Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur le programme « Vie de l’élève ».
Votre politique, monsieur le ministre, hypothèque gravement l’avenir de notre jeunesse, en particulier celle qui subit à l’intérieur de l’école les inégalités sociales grandissantes qu’elle subit déjà à l’extérieur. Si l’on n’attend pas de l’école qu’elle soit le salut de la société, on peut exiger qu’elle n’aggrave pas cette injustice sociale.
Les conditions de scolarisation des élèves sont un élément fondamental de la réussite scolaire et de l’égalité des chances. Si l’école est un lieu d’acquisition de savoirs, elle est également un espace de socialisation, de transmission de valeurs, d’apprentissage d’exercice de la responsabilité et de pratique de la citoyenneté.
La réussite scolaire est aussi une question de bien-être et d’épanouissement.
Vous affirmez que le rôle des conseillers principaux d’éducation est déterminant dans la prévention de l’absentéisme et de la violence – deux phénomènes bien réels et ô combien inquiétants. Soit ! Mais alors pourquoi baisser de 4 % cette ligne budgétaire ? Les crédits passent de 2, 2 milliards d’euros à 2, 1 milliards d’euros avec une diminution des postes, alors que la présence d’adultes est primordiale dans la lutte contre les violences, les addictions et le harcèlement.
En primaire, le montant des crédits pour le financement des actions pédagogiques liées aux besoins particuliers baisse de 73 %. Ces crédits sont pourtant destinés à financer la prévention et le traitement des difficultés scolaires des enfants.
Ce manque d’ambition se retrouve particulièrement dans le peu de cas que vous faites de la médecine scolaire, et ce malgré les rapports de la Cour des comptes, des parlementaires et les manifestations diverses. Mais, jusqu’à présent, ces alertes sont restées lettre morte.
Monsieur le ministre, ce qui est particulièrement notable, dans l’expression des personnels de santé scolaire, c’est ce sentiment d’abandon de la part des pouvoirs publics. J’ai mis en place un groupe de travail composé de sénateurs socialistes sur la médecine scolaire. Toutes les auditions font non seulement ressortir les graves difficultés que rencontre ce secteur, mais aussi et surtout son utilité absolue.
Pourtant, les professionnels – médecins et infirmiers – restent très mobilisés sur le terrain. Ils sont particulièrement investis et motivés par leurs missions. Ils sont d’ailleurs force de propositions pour faire évoluer ce service public, auquel ils sont attachés, et qui a un rôle fondamental dans la promotion de la santé des élèves.
La santé scolaire est dotée, dans le projet de loi de finances pour 2012, d’un budget de 440 millions d’euros, ce qui représente 0, 73% du budget de l’éducation nationale et correspond à une augmentation de 0, 5 %, en deçà du taux de l’inflation.
La médecine scolaire doit être un outil fort dans la lutte qu’il convient de mener contre les inégalités sociales dans les parcours scolaires. La détection, le plus tôt possible, des problèmes de santé est l’un des facteurs essentiels de la réussite scolaire, et donc sociale de l’élève. Or, considérant les politiques menées actuellement par le Gouvernement – déremboursement des médicaments, surcoût des mutuelles, précarisation accrue –, et malgré les indicateurs de pauvreté qui font apparaître une recrudescence des maladies telles que la tuberculose et la gale, on observe un renoncement dramatique des familles les plus modestes à assurer la santé de leur enfant.
Nous avons la chance de bénéficier d’un service public de santé de proximité qui permet le suivi des enfants à partir de trois ans – et non plus dès deux ans, puisque la préscolarisation a été réduite à portion congrue ! – jusqu’aux jeunes adultes en fin d’études universitaires. Il s’agit là d’une spécificité française et d’un atout considérable en matière de prévention sanitaire, que vous n’avez pas su valoriser, ni même préserver.
Or les études internationales convergent pour reconnaître la période scolaire comme étant le moment clé de la construction des inégalités de santé et pour relever l’importance du « retour sur investissement », durant cette période, en matière de santé publique et d’éducation à la santé.
Ce matin, votre collègue Laurent Wauquiez a dit à propos de l’enseignement supérieur : « Il faut investir dans [la santé], car c’est à cette période de leur vie que les étudiants adoptent ou non de bons comportements. » Alors, monsieur le ministre, faites-le !
Si les personnels ont su adapter leurs pratiques, les textes réglementaires, eux, n’ont pas suivi, ce qui a entraîné une absence de hiérarchisation des diverses missions et un manque d’objectifs clairs.
Une réflexion interministérielle était en cours sur l’évolution de ces missions, mais il semblerait qu’elle soit stoppée du fait, notamment, du refus du ministère de la fonction publique de reconnaître les infirmières scolaires en catégorie A, contrairement à l’engagement du Président de la République. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, ce qu’il en est vraiment ? En effet, cette situation crée chez elles un fort sentiment d’injustice par rapport à leurs collègues de la fonction hospitalière. Pourtant, leur rôle est ô combien essentiel à la bonne marche d’un établissement scolaire tant par les gestes techniques que par l’écoute apportée à chaque situation.
De plus, les infirmières scolaires rendent compte au rectorat de leur travail via le logiciel SAGESSE, un outil de gestion au quotidien, mais dont les données ne remontent pas, hélas ! au-delà des rectorats.
L’institution ne manifeste que peu d’intérêt pour le travail réel accompli par les personnels de santé scolaire, sauf pour ce qui concerne le taux de réalisation des bilans de santé des enfants âgés de six ans !
Des mesures urgentes sont nécessaires pour revaloriser la profession de médecin scolaire. Face au manque d’attractivité du métier – près de 200 postes sont vacants – et aux perspectives démographiques encore plus défavorables que pour les autres professions médicales, nous ne pouvons faire l’impasse plus longtemps sur ce sujet.
Comment ignorer l’indécence des salaires des médecins de l’éducation nationale, alors que celui des médecins de prévention des personnels est de l’ordre du double ? Dès lors, comment espérer recruter, après un concours d’entrée dans la fonction publique, de jeunes médecins avec un salaire inférieur à celui qu’ils perçoivent au cours de leurs études en tant qu’interne ?
Au regard de l’étendue de leur secteur, qui a doublé en moins de dix ans, avec un médecin pour un nombre d’élèves compris entre 10 000 et 17 000, les médecins ne sont plus en mesure de se déplacer dans les établissements scolaires. Cette pénurie entraîne un transfert de tâches vers l’infirmière.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, c’est à la mise en œuvre d’une véritable politique de santé scolaire que nous appelons, celle-là même que vous n’avez pas su définir, ni a fortiori mettre en œuvre en dix ans !
Une fois les missions redéfinies, il faudra s’atteler à la question des partenariats entre tous les acteurs de la santé, afin de définir une structure pour assurer le pilotage politique local – pourquoi pas les Agences régionales de santé ? – et créer des pôles cohérents de coopération entre la médecine scolaire, la médecine de ville, la protection maternelle et infantile et les centres médico-psycho-pédagogiques.
Par ailleurs, comme le pointent les responsables de l’EHES, l’École des hautes études en santé sociale, il existe un maillon manquant entre l’infirmière et le médecin. Aussi faut-il se demander s’il ne convient pas d’avoir un ingénieur de santé scolaire diplômé d’un master de pratiques avancées.
Nous ne pouvons plus faire l’impasse sur une véritable politique publique de prise en charge de l’enfant et de l’adolescent dans sa globalité et donc dans la construction d’un projet politique partagé de médecine publique de prévention. À la question : « A-t-on besoin d’une médecine scolaire ? » La réponse est résolument oui ! Parce que santé et scolarité sont devenues indissociables, parce qu’il s’agit d’un réel enjeu pour l’avenir de notre jeunesse et parce que nous sommes convaincus que le service public a encore un rôle fondamental à jouer dans la promotion de la santé des élèves ! Mais nous en reparlerons certainement dans les mois qui viennent, monsieur le ministre.