Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis cinq ans, nous déplorons que l’ambition affichée par la majorité pour passer « de l’école pour tous à la réussite de chacun » ne soit restée qu’un slogan. En agissant comme un tamis éducatif qui retient les « meilleurs », sans se préoccuper des élèves les plus en difficulté, le Gouvernement aura effectivement mis fin à l’école pour tous.
Alors même que votre bilan est unanimement reconnu comme désastreux par les parents d’élèves, par les personnels éducatifs et par les élus locaux, vous poursuivez aveuglément le démantèlement de l’éducation nationale, monsieur le ministre.
Il y a quelques semaines, Mme Pécresse prétendait devant les députés que le gouvernement auquel vous appartenez s’était toujours refusé à réduire la politique scolaire à une question de chiffres et qu’il y avait, dans ce pays, une exigence de résultat. Pourtant, vous n’avez développé depuis cinq ans qu’une politique quantitative déconnectée des impératifs pédagogiques, et ce budget pour 2012 en est une désolante illustration.
Je ne reprendrai pas les chiffres cités par les orateurs qui m’ont précédée. Mais vous poursuivez votre politique de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, sans mener aucune réflexion sur les enjeux éducatifs ni sur les besoins propres à chaque territoire, alors que tous les rapports institutionnels pointent un déficit en matière d’encadrement et de moyens, notamment dans les écoles maternelles et élémentaires, ce qui est préjudiciable aux élèves les plus en difficulté.
De toute évidence, les conclusions apportées par l’OCDE, par la Cour des comptes et par le Centre d’analyse stratégique n’ont jamais franchi les portes du « 110 de la rue de Grenelle ».
Pour ce qui concerne les résultats, où sont-ils, monsieur le ministre ?
Au cours de cette législature, l’enseignement de premier degré public aura connu 27 637 réductions de postes avec, comme seul objectif pédagogique, la suppression des RASED et la fin de la préscolarisation dès deux ans.
Le premier maillon éducatif qui conditionne la suite des apprentissages est laissé à l’abandon au nom d’un prétendu réalisme budgétaire. En parallèle, la proportion d’élèves en très grande difficulté croît de manière considérable et le poids des inégalités sociales tend à s’alourdir.
De la même manière, nous protestons vivement contre la nouvelle baisse des crédits, hors titre 2, accordés aux missions pédagogiques : près de 20 % en moins dans le premier degré par rapport à 2011, ce qui correspond à une division des crédits par treize en cinq ans.
L’assèchement des moyens matériels, que le vote de ce budget ne manquerait pas d’amplifier, empêcherait durablement de favoriser les innovations et la personnalisation des parcours pédagogiques, pourtant nécessaires. Ainsi, 20 % des élèves ne maîtrisent pas les fondamentaux à l’entrée en sixième. Je vous rappelle que, à la sortie du collège, la proportion des élèves les plus faibles est passée, en dix ans, de 15 % à 18 %. Or qui sont les plus touchés ? Ce sont les enfants des milieux sociaux défavorisés, la part des élèves en grande difficulté ayant doublé entre 2003 et 2009.
Au lieu de concentrer les moyens là où ils sont les plus nécessaires et de dynamiser l’éducation prioritaire, notamment en relançant la préscolarisation dans les zones dites sensibles, vous accentuez le déséquilibre entre les niveaux d’enseignement.
Concernant la gestion des ressources humaines, le constat est, à notre grand désarroi, identique. Les coupes budgétaires drastiques fragilisent durablement les équipes pédagogiques.
Alors qu’il serait urgent de revenir sur la désastreuse réforme de la mastérisation, le budget consacré à la formation des professeurs est, cette année encore, réduit à portion congrue. En effet, celle-ci ne répond en rien à la volonté d’améliorer la formation initiale et l’entrée dans le métier des enseignants. Au contraire, elle n’est qu’une simple parade pour réaliser des suppressions de postes. Avec quels résultats ?
D’une part, les primo-entrants souffrent sur le terrain de ne pas avoir appris leur métier. Dans les académies de Poitiers et de Paris, on signale une proportion très importante de jeunes professeurs en grande difficulté.
D’autre part, une véritable crise des vocations s’est installée dans notre pays. À la session de 2011, 20 % des postes ouverts au titre du CAPES sont restés vacants, faute de candidats. En mathématiques, ce taux est monté à 40 %, pour atteindre 58 % en lettres classiques. C’est une crise sans précédent !
Enfin, la précarisation des enseignants s’est accrue par un recours massif aux emplois de vacataires et de contractuels, dont le nombre a augmenté de 76 % entre 2005 et 2010. Plus que jamais, à raison, ces enseignants manifestent leur colère.
Pourtant, nous le savons tous, la formation des enseignants est un levier essentiel pour améliorer le système éducatif.
Comme l’ont déjà dit Mmes les rapporteures pour avis Françoise Cartron et Brigitte Gonthier-Maurin, la décision que vient de rendre le Conseil d’État va, sans nul doute, vous contraindre au dialogue, monsieur le ministre.
S’il était adopté en l’état, ce budget entraverait encore un peu plus le dynamisme de nos territoires, qui souffrent de ces étranglements budgétaires.
Nous, sénatrices et sénateurs de gauche, nous déplorons le traitement différencié entre les académies sans qu’aucune corrélation puisse être établie en fonction des difficultés propres à chaque territoire. Je pense aux départements d’outre-mer qui méritent une attention particulière et à la désectorisation qui n’a fait qu’amplifier les inégalités entre les territoires et la ghettoïsation de certains établissements.
À ce propos, les conclusions de la Cour des comptes sur les conséquences de l’assouplissement de la carte scolaire sont sans appel : sur l’ensemble des collèges appartenant aux réseaux ambition réussite, près de 80 % d’entre eux ont perdu des élèves. Ces établissements concentrent donc inévitablement les facteurs d’inégalité contre lesquels doit lutter la politique d’éducation prioritaire.
Je pense également aux communes rurales où l’école représente un service public de proximité indispensable. À cet égard, je relève que la charte des services publics, qui imposait que toute fermeture de classe se fasse de manière concertée, n’a jamais été respectée.
Loin de revenir sur cette politique, le Gouvernement accentue la désertification scolaire au détriment des territoires qui cumulent déjà nombre de difficultés.
Par conséquent, nous estimons, à juste titre, que les crédits de la mission « Enseignement scolaire » tels qu’ils nous sont proposés ne soutiennent pas cet idéal républicain de la réussite pour tous.
Alors que notre jeunesse doit être au cœur de nos politiques publiques, et ce d’autant plus en cette période de crise, elle se retrouve sacrifiée sur l’autel de ce que vous prétendez être le réalisme budgétaire.
Monsieur le ministre, les économies de bouts de chandelles que vous réalisez aujourd’hui seront les charges insupportables auxquelles nous serons demain confrontés, lorsqu’un nombre toujours croissant d’élèves seront en grande difficulté du fait d’un déficit en matière d’encadrement et d’accompagnement. D’ailleurs, au sein même de votre majorité, certains députés de l’UMP, dont le président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, se sont abstenus lors du vote des crédits relatifs à l’enseignement scolaire.
Parce que ce budget ne porte aucune ambition, parce qu’il renforce l’incohérence et l’opacité de la gestion des personnels, nous, sénatrices et sénateurs socialistes, voterons contre ces crédits.