Intervention de René Teulade

Réunion du 7 novembre 2011 à 22h00
Financement de la sécurité sociale pour 2012 — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de René TeuladeRené Teulade :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, chaque année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale nous offre son lot de surprises.

L’année dernière, il était marqué par la funeste affaire du Mediator ; cette année, le cœur du problème réside dans le cœur du texte, à savoir les chiffres initialement présentés par le Gouvernement.

Plutôt que de déverser une logorrhée de statistiques, rappelons simplement que les prévisions de croissance sur lesquelles s’est fondé le Gouvernement étaient irréalistes. En la matière, son optimisme s’est heurté à la froide réalité économique : en 2012, la croissance devrait s’établir autour de 1 %, loin des 1, 75 % longtemps annoncés contre vents et marées par la majorité présidentielle.

Dans un contexte économique contraint, où la rigueur, la volatilité et l’incertitude dominent, comme en témoigne la tourmente qui secoue actuellement la zone euro, comment le Gouvernement a-t-il pu ainsi se bercer d’illusions ?

En ce sens, nous ne pouvons que regretter d’avoir entamé un débat sur des chiffres fondés sur des hypothèses macroéconomiques dépassées ; nous ne pouvons que regretter d’avoir entamé un débat actuellement sacrifié sur l’autel, disons-le, de la duperie.

La duperie est d’autant plus fruste que la majorité présidentielle n’a de cesse de s’ériger en chantre de l’efficacité et de la rationalité économiques, confondues avec la mise en place, sans discussion, de mesures d’austérité qui pénalisent à la fois la croissance, l’emploi, l’investissement et la compétitivité.

Entendons-nous bien : lutter contre les déficits, notamment celui de la sécurité sociale, est une nécessité et une priorité absolues ; nous en sommes convaincus. À cet égard, ce matin même, le Premier ministre, M. François Fillon, a explicité que les mesures du nouveau plan de rigueur étaient guidées par ces principes. Mais comment croire en cette fable ?

En effet, pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas touché au paquet fiscal, dont le coût est estimé à 10 milliards d’euros, soit le montant qu’il lui manquait pour boucler son budget ? Pourquoi, parallèlement, a-t-il accéléré la réforme des retraites, faisant porter l’effort sur les salariés ? Pourquoi avoir maintenu la défiscalisation des heures supplémentaires, dispositif dont l’inefficacité a été soulignée à de nombreuses reprises, et avoir fixé à 1 % par an, de manière péremptoire, l’augmentation des prestations sociales, sans se préoccuper de l’évolution de l’inflation ? Pourquoi avoir gelé le barème de l’ISF pendant deux ans, plutôt que de s’attaquer davantage aux niches fiscales ?

Quelle audace ne faut-il pas, après avoir énoncé cette litanie de mesures, pour assurer que ce plan de rigueur est équitable ! Ce ne sont pas les « mesurettes » annoncées qui compenseront la profonde injustice que représente ce nouveau plan de rigueur.

Ce cadrage d’ensemble étant effectué, j’aimerais maintenant vous faire part de mes observations sur la branche vieillesse de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.

À titre liminaire, il convient de préciser qu’analyser les chiffres de la branche vieillesse ne peut se faire qu’au regard de la réforme des retraites promulguée le 9 novembre 2010. Brutale elle a été, brutale elle demeure, comme en témoignent les déclarations du Premier ministre ce matin, qui a consacré l’accélération de la réforme et le report de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans d’ici à 2017 au lieu de 2018, sans négociation préalable avec les partenaires sociaux, ce qui manifeste une forme de mépris !

Ainsi, évoquer le problème des retraites, c’est aborder des questions sociales et sociétales fondamentales pour le présent et pour l’avenir. En effet, les principes qui sous-tendent les mécanismes de notre système de retraites reflètent en réalité les valeurs de notre société. En ce sens, la question des retraites est éminente, car elle retranscrit l’essence même de notre nation.

À ceux qui se plaisent à souligner qu’il ne s’agit ici que de sujets philosophiques, sans portée concrète, je rappellerai les récentes manifestations, dans plus d’une centaine de villes, le 6 octobre 2011, de plusieurs milliers de retraités qui dénonçaient leur précarité, clamaient leur peur du déclassement et, osons le dire, exprimaient un sentiment se rapprochant plus du désespoir que du désarroi.

Comment pourrait-il en être autrement, étant donné les paramètres de leur situation : pouvoir d’achat en berne en raison de la relative stagnation des prestations versées, isolement de plus en plus manifeste, difficultés de plus en plus grandes pour se soigner, comme en témoigne la pétition mise en circulation par la Fédération nationale de la Mutualité française ?

À cet égard, un récent sondage montrait que près d’un tiers des Français avaient dû renoncer à se soigner en 2011. En Europe, seule la Pologne présente des statistiques plus inquiétantes. La France a plongé à la quatorzième place au sein de la zone euro selon le critère du déficit du système de sécurité sociale. Une gestion équilibrée des comptes nous ferait remonter à la huitième position : cela suffit à légitimer la mise en œuvre d’une autre politique.

Dans un tel contexte, le projet de loi sur la dépendance aurait été le bienvenu, afin de soulager à la fois les personnes âgées et leurs familles. Malheureusement, il a été jeté aux oubliettes… Pour autant, il n’en demeure pas moins un problème majeur qui doit être traité dans le cadre d’une réflexion large, englobant les questions d’évolution démographique, de santé publique, de sécurité sociale et de retraites.

Sans palabrer sur l’ensemble de la réforme des retraites, certes guidée par l’urgence, mais marquée par l’absence d’esprit de négociation, de compromis et de conciliation de la majorité présidentielle, nous pouvons nous interroger quant à son incidence sur les chiffres présentés dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Tout d’abord, rappelons qu’en 2010 les déficits de l’assurance vieillesse ont atteint un niveau sans précédent : près de 9 milliards d’euros pour la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV, 4 milliards d’euros pour le Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, et environ 2 milliards d’euros pour les autres régimes, soit un total de 15 milliards d’euros.

Afin de pallier cette situation dramatique, les mesures prises ont visé à la fois l’augmentation des recettes et la réduction des dépenses. Néanmoins, la diminution des dépenses, à l’inverse de l’accroissement des recettes, a un effet différé dans le temps, si bien que les déficits vont demeurer à un niveau élevé au cours des années à venir : près de 6 milliards d’euros pour la CNAV, 3, 7 milliards d’euros pour le FSV et environ 2 milliards d’euros pour les autres régimes, soit 11, 7 milliards d’euros au total en 2012. Selon les projections gouvernementales, ce déficit structurel ne descendra pas en dessous de 10 milliards d’euros par an d’ici à 2015.

Il est donc urgent de prendre des mesures supplémentaires d’une efficacité économique certaine, d’autant que les déficits de la branche vieillesse vont accroître une dette sociale déjà en forte augmentation. Sur les 130 milliards d’euros transférés à la CADES entre 2010 et 2018, près de 85 milliards d’euros sont inhérents aux déficits de la branche vieillesse.

En outre, il faut souligner que les déficits de certains régimes n’ont pas été pris en compte dans le cadre de la réforme des retraites et qu’ils restent en attente de financement.

Ainsi, le régime des exploitants agricoles va continuer de connaître un déficit très important ces prochaines années, et ce malgré les 400 millions d’euros de recettes supplémentaires qui lui seront affectés à partir de 2012.

Parallèlement, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales, la CNRACL, est en déficit depuis 2010. Or ce déficit va s’aggraver de 600 millions d’euros cette année, en conséquence du reversement à l’État des cotisations perçues au titre des agents transférés aux collectivités locales.

Par conséquent, au regard de l’ensemble de ces éléments, nous ne pouvons être que dubitatifs s’agissant du scénario de retour à l’équilibre à l’horizon 2018 qui nous est vendu comme la quintessence de la réforme des retraites, dont nous avions dénoncé le caractère foncièrement inique lors de la discussion du projet de loi éponyme dans cet hémicycle, l’année dernière.

Outre les incidences du report de l’âge légal de la retraite de 60 à 62 ans d’ici à 2017, indépendamment du nombre d’années de cotisation, nous ne pouvons que réitérer nos inquiétudes quant aux conséquences, pour les assurés n’ayant pas bénéficié d’un parcours professionnel continu, notamment les femmes, du report à 67 ans de l’âge de l’accès au taux plein.

Aujourd’hui, nous le savons, les parcours professionnels ne sont plus aussi linéaires qu’auparavant. Nos concitoyens aspirent à bénéficier d’une formation continue, à faire coexister harmonieusement vie professionnelle et vie personnelle, quitte à mettre de côté temporairement la première. Ils aspirent, tout simplement, à la liberté d’organiser leur cycle de vie comme ils l’entendent, sans pour autant renâcler au travail.

Autrement dit, de nos jours, le triptyque formation-travail-retraite n’a plus grande pertinence. La formation se poursuit au-delà des études, tandis que les « phases de retraite » sont de plus en plus nombreuses au cours de la vie professionnelle ; parallèlement, la fin de la vie professionnelle n’est pas la fin de l’activité économique et de l’activité sociale.

C’est pourquoi le projet socialiste évoque la notion de « retraite choisie », système universel et personnalisé qui prendrait en compte le parcours et les aspirations de tout un chacun. Les systèmes scandinaves, en pointe en la matière, fournissent un exemple de ce que pourrait être un système moderne de retraites.

De surcroît, l’injustice que représente à nos yeux cette réforme des retraites est symbolisée par son traitement de la problématique de la pénibilité.

Dans le cadre de la préparation de l’examen du présent projet de loi de financement de la sécurité sociale, lors de l’audition des ministres, nous avons évoqué notre profonde déception eu égard aux conditions particulièrement restrictives imposées par les décrets d’application pour bénéficier de la retraite anticipée. En particulier, nous avons critiqué le critère d’exposition durant dix-sept ans à des facteurs de risque pour les assurés présentant un taux d’incapacité compris entre 10 % et 20 %.

À cet égard, le volet relatif à la prévention, qui repose sur des négociations de branche et des accords d’entreprise, est à la peine.

En effet, pour les entreprises dont moins de 50 % de l’effectif est exposé à des facteurs de risques, il n’y aura aucune obligation de négocier des accords.

Enfin, le thème des retraites est intrinsèquement lié aux débats sur l’emploi des seniors. Dans un contexte où les perspectives économiques ne cessent de se dégrader, où le taux de chômage au sein de l’Union européenne, qui a atteint 10, 2 % en septembre dernier, n’a jamais été aussi élevé, l’emploi des seniors est une variable essentielle pour le succès des politiques économiques.

Rappelons qu’en France les seniors, comme les jeunes, sont fortement exposés au chômage. Ainsi, au deuxième trimestre de 2011, le taux d’emploi des seniors était de 40, 9 %, très au-dessous de la moyenne européenne, qui s’établissait à 46, 3 %, et loin de l’objectif fixé par la stratégie de Lisbonne, à savoir un taux d’emploi de 50 % pour 2010. Pis encore, une nette césure se dessine à partir de 60 ans : le taux d’emploi des 55-59 ans s’élève à 63, 4 %, alors que celui des 60-64 ans est de 18, 1 %, soit presque cinquante points de différence…

Dans ces conditions, comment est-il possible de défendre la réforme des retraites et, par voie de conséquence, les chiffres de la branche vieillesse présentés dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ? Vous vous êtes focalisés sur une seule face de la même pièce de monnaie, l’âge légal de départ à la retraite, sans prendre le temps de réfléchir à la question primordiale de l’emploi des seniors. La preuve en a d’ailleurs été apportée ce matin, puisque la seule mesure annoncée relative aux retraites a une nouvelle fois concerné l’âge légal de départ à la retraite. En d’autres termes, vous promettez aux seniors non pas une retraite paisible, mais une retraite anxiogène, marquée par une peur frénétique du chômage.

Ceci est symptomatique de votre vision court-termiste, de votre tendance à naviguer à vue : vous n’avez eu de cesse de tergiverser s’agissant de l’allocation équivalent retraite, qui concerne les demandeurs d’emploi les plus âgés arrivant en fin de droits. Supprimée à la fin de 2008, maintenue « à titre exceptionnel » en 2009, prorogée en 2010, puis supprimée en 2011, cette mesure sera finalement rétablie sous l’appellation d’« allocation transitoire de solidarité ». Cette politique confuse ne fait que traduire l’incapacité du Gouvernement à trouver des solutions viables pour l’emploi des seniors !

Ainsi, nous souhaitons que la lecture de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale au Sénat, à défaut de vous convaincre, puisse vous éclairer. Nous voulons être non pas uniquement dans la gestion des crises, mais dans l’anticipation et la prévention, en privilégiant l’action plutôt que la réaction.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion