Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, quelques jours avant celui du projet de loi de finances, constitue chaque année un rendez-vous d’importance politique majeure.
Cette année, il intervient à la veille d’échéances électorales déterminantes pour notre pays. Son apport au débat national est donc essentiel pour éclairer nos divergences, nos différences d’analyse, et, surtout, pour montrer qu’il existe des alternatives, des solutions permettant de régler les problèmes autrement.
Le contexte économique actuel tendu, marqué par la hausse du chômage et la crise des dettes européennes, ainsi que l’annonce, voilà quelques heures à peine, d’un nouveau plan d’austérité, j’y reviendrai, influenceront aussi la tonalité de nos échanges. Pour ma part, j’essaierai, madame la ministre, d’avoir une approche constructive et responsable, sans langue de bois, toutefois.
La nouvelle majorité de la commission des affaires sociales a souhaité imprimer sa marque sur ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Des contraintes constitutionnelles et organiques rendent cependant quasi impossible la mise au point d’un contre-projet. D’une part, l’article 40 de la Constitution interdit toute création ou hausse de dépenses. D’autre part, la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale enserre la loi de financement de la sécurité sociale dans un cadre rigide.
Ces motifs et la brièveté des délais depuis le renouvellement des instances sénatoriales, ont rendu difficile la construction d’une alternative complète au texte que vous nous proposez, madame la ministre. En outre, le Sénat ne dispose pas des moyens techniques permettant, par exemple, de proposer en parfaite connaissance de cause de nouveaux tableaux d’équilibre pour les différentes branches de la sécurité sociale, ainsi qu’un cadrage macroéconomique remanié.
Nous avons donc fait le choix d’une approche plus politique que technocratique, car nous pensons que c’est ce qu’attendent nos concitoyens.
J’en viens donc à nos principaux constats.
Cette année, le cadrage, établi parallèlement à celui du projet de loi de finances à la fin de l’été, était – nous pouvons désormais utiliser l’imparfait – excessivement optimiste. Vous le corrigez, madame la ministre : c’était indispensable !
En effet, retenir une hypothèse de croissance de 1, 75 % pour 2011 et 2012, puis de 2 % pour les années suivantes – c’est toujours ce qui figure dans les tableaux que vous nous avez fournis – était très volontariste.
Pour ce qui concerne la masse salariale, qui détermine les trois quarts des ressources de la sécurité sociale, prévoir une progression de 3, 7 % en 2011 et en 2012, et de 4 % par an à partir de 2013 était, compte tenu des résultats des dernières années, extrêmement ambitieux.
Ces prévisions sont aujourd’hui irréalistes. Tous les économistes et experts tablent sur une croissance sans doute inférieure à 1 % en 2012. Sous la pression des marchés et de nos partenaires européens, le Président de la République s’est donc aligné sur ce taux, comme l’avait fait l’Allemagne quelques jours plus tôt.
Les conséquences concrètes de ce réajustement appellent une grande vigilance. Si celui-ci doit naturellement empêcher toute nouvelle dérive des comptes, il faut veiller – c’est essentiel – à ce qu’il soit appliqué de manière équitable aux différents acteurs de la sphère sociale. De ce point de vue, la revalorisation de 1 % seulement des prestations sociales en 2012 ne répond certainement pas à cet objectif.
Or, dans le cadre économique particulièrement optimiste retenu à l’annexe B, les comptes du régime général restent déficitaires jusqu’au terme de la projection, en 2015, même si le déficit est ramené de 13, 9 milliards d’euros en 2012 à 8, 5 milliards d’euros. Avec le Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, ce seront donc encore plus de 10 milliards d’euros qui ne seront pas financés !
Pour tenir ce cap, un effort de maîtrise des dépenses est prévu afin de compenser la croissance tendancielle élevée des branches vieillesse et maladie. Mais, à l’évidence, cet effort ne sera pas suffisant au regard de l’ampleur des déficits programmés.
Bien entendu, ces projections sont très volatiles : il suffit de modifier l’une des hypothèses pour que les soldes présentés deviennent caducs. Par exemple, une progression de la masse salariale inférieure de un point aux projections représente 2 milliards d’euros de déficits supplémentaires.
Malgré tout, ce cadrage pluriannuel a le mérite de tracer une trajectoire et de faire apparaître les contraintes et les difficultés liées à l’objectif de réduction des déficits – nous ne les oublions pas. Il montre aussi de manière éclatante que le Gouvernement a totalement abandonné toute perspective d’un retour à l’équilibre à moyenne échéance. Est-ce vraiment responsable ?
Qu’en est-il des comptes présentés dans ce PLFSS ?
L’année 2010 aura été celle des déficits historiques.
Le régime général a terminé 2010 avec un solde négatif de 23, 9 milliards d’euros, soit plus du double de ce qu’il était en 2008 ! La branche maladie, en particulier, a vu ses comptes plonger, son déficit s’élevant à 11, 6 milliards d’euros – soit trois fois le montant constaté en 2008.
Bien entendu, la dégradation des comptes a résulté de la chute sans précédent des recettes, elle-même liée à la crise économique et financière.
Mais, comme la Cour des comptes l’a fait observer à de maintes reprises, nous ne serions pas tombés aussi bas si notre pays avait pu aborder la crise avec des comptes à l’équilibre… Les 10 milliards d’euros de déficit constatés chaque année depuis 2004 ont plombé durablement nos finances sociales ; nous devrons en payer le prix pendant très longtemps.
Un léger redressement a été amorcé en 2011. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale voté à la fin de l’année dernière a prévu un déficit de 20, 9 milliards d’euros pour le régime général. Fort heureusement, la masse salariale a repris sa progression – 3, 7 % sur l’ensemble de cette année, selon les prévisions –, nous permettant d’espérer un déficit légèrement réduit : il pourrait s’élever à 18, 2 milliards d’euros, soit 2, 7 milliards d’euros de moins que prévu. La branche maladie reste la plus déséquilibrée, son solde – négatif pour 9, 6 milliards d’euros – représentant plus de la moitié du déficit total.
Les prévisions pour l’année 2012 s’inscrivent dans le cadre général de la trajectoire de réduction des déficits publics à 4, 5 % du produit intérieur brut.
Je rappelle que le déficit du régime général devrait s’établir à 13, 9 milliards d’euros. Une progression des ressources de 4, 9 % est attendue, grâce au dynamisme de la masse salariale et aux effets des mesures nouvelles, qui devraient rapporter 5, 3 milliards d’euros.
Plusieurs de ces mesures ont déjà été adoptées, pour un montant de 2, 9 milliards d’euros, en loi de finances rectificative : c’est le cas notamment de la hausse du taux de la taxe sur les contrats responsables, j’y reviendrai, et la majoration du taux du prélèvement social sur les revenus du capital.
D’autres mesures figurent dans ce PLFSS : hausse du forfait social ; réaménagements de l’assiette de la CSG, de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, et de la taxe sur les véhicules de société ; intégration des heures supplémentaires dans le calcul des allégements généraux ; augmentation de la fiscalité sur les alcools.
Les autres, comme la taxe sur les boissons sucrées, sont inscrites dans le projet de loi de finances pour 2012.
Une fois de plus, madame la ministre, les mesures proposées sont éparpillées entre différents projets de loi, ce qui rend peu lisible la politique du Gouvernement - sans doute est-ce à dessein -, et la tâche très difficile pour qui voudrait avoir une approche d’ensemble des comptes sociaux.
Les dépenses, quant à elles, augmentent de 3, 3 %. Le delta permet de réduire le déficit de 4, 3 milliards d’euros par rapport à 2011.
Vous nous proposez de nouvelles économies pour tenir cet objectif de réduction ; mais il s’agit, pour une large part, de mesures d’urgence applicables uniquement en 2012…
Je veux à présent vous faire part des principales observations formulées par la commission des affaires sociales sur les équilibres des comptes sociaux.
Première observation : ce PLFSS n’apporte pas plus que les précédents les solutions nécessaires à la sauvegarde de notre système de protection sociale. Comme je viens de le montrer, il ne résout ni la question des déficits, ni celle du manque structurel de recettes des branches maladie et famille ainsi que du Fonds de solidarité vieillesse, ce FSV que l’on oublie parfois dans le calcul des déficits totaux. Il ne résout pas davantage le problème, pourtant fondamental, de l’accès aux soins, ni la douloureuse question du reste à charge, ni les problèmes financiers des hôpitaux.
Bref, ce PLFSS ne traite aucun des sujets qui appellent des réponses urgentes !