Intervention de Dominique Gillot

Réunion du 3 novembre 2011 à 22h20
Scolarité obligatoire à trois ans — Discussion générale

Photo de Dominique GillotDominique Gillot :

Les mutations profondes subies par notre société appellent des réponses nouvelles, pensées, efficaces en matière d’accueil et d’éveil des jeunes enfants, ainsi que d’accompagnement de la parentalité.

L’école ne peut pas tout, elle n’est pas responsable de tout, mais elle peut construire ou casser des repères.

Au-delà de la contrainte législative qu’elle prévoit pour imposer aux pouvoirs publics l’accueil des enfants dès l’âge de trois ans dans une école spécifique, cette proposition de loi comporte plusieurs enjeux, d’ordre éducatif bien sûr.

L’école maternelle a une triple fonction : l’accueil, la socialisation et l’instruction des jeunes enfants. Contrairement aux jardins d’enfants, où prévalent la garderie et la prise en charge tarifée, l’école maternelle a aussi et surtout une vocation éducative, intégrative, selon des objectifs communs à toutes les écoles, sur l’ensemble du territoire, que les équipes pédagogiques, formées à cet effet, se doivent d’atteindre en organisant leur pédagogie afin de tenir compte de la singularité des enfants accueillis.

L’école maternelle est un cadre pour l’émergence du sujet. L’enfant y apprend à maîtriser ses impulsions, à prendre sa place dans un collectif, à être patient et pugnace, partageur et coopératif, attentif et spontané.

La scolarisation précoce favorise la construction d’une architecture intellectuelle par la maîtrise du langage, le développement et l’expression d’une pensée abstraite, la compréhension et l’intégration des informations.

C’est à l’école maternelle que tous les enfants d’une même tranche d’âge peuvent entrer dans un bain de langue, qui leur donnera les clés de la communication et des apprentissages.

Des études le montrent : c’est en parlant avec le jeune enfant – pas simplement pour lui donner des consignes ou des ordres –, en ayant des conversations avec lui, plutôt que de le laisser à la garde de la télévision, que l’on construit ses capacités langagières, dont le niveau de développement présage de sa réussite scolaire future.

L’école maternelle permet à l’enfant d’apprendre la vie en collectivité. Pour que l’enfant devienne élève, il faut qu’il entretienne des relations à l’autre, à travers des pratiques et des usages où il n’est plus seul, qu’il adopte des codes, accepte des tâches et y prenne goût.

Aller à l’école, c’est acquérir des savoirs et des compétences, mais c’est aussi adhérer à une manière de se les approprier. Dès l’âge de trois ans, cela profite à tous les enfants, particulièrement à ceux dont la famille ne détient pas les normes de ce capital culturel et social qui fait la différence.

L’école maternelle donne le goût de l’école et le plaisir d’apprendre. Les chercheurs en éducation s’accordent à reconnaître les vertus du plaisir pris à fréquenter l’école au regard de la réussite scolaire. Déjà, Jules Ferry préconisait de rendre « l’école aimable et le travail attrayant ». En appuyant les apprentissages sur une pédagogie du jeu, l’école maternelle a un rôle déterminant pour faire naître ce plaisir d’apprendre et éviter que ne se développe, non pas l’ennui, mais cette douleur et cette souffrance qui entraînent le décrochage scolaire. Chaque année, 150 000 jeunes décrocheurs quittent le système scolaire sans qualification, notamment par dégoût de l’étude.

L’école maternelle est une clé pour l’acquisition des bonnes pratiques et des compétences. Elle n’est pas un lieu d’accueil comme un autre, où l’enfant attendrait de rejoindre, à six ans, la véritable école, après s’être soumis au protocole d’évaluation structuré que vous préparez, monsieur le ministre. La maternelle est l’école première, par conséquent rendons-la obligatoire dès l’âge de trois ans, afin d’offrir à tous les enfants les mêmes chances de réussite scolaire.

J’en viens aux enjeux sociaux et citoyens.

L’école maternelle est le creuset de la République : elle est un espace de transition entre la famille et l’école élémentaire ; elle fait rupture avec la communauté familiale et sociale pour amener l’enfant dans un ensemble plus large, celui de la République, où il se reconnaîtra partie prenante à une identité rassembleuse.

Pour Philippe Meirieu, « la découverte de l’altérité est au cœur du processus éducatif ». Découvrir qu’il existe des êtres qui viennent d’ailleurs, découvrir d’autres langues, d’autres histoires, c’est agrandir le cercle de sa pensée et apprivoiser l’autre.

La scolarisation précoce permet aussi d’encourager la citoyenneté des parents, qui viennent naturellement à l’école maternelle, qui y expérimentent leur utilité sociale par confrontation avec leurs pairs et peuvent ainsi ressentir positivement leur rôle.

À l’âge de tous les possibles pour leur enfant, ils sont disponibles pour des projets collectifs, facteurs d’engagement citoyen, de cohésion sociale. Ils découvrent, eux aussi, leurs us et coutumes réciproques. Ils peuvent acquérir, eux aussi, de bonnes pratiques, rencontrer des professionnels qui les accompagnent, en tant que de besoin, dans la parentalité.

L’école de la République est gratuite et donc accessible à tous, ce qui rend effectif le principe républicain de l’égalité. Elle permet aux enfants et à leurs parents, venus de tous horizons, de se rencontrer, de se connaître, de se comprendre, de se respecter, de pratiquer la fraternité.

La scolarisation précoce est un moyen efficace, utile et nécessaire pour réduire les inégalités. Des études montrent qu’elle permet d’atténuer les inégalités et coûte moins qu’elle ne rapporte en matière d’intégration sociale et de prospérité. L’école maternelle, gratuite, obligatoire, est la matrice qui permet de compenser les handicaps sociaux de tous les enfants.

Les jardins d’éveils, non gratuits, non obligatoires, contribuent, eux, à accroître les inégalités plutôt qu’à les réduire.

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