Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le cinquième budget de l’enseignement scolaire de ce gouvernement. Cinq années de RGPP qui se sont concrétisées par une saignée d’une ampleur inégalée dans les postes – près de 80 000 à l’éducation nationale –, orchestrant le démantèlement de notre service public d’éducation.
Sans surprise, donc, le projet de budget pour 2012 entérine 14 000 nouvelles suppressions d’emploi.
La majorité des interventions des rapporteurs budgétaires l’ont montré : les voyants sont au rouge !
Sur le terrain, se matérialise donc, année après année, la détérioration des conditions d’accueil des élèves et des conditions de travail des personnels.
Quel élu n’a pas été interpellé pour des classes fermées ou surchargées, sur la réduction de l’offre de formation, la suppression d’options au lycée, la fragilisation extrême des moyens de remplacement ou le manque de personnel de vie scolaire ? Pourtant, vous prétendez toujours, monsieur le ministre, « faire mieux avec moins ».
Pour le « moins » : les personnels – qu’ils soient enseignants, chefs d’établissement, inspecteurs, administratifs, personnels de vie scolaire –, les élèves, les parents, tous éprouvent cette gestion de la pénurie.
Pour le « mieux » : les « nouveaux services », annoncés à grand renfort de communication en 2007 – aide aux devoirs, stage de remise à niveau –, vous les avez en fait financés en réduisant le temps d’enseignement pour tous, en faisant progressivement disparaître les RASED et en recourant massivement aux heures supplémentaires.
Le solde est donc largement négatif !
Je veux m’arrêter un instant sur cette question des heures supplémentaires.
L’année dernière, plus de 1, 3 milliard d’euros – l’équivalent de 40 000 équivalents temps plein travaillé – ont été consacrés aux heures supplémentaires, soit une hausse de près de 10 % depuis 2008. Pour 2012, vous prévoyez de reconduire ce volume. Car il s’agit non plus seulement de répondre à un besoin ponctuel d’ajustement, mais bien de couvrir des besoins permanents à l’éducation nationale !
Cette généralisation des heures supplémentaires est donc mortifère pour l’emploi et pour la qualité de l’enseignement.
Ainsi, en 2012, le nombre de postes offerts aux concours externes restera historiquement bas et bien inférieur aux prévisions des départs en retraite d’enseignants, impactant la réforme de 2010 : dans le premier degré, 5 000 postes d’enseignants pour 9 000 départs à la retraite ; dans le second degré, 8 600 postes au concours pour 11 620 départs envisagés.
Au lieu d’ouvrir des postes au concours pour assurer les métiers et les missions du service public d’éducation, le Gouvernement use donc d’un mode de gestion qui compresse l’emploi et développe la précarité. J’en veux pour preuve l’augmentation constante, depuis 2007, du nombre d’enseignants non titulaires. Pour le seul programme du second degré public, c’est l’explosion : 44 % d’augmentation entre janvier 2007 et décembre 2011 !
Autre paradoxe, la dernière enquête réalisée par le SNPDEN, le syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale, montre que, pour gérer la pénurie, les établissements sont justement contraints de supprimer des moyens de remédiation – les dispositifs d’accompagnement tels que « l’accompagnement personnalisé » –, pourtant têtes de pont de vos réformes !
On comprend mieux pourquoi vous répétez que la vraie question aujourd’hui est celle du « sur mesure » et non de « la qualité ». Le sabordage de la formation initiale et continue des enseignants, littéralement atomisée, en témoigne !
Ce « sur mesure », terme séduisant, s’incarne dans votre politique « d’individualisation des parcours », qui va de pair avec l’autonomie accrue des établissements.
Cette autonomie, vous l’imposez avec le dispositif ECLAIR, Écoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite. Face à l’hostilité des équipes dans les établissements, n’avez-vous pas tenté, dans le cadre de la politique de la ville et avec la signature de trente-trois avenants expérimentaux aux contrats urbains de cohésion sociale, de passer outre ?
Si cette politique aboutit, elle imposera définitivement le modèle d’une école du tri et de la sélection sociale, de plus en plus précoce.
Je ne reviens pas sur vos projets « d’étiquetage » dès la maternelle, mettant d’un côté les élèves pour lesquels le socle commun de connaissances et de compétences constituerait un horizon indépassable et, de l’autre, ceux qui seraient « destinés » à la poursuite d’études.
Tout au contraire, il faut mettre l’école au service de l’émancipation individuelle et collective, parce que tous les élèves sont capables de progresser et de réussir à condition que l’école, et donc l’État, leur en donne les moyens.
Ce n’est évidemment pas ce que vous avez engagé depuis 2007.
L’exemple combiné de la suppression de la carte scolaire et de la création des internats d’excellence illustre parfaitement votre logique.
De même, la réforme de l’éducation prioritaire et celle de l’enseignement professionnel témoignent d’une même volonté de mettre en tension les segments les plus fragiles du système scolaire, où se concentrent beaucoup d’enfants de milieux défavorisés, qui sont en même temps stigmatisés au nom de la lutte contre la violence scolaire et le décrochage.
Cela permet symboliquement de « légitimer » tous les dispositifs qu’on leur impose.
Car, contrairement à ce que vous dites, monsieur le ministre, le processus de démocratisation scolaire n’est pas allé à son terme. Ce qui a abouti, c’est la massification, ou une « démocratisation quantitative qui ne s’est pas accompagnée d’une diminution des inégalités sociales, [qui] se sont juste décalées dans le temps », pour citer le chercheur en sciences de l’éducation, Jean-Yves Rochex.
Aussi, face à la dénaturation du service public d’éducation, de sa visée, de ses missions, doit s’engager, dès maintenant, la relance du processus de démocratisation scolaire pour construire l’école de la réussite pour toutes et tous. C’est l’ambition qu’il faut avoir pour l’école !
Dans cette perspective, la maîtrise des savoirs, véritable pouvoir de transformation sociale et d’émancipation, est un enjeu décisif pour la démocratie.
Cette question des savoirs est première. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la loi Fillon de 2005 a instauré le « socle commun de connaissances et de compétences », un concept de « compétences » entendu dans sa seule dimension « mécaniste et utilitariste » d’employabilité, au service du développement de la compétitivité de l’économie, fidèle en cela à la stratégie de Lisbonne, avec une équation à résoudre : concilier les besoins de l’économie en matière de formation et de qualification et la nécessité de contrôler le coût, toujours jugé excessif, des systèmes éducatifs. Comment ? Par le tri entre ceux qui maîtrisent le « socle » et ceux qui ne le maîtrisent pas et la sélection au moyen des outils d’évaluation que sont le livret de compétences et les évaluations dans le primaire.
Il faut remettre en cause cette forme d’évaluation institutionnelle – consistant davantage à entraîner les élèves à acquérir des compétences pour renseigner ledit livret – qui se fait au détriment des apprentissages, fragmente les savoirs, alors que leur maîtrise est indispensable pour comprendre le monde et agir sur sa transformation.
Construire cette école de la réussite nécessite de refonder l’école sur le modèle de l’élève qui n’a que l’école pour apprendre les savoirs scolaires.
Aussi, à la notion de « socle commun », j’oppose celle de « culture commune », moteur d’émancipation.
À « l’individualisation des parcours », j’oppose la « personnalisation des parcours ».
« Personnaliser », comme l’a analysé Jacques Bernardin, du Groupe français d’éducation nouvelle, « n’est pas individualiser, mais engager chacun dans un processus de transformation grâce à la confrontation réglée à la fois par l’exigence de la preuve […] et par la normativité propre à l’objet. »
Il faut un temps scolaire rallongé jusqu’à dix-huit ans et ouvrir droit à la scolarisation dès deux ans. Il faut s’appuyer sur un programme unique jusqu’à la fin du collège, maintenir des filières véritables et ambitieuses comme outils supplémentaires à la démocratisation et non à la sélection des meilleurs. Il faut aussi des diplômes nationaux.
Autant d’armes pour lutter contre les inégalités !
Cela implique aussi une nouvelle « posture professionnelle ». Elle ne sera pas possible si la formation initiale et continue reste à l’état de ruine.
Il faut donc immédiatement rétablir les moyens pour une formation pédagogique et disciplinaire, initiale et continue des enseignants, en lien étroit avec la recherche.
Enseigner est un métier qui s’apprend, et dans un cadre fondé sur des concours et un recrutement nationaux.
La question des inégalités, de leur résorption, pose aussi celle du rôle des collectivités territoriales. Partenaires, au même titre que les parents, celles-ci ne sauraient suppléer au désengagement financier de l’État. La part de ce dernier dans la dépense intérieure d’éducation n’a en effet cessé de diminuer – 65, 2 % en 2000, contre 59, 4 % en 2010 –, quand celle des collectivités territoriales passait de 19, 9 % à 24, 6 %.
L’échelon territorial, aussi séduisante que soit cette idée, ne saurait devenir celui du pilotage de notre système éducatif.
Je m’inscris en faux contre l’évidence qui voudrait que l’accroissement de l’autonomie des établissements et l’instauration d’une contractualisation territoriale soient susceptibles de réduire l’échec scolaire. Non, l’ambition pour notre école doit être celle non pas d’une adaptabilité à des réalités territoriales, budgétaires ou économiques, mais bien d’une émancipation individuelle et collective !
Ce budget tourne le dos à cet objectif ; mon groupe votera donc contre les crédits de la mission « Enseignement scolaire ». §