Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 7 novembre 2011 à 15h10
Financement de la sécurité sociale pour 2012 — Discussion générale

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales :

Au sujet des restes à charge, il est vrai qu’une amélioration a été constatée en 2009 et 2010. Elle est essentiellement due au taux de remboursement de 100 % appliqué pour les affections de longue durée, les ALD.

Il s’est en réalité produit un « effet cloche » : après avoir augmenté, les restes à charge ont récemment baissé. Mais il y a une dizaine d’années, ils étaient sensiblement inférieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui : 9 %, par exemple, en 2000.

Deux exemples me paraissent emblématiques de la négligence, je dirais presque l’irresponsabilité du Gouvernement.

La dette de la branche vieillesse du régime des exploitants agricoles, d’abord, atteindra 3, 8 milliards d’euros à la fin de l’année 2011. Or que fait le Gouvernement ? Il décide un transfert partiel à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, pour 2, 5 milliards d’euros. Sans doute s’agit-il de profiter de la hausse mécanique des recettes de CSG et de CRDS résultant des aménagements d’assiette... Où est la logique ?

La question se pose d’autant plus que le Gouvernement prévoit également d’affecter au régime agricole une plus grande partie des droits sur les alcools, ce qui lui permettrait de couvrir un tiers de son déficit. Cependant, outre le fait qu’elle ne constitue qu’une solution très partielle aux problèmes de ce régime, cette méthode revient à ponctionner des recettes de la Caisse nationale d’assurance maladie, au motif que la CNAM disposera de nouvelles recettes grâce au PLFSS…

Comment s’y retrouver dans un pareil labyrinthe ! Madame la ministre, peut-on, en toute responsabilité, se livrer à un tel jeu de bonneteau ?

Rien n’a été prévu, ensuite, pour la couverture en 2012 des déficits des branches maladie et famille. Si les prévisions sont respectées, il faudra financer dans quelques mois 8, 2 milliards d’euros de déficit… Transférera-t-on aussi ce déficit à la CADES, avec une recette de poche quelconque pour en assurer le remboursement ? Le laissera-t-on dans les comptes de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, en attendant de trouver quoi en faire ?

Cette politique de court terme n’est plus acceptable. Les enjeux sont trop graves. Nous ne pouvons plus continuer à fabriquer de la dette à partir de nos dépenses courantes.

Avec la crise, les déficits sociaux ont atteint des sommets : plus de 70 milliards d’euros en trois ans pour le régime général et le FSV. La dette sociale a doublé depuis 2007, et nous la transférons, sans états d’âme, à nos enfants et à nos petits-enfants !

Deuxième observation : le Gouvernement persiste dans sa politique de réajustements ponctuels des recettes. J’ai fait tout à l’heure l’inventaire rapide des mesures figurant dans le PLFSS en matière de recettes : elles ne répondent à aucune stratégie d’ensemble et ne sont clairement pas à la hauteur des enjeux.

Je veux prendre, là encore, deux exemples.

Le forfait social, d’abord, est augmenté de deux points – comme les deux années précédentes. Il est ainsi porté à 8 %, pour un gain de 410 millions d’euros. Pourquoi cette politique des petits pas ? On ne compte plus les institutions qui, de la Cour des comptes au Comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales - présidé par Henri Guillaume, il a rendu son rapport en juin dernier –, ont indiqué que le forfait social pouvait être relevé plus nettement. Pourquoi ne pas emprunter cette voie ?

Le complément de libre choix d’activité versé aux foyers avec jeunes enfants, ensuite, devait être assujetti à la CSG. Cette mesure était censée rapporter 140 millions d’euros à la sécurité sociale. L’Assemblée nationale l’a supprimée à l’unanimité ; bien entendu, nous proposerons de maintenir cette suppression. Est-il défendable de s’attaquer aux revenus de personnes qui sont souvent en situation difficile dans le contexte de la crise actuelle ?

Et que dire du gage trouvé pour compenser cette suppression… Le report de trois mois de la revalorisation des prestations familiales est pour nous réellement indigne ! Maintiendrez-vous ce report, alors qu’aujourd’hui même la revalorisation a encore été revue à la baisse, si l’on en croit ce que le Premier ministre vient d’annoncer ?

Troisième observation : il est devenu prioritaire de définir une véritable stratégie de mobilisation des recettes afin de sauvegarder notre modèle de protection sociale. J’en ai parlé, la semaine dernière, au cours du débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution. Les amendements que notre commission a adoptés sont le reflet de cette conviction.

La stratégie qu’il est nécessaire de définir pour mettre à niveau les recettes de la protection sociale doit reposer sur trois piliers.

Je citerai d’abord la suppression des mesures coûteuses et inefficaces : je pense naturellement aux exonérations de charges sur les heures supplémentaires mises en place par la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA. Nous n’avons pas peur d’avoir ce débat, et nous l’aurons, car, dans le nouveau contexte de rigueur, ce cadeau fiscal et social de 2007 est de plus en plus contestable.

Je citerai ensuite la poursuite de la révision des niches sociales. De vraies marges existent encore : hausse du forfait social, stock-options, attributions gratuites d’action, retraites chapeau, indemnités de rupture.

Je citerai enfin la mobilisation de recettes nouvelles. Nous devrons en particulier travailler à un meilleur ciblage des allégements généraux de charges sociales. Nous n’avons, madame la ministre, rien dit de plus : j’ai parlé d’un meilleur ciblage des allégements généraux, pas de leur suppression. J’ai trouvé que vous avez fait de nos propositions une lecture, sinon caricaturale, du moins quelque peu hâtive…

Madame la ministre, chers collègues de l’opposition, l’effort sur les recettes que nous proposons n’implique nullement un relâchement de la maîtrise des dépenses, qui ne serait naturellement pas responsable. Mais cette maîtrise doit être juste et avoir pour objectif une meilleure efficience du système au profit de nos concitoyens.

À cet égard, qu’en est-il de l’assurance maladie, qui constitue le plus gros poste de dépenses de notre budget social. ? Le PLFSS pour 2012 s’inscrit malheureusement dans le prolongement des précédents : on y multiplie les mesures ponctuelles en se gardant bien d’aborder les problèmes structurels…

Ne serait-il pas préférable de maîtriser les dépenses de santé en amont, par exemple en développant davantage la prévention ou l’éducation thérapeutique – vous-même l’avez dit et nous pouvons tomber d’accord sur ce point –, plutôt que de se focaliser sur une régulation macroéconomique a posteriori et sur l’affichage d’un ONDAM trop volontariste pour être crédible ?

Vous avez annoncé une révision de 2, 8 % à 2, 5 % s’agissant de l’ONDAM pour 2012, ce qui correspond à une réduction des dépenses de 700 millions d’euros. Sur quelles dépenses allez-vous faire porter l’effort ? Nous l’avons bien compris : la réponse nous sera donnée dans le cadre d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.

Par nature, les solutions de court terme que privilégie le Gouvernement ne sont pas pérennes ; de surcroît, elles érodent les principes fondateurs de notre sécurité sociale : universalité et solidarité.

C’est le cas des participations forfaitaires, des multiples franchises, des déremboursements erratiques, des gels arbitraires de dotations pour les hôpitaux : la liste est longue des mesures qui ne font que saper les bases de notre système sans régler aucun des problèmes de fond !

Les déremboursements ont-ils réorienté la politique du médicament – alors que l’on sait que le véritable problème tient à la multiplication des molécules et à leur prix élevé ? Les franchises ont-elles modifié le comportement des assurés ? Non, deux fois non !

Ces mesures ont eu un seul résultat tangible, dramatique même pour certaines familles : elles ont rendu l’accès aux soins encore plus difficile. C’est un point de désaccord important entre nous ! Ainsi, 16 % des Français renoncent aujourd’hui à se soigner pour des raisons financières – un sondage a même avancé le chiffre de 30 %...

Les dépassements d’honoraires, qui ont explosé depuis leur création en 1980, ont doublé ces vingt dernières années, culminant à 2, 5 milliards d’euros en 2010. Ces pratiques ont entraîné des transferts de prise en charge de l’assurance maladie vers les organismes complémentaires, qui pourraient, à terme, remettre en cause notre système obligatoire de base. Rappelons que le taux de remboursement de la sécurité sociale pour les soins courants représente aujourd'hui de 50 % à 60 % de leur coût : quel serait demain pour les jeunes, qui sont rarement malades, l’intérêt de demeurer dans le système de sécurité sociale si le taux de remboursement diminue encore ?

Je suis surpris par la réponse du Gouvernement, qui propose en fait d’entériner une partie de ces dépassements, sans agir sur ceux qui sont excessifs, et de les faire rembourser par les complémentaires santé, c’est-à-dire par les assurés eux-mêmes via leurs primes d’assurance. Veut-on vraiment nous faire croire que le secteur optionnel est la solution aux dépassements d’honoraires ?

L’accès aux soins, c’est aussi la question de l’inégale répartition des médecins libéraux sur le territoire. Force est de constater que les quelques mesures dites « incitatives », votées ces dernières années, n’ont pas d’effets, ou qu’ils sont trop lents. Il sera nécessaire, très vite, de se montrer plus volontariste, en relançant d’abord les négociations conventionnelles pour aboutir à un accord efficace.

C’est sur la base de ces observations que notre commission propose de supprimer les nombreux dispositifs qui pénalisent déjà les patients, ou qui les pénaliseront si nous votons ce texte.

Il s’agit, tout d’abord, du doublement de la taxe sur les contrats « responsables » adopté dans une loi de finances rectificative en septembre dernier : cette mesure ne peut que renchérir le coût des complémentaires. Elle paraît d’autant plus contre-productive que, en pénalisant ainsi les contrats « responsables » et en y ajoutant la prise en charge des dépassements d’honoraires du secteur optionnel envisagé par le Gouvernement, on videra ces contrats de leur sens. Il est évident que les organismes complémentaires n’auront alors plus intérêt à les proposer, car ils seront nettement plus chers pour leurs affiliés. Est-ce le résultat escompté par le Gouvernement ? J’ajoute que ce serait malheureux parce que, au moins, ces contrats ne peuvent pas discriminer les assurés selon leur état de santé.

Pour les mêmes motifs, nous ne soutiendrons pas la création, à marche forcée, du secteur optionnel, qui me semble – et je ne suis pas le seul à le penser – dangereux à bien des égards s’il n’est pas accompagné d’autres mesures tendant à limiter les dépassements d’honoraires. Il ne constituera qu’un effet d’aubaine pour certains médecins, mais il créera un sentiment de découragement chez d’autres, notamment les généralistes, qui respectent les tarifs opposables.

Par ailleurs, nous proposons de supprimer la franchise sur les boîtes de médicaments – une recette que vous incluez dans le calcul de l’ONDAM tel que vous l’avez présenté tout à l’heure, madame la ministre. Cette mesure est profondément injuste et inégalitaire, car elle touche d’abord les personnes disposant de faibles ressources et celles qui sont en mauvaise santé. Du reste, elle ne règle en rien, je le répète, le problème du prix du médicament en France.

En outre, nous ne cautionnerons pas le rabotage annoncé des indemnités journalières envisagé par le Gouvernement. Je signale, au passage, que grâce au programme déployé par l’assurance maladie, le volume des indemnités journalières a baissé de 11 % ces trois dernières années, alors même que la croissance de la population active et son vieillissement auraient dû entraîner son augmentation. La CNAM estime à 1 milliard d’euros l’économie annuelle résultant des efforts ainsi engagés.

Par ailleurs, notre commission demande l’abrogation du processus de convergence tarifaire entre les hôpitaux et les cliniques.

Dans son dernier rapport annuel sur la sécurité sociale, la Cour des comptes montre clairement que ce processus est mal engagé, car mal défini. Ne nous obstinons pas dans cette voie et engageons plutôt une réflexion d’ensemble sur les modes de financement des hôpitaux pour aboutir à une articulation optimale entre tarification à l’activité et dotations liées aux missions de service public.

Enfin, nous proposons la suppression de la contribution à l’aide juridique pour les procédures sociales. Notre commission s’était déjà élevée en juillet dernier contre l’assujettissement des contentieux de sécurité sociale à cette nouvelle taxe de 35 euros ; mettons de nouveau en cohérence le code général des impôts avec la loi de 1946, qui prévoit que ces procédures sont gratuites et sans frais.

Toutes ces observations m’amènent à dire que le Gouvernement n’a pas pris la mesure des questions qui se posent : la contrainte globale sur les dépenses ne peut être efficace longtemps et va miner le système dans son ensemble. Il est urgent d’adopter, comme nous ne cessons de le réclamer, une grande loi de santé publique : si nous savons mieux préserver la santé de nos concitoyens, nous limiterons évidemment la progression des dépenses de l’assurance maladie.

C’est là, à mon sens, la seule démarche à entreprendre si l’on souhaite agir en faveur de la consolidation de notre protection sociale.

Au total, la commission a attribué au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 une note « triple I » – une expression déjà reprise par la presse ! – et les mesures annoncées ce midi n’y changeront rien.

Ce PLFSS est irréaliste, tout d’abord, car son cadrage macroéconomique n’est pas suffisamment prudent ; sur ce point, le Premier ministre nous a donné raison tout à l’heure.

Il est indigent, ensuite, du fait de l’absence totale de solutions structurelles aux graves problèmes que connaît notre système de protection sociale, comme je l’ai montré.

Il est irresponsable, enfin, car il continue à faire payer notre impéritie actuelle aux générations futures.

Sans un retour rapide à l’équilibre, la pérennité de notre modèle de protection sociale est irrémédiablement condamnée. L’histoire jugera sévèrement ceux qui ont renoncé à engager les efforts nécessaires à la préservation de l’héritage unique que nous ont laissé nos prédécesseurs. La solidarité nationale et la sécurité sociale sont des valeurs qu’il nous faut porter haut, même en temps de crise, et c’est ce que nous ferons.

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