Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il existe deux façons de lire ce budget : avec les yeux d’un membre du Gouvernement ou avec le regard d’un parlementaire et d’un élu local, à la lumière de ce que nous vivons dans nos communes, au contact de nos concitoyens.
Monsieur le ministre, vous n’échappez d’ailleurs pas à cette double contradiction puisque vous êtes aussi élu local.
Commençons par votre lecture en tant que membre du Gouvernement.
Vous avez raison de rappeler que, aujourd’hui, le budget de l’éducation est le premier budget de l’État, ce qui, on l’oublie trop souvent, n’a pas toujours été le cas, loin s’en faut, dans la longue histoire de nos républiques. On peut faire au Gouvernement tous les reproches possibles, mais on ne peut nier que, en cette période de crise, l’éducation reste sa priorité ou, tout au moins, qu’elle occupe le premier rang de sa hiérarchie budgétaire.
Nous avons également notre lecture, nous autres parlementaires et élus locaux, nourrie non seulement par la remontée du terrain, par les doléances des familles, des enseignants, parfois des jeunes, mais aussi par les questions que posent certaines enquêtes internationales quant à l’efficacité de notre système, pour ne plus dire notre modèle.
Il y a donc deux lectures contradictoires, dont l’une ne saurait être tout à fait vraie et l’autre tout à fait fausse.
On a beau tourner le problème dans tous les sens, on en revient toujours à la question des moyens, d’autant que les défis auxquels vous devez faire face dépassent de loin le cadre de vos attributions ministérielles.
Aujourd’hui, on ne vous demande plus seulement d’être le ministre de l’instruction publique, comme c’était le cas sous la IIIe République, on vous demande également d’être le ministre de l’intérieur, tant il est vrai que la sécurité au sein et aux abords des établissements scolaires alimente l’angoisse des familles.
On vous demande d’être le ministre de l’aménagement rural, tant il est vrai que les élus tiennent avec raison à leur école. On peut certes fantasmer sur le village du siècle dernier, avec son maire, son instituteur, son curé, son garde champêtre et son médecin ; nous sommes en 2011, et il est vain de pleurer sur les curés et les médecins disparus. Tâchons au moins de conserver nos maires et nos instituteurs !
On vous demande d’être le ministre de la ville, tant la précarisation et la ghettoïsation de nos banlieues compliquent le rôle d’ascenseur social que joue l’école.
On vous demande d’être le ministre de la famille, tant elle a abdiqué les responsabilités qui étaient les siennes depuis l’aube des temps.
On vous demande d’être le ministre de la culture, tant les enseignements artistiques peinent à se frayer un chemin dans des programmations pléthoriques.
Je pourrais poursuivre indéfiniment cette liste, puisque tous les secteurs ou presque de notre vie publique sont concernés.
Bref, l’éducation nationale étant au carrefour de toutes les contradictions et lacunes de notre société, celui qui en a la charge, à défaut d’être le Premier ministre, pourrait bien être le premier des ministres, ce qui justifie sans doute le fait que lui soit confié le premier budget de l’État.
Mais ce qui est vrai du ministre au sommet de la pyramide l’est également de l’enseignant à sa base, sinon davantage encore, surtout lorsqu’il s’agit de jeunes professeurs des écoles, souvent inexpérimentés, à qui l’on demande certes d’être enseignant mais aussi, parfois, assistante sociale, policier, artiste, spécialiste des nouvelles technologies ; à qui l’on demande souvent, surtout chez les petits, de remplacer le père ou la mère défaillants.
Oui, dans cette école primaire où tout se joue dès le plus jeune âge, l’enseignant d’aujourd’hui ne doit pas se contenter d’inculquer les fondamentaux du savoir, il doit également soigner les fondamentaux du cœur, gronder ou consoler, mais ne pas gronder trop fort ni consoler trop près, afin d’échapper aux suspicions de violences faites à mineur ou de pédophilie.