de garantir la qualité du système éducatif. C’est le premier budget de l’État, en effet. D’ailleurs, le Président de la République ne nous épargne pas ses effets d’annonce. Dans son intervention télévisée du 27 octobre dernier, il traçait ainsi son orientation budgétaire : « Moins d’enseignants, mieux payés, mieux formés, mieux considérés, mieux respectés. C’est la seule politique possible. »

Les lignes budgétaires que vous tentez de rendre présentables comportent des crédits en trompe-l’œil, comme l’a souligné M. le rapporteur spécial, dont je tiens à saluer le travail de grande qualité.

Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous livrer mon interprétation de ces chiffres ; elle diverge considérablement de la vôtre.

La progression affichée de 0, 86 % des crédits ne repose que sur l’augmentation des pensions ; autant dire qu’elle n’est aucunement le reflet d’une dynamique nouvelle.

Cette année encore, les annonces en resteront au stade de l’affichage, car elles ne trouvent pas de traduction chiffrée dans le projet de loi de finances pour 2012.

Les leviers d’action que vous privilégiez ne sont pas les bons. Ainsi, je ne peux cautionner une gestion des ressources humaines qui conduit à affaiblir encore davantage notre service public d’éducation à l’école, au collège ou au lycée, au lieu d’en assurer la pérennité et la qualité.

Malheureusement, monsieur le ministre, la recherche purement comptable d’économies à court terme amène à faire l’impasse sur la qualité de l’enseignement, l’avenir de notre jeunesse et l’égalité des chances.

Le constat d’échec est patent. Les organismes indépendants qui mesurent l’efficacité de notre système scolaire sont unanimes : celui-ci creuse les inégalités sociales plutôt que de les aplanir ; un comble ! L’enquête du programme international pour le suivi des acquis des élèves, le PISA, menée auprès des jeunes de quinze ans l’a montré en 2009. Les résultats de la session qui sera réalisée en février 2012 confirmeront-ils ces aggravations ? Déjà, lors du vote du projet de loi de finances pour 2011, le groupe du RDSE dénonçait cette situation.

Pourtant, vous continuez à appliquer la logique de la révision générale des politiques publiques, en supprimant encore davantage de postes : 14 000 le seront en 2012. L’effort demandé est énorme et, de surcroît, discriminatoire, puisque seulement 1 435 postes seront supprimés dans l’enseignement privé.

Ce qui est valable à vos yeux pour les enseignants titulaires l’est aussi, et je le déplore, pour les contrats aidés. Ce n’est pas en supprimant, cette année encore, près de 8 000 emplois de vie scolaire que vous pérenniserez le bon fonctionnement des établissements scolaires publics.

Si elle n’est bien sûr pas seule à l’origine du mal-être de notre école, la gestion des ressources humaines a des conséquences tangibles sur le terrain : non-remplacement des absences, classes surchargées peu propices aux apprentissages, charge de travail accrue pour les professeurs qui enseignent l’éducation civique, les langues vivantes ou assurent des cours de soutien, absence de moyens supplémentaires pour accueillir les enfants présentant un handicap.

Dans le sud de la Haute-Garonne, parents d’élèves et enseignants se mobilisent contre le non-remplacement systématique d’un enseignant partant à la retraite sur deux.

Purement comptable, ignorant les spécificités géographiques, cette politique contraint les conseils départementaux de l’éducation nationale à fermer des classes, le plus souvent dans les zones les moins peuplées : elle est désastreuse en matière d’aménagement du territoire, particulièrement dans un grand département comme le mien, où coexistent des zones urbaines en développement et de vastes zones rurales.

Ces coups de boutoir contribuent à fissurer l’édifice de l’école et à creuser les inégalités entre les régions et, surtout, entre les enfants : je déplore que l’ascenseur social n’ait toujours pas été remis en route.

Les heures supplémentaires constituent l’autre levier d’action privilégié par le Gouvernement dans la répartition des crédits que nous examinons ce soir. Elles permettent de répondre aux besoins en personnel compétent pour assurer les services de soutien en dehors des horaires réguliers, l’apprentissage des langues vivantes ou les remplacements de courte durée.

Mais, pas plus à l’école que dans l’entreprise, le recours aux heures supplémentaires n’est, en soi, une preuve de bonne gestion. La hausse des dépenses au titre des heures supplémentaires contribue à fragiliser le statut des enseignants : on sait bien, en effet, que la limite entre les heures supplémentaires choisies et les heures supplémentaires subies est toujours ténue…

De surcroît, cette politique coûte cher. Les crédits affectés au paiement des heures supplémentaires ne seraient-ils pas mieux utilisés autrement, par exemple pour favoriser l’embauche de titulaires sur zone de remplacement ?

Monsieur le ministre, je tiens à vous poser une question directe : et l’éducation, dans tout cela ?

Car enfin, comme l’a souligné Mme Cartron, les choix financiers du Gouvernement se retournent directement contre la politique de l’emploi et la qualité de l’accompagnement des élèves !

Comment, dans ces conditions, comptez-vous donner une impulsion pédagogique nouvelle au contenu des enseignements ? Comment comptez-vous recruter du personnel compétent en offrant les salaires de cadre les plus bas de la fonction publique ? Déjà, la pénurie se fait sentir, à tel point que les chefs d’établissement doivent recruter à Pôle emploi des personnes qui n’ont ni la compétence ni l’expérience requises.

Dans les collèges, par exemple, pourquoi ne pas utiliser les compétences des enseignants des départements voisins ayant demandé leur mutation sans l’obtenir ? Ils sont en disponibilité obligée et voient passer des annonces de Pôle emploi pour lesquelles ils ne sont pas prioritaires.

Aujourd’hui, un enseignant dont le conjoint est muté loin de son domicile a deux solutions : soit il accepte d’être séparé de lui, et il accumulera chaque année des points en vue d’obtenir une mutation ; soit il décide de le suivre en se plaçant en situation de disponibilité ou en congé parental, afin de ne pas mettre en danger sa vie familiale, mais il cessera alors d’engranger des points et un cercle vicieux s’enclenchera !

Les femmes sont les principales victimes de cette situation désastreuse, dont elles subissent à un double titre les conséquences : pour le déroulement de leur carrière et pour le calcul de leur future pension de retraite. Je vous demande donc d’engager une réforme de la procédure de changement d’affectation pour rapprochement de conjoints, afin de faire cesser des situations familiales particulièrement difficiles, en même temps qu’un gaspillage de compétences.

Un autre problème, que je me contenterai d’évoquer, est très préoccupant : celui des conséquences de la modification de la carte scolaire, qui aggrave, en milieu rural comme dans les quartiers sensibles, les disparités dans la qualité du service public de l’éducation. Bref, les inégalités territoriales et sociales se creusent : la mixité sociale disparaît et, avec elle, les beaux principes fondant notre modèle républicain.

C’est pourquoi, à la suite de notre rapporteure pour avis, je demande que le ministère de l’éducation nationale procède à une évaluation rigoureuse des conséquences pédagogiques de la désectorisation, c’est-à-dire de son incidence sur les apprentissages des élèves.

Avant de conclure, je souhaite attirer l’attention sur la pénurie des moyens alloués à la médecine scolaire. Dans un contexte de crise économique grave, ce service permettrait aux enfants des familles les plus défavorisées de bénéficier d’un « minimum médical ».

Mais, là encore, les moyens ne sont plus au rendez-vous, alors qu’il s’agit d’un enjeu majeur pour la santé publique. Quand la patientèle d’un médecin généraliste représente environ 1 000 personnes, un médecin scolaire suit quelque 10 000 élèves ! Ces chiffres se passent de commentaires… Nous nous privons d’un véritable outil d’alerte et de prévention. Combien d’enfants traîneront toute leur vie des difficultés qui auraient pu être identifiées et résolues très en amont ?

Je pourrais aussi vous parler des psychologues, des infirmiers ou des RASED… Mais j’ai déjà, l’an passé, fait longuement état de leur situation.

Monsieur le ministre, vos choix budgétaires pèsent, année après année, sur l’école de la République. Je dirai même que, pour la cinquième année consécutive, le leitmotiv de votre politique est : « RGPP » !

Le temps est venu de mener un vrai travail de fond, débouchant sur une réforme qui redonne au métier d’enseignant la place centrale au sein de la mission « Enseignement scolaire ». Comme vous l’aurez compris, les membres du groupe du RDSE, dans leur majorité, ne voteront pas les crédits de cette mission.

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