Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que nous sommes amenés à examiner le dernier projet de budget de la branche famille de la sécurité sociale de cette législature, nous constatons, une fois encore, que cette branche est le parent pauvre du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Que nous proposez-vous ?
Deux mesures très ciblées, relatives à l’allocation de soutien familial et au complément de libre choix du mode de garde, sont envisagées. Aussi intéressantes soient-elles pour les familles monoparentales, les deux articles dont elles font l’objet ne peuvent à eux seuls constituer un projet, madame la secrétaire d’État, ni, a fortiori, masquer les faiblesses d’une politique sans vision ni ambition.
J’en veux pour preuve le fait que les avantages octroyés aux uns par ce texte devaient, dans l’esprit du Gouvernement, être repris aux autres. En proposant initialement l’assujettissement à la CSG du complément de libre choix d’activité et du complément optionnel de libre choix d’activité, mesure rejetée par nos collègues députés, le Gouvernement tentait de récupérer 30 euros par mois sur le dos des familles bénéficiaires. D’ailleurs, il ne s’arrête pas en si mauvais chemin, puisqu’il prétend maintenant reporter l’actualisation des allocations logement au mois d’avril, proposition heureusement repoussée par notre commission des affaires sociales. Et comme cela ne suffit toujours pas, le Premier ministre vient d’annoncer aujourd’hui même qu’un nouvel effort serait demandé aux plus défavorisés, aux bénéficiaires des prestations sociales, puisqu’il a été décidé que les prestations sociales seraient désormais indexées sur le taux de croissance, ce qui aboutira à une baisse du pouvoir d’achat et du niveau de vie des bénéficiaires.
Oui, madame la secrétaire d’État, comme pour l’ensemble des branches de la sécurité sociale, la politique du Gouvernement est insaisissable et ne donne aucun résultat. Depuis cinq ans, les comptes de la branche famille ne cessent de se dégrader. Alors qu’ils affichaient un excédent de 200 millions d’euros en 2007, ils ont basculé dans le déficit dès 2008. Pour 2011 et 2012, les déficits attendus sont d’environ 2, 5 milliards d’euros.
Pour ce qui concerne les perspectives, l’inquiétude demeure. Aucune piste sérieuse de redressement ne se dessine. Voilà quelques mois, le Haut Conseil de la famille considérait que la branche famille retrouverait l’équilibre au plus tôt vers 2017. Si l’on précise que cette estimation s’appuie sur les hypothèses économiques d’une croissance de long terme de 1, 5 % par an et d’un taux de chômage diminuant jusqu’à 4, 5 %, on peut en déduire que la situation est très alarmante… Et ce ne sont pas les économies dérisoires, et surtout injustes, que vous décidez année après année qui changeront la donne, sauf pour les familles pénalisées.
Je pense, en particulier, à la suppression de la rétroactivité des aides personnelles au logement pour les trois mois précédant la demande des allocataires. Nous vous l’avions déjà dit l’année dernière, au moment où cette mesure avait été adoptée, mais il convient hélas d’y revenir : les familles les plus modestes, celles qui sont le moins en mesure de s’informer de leurs droits et celles dont l’un des membres voit sa situation professionnelle changer brutalement, sont, au final, les plus touchées.
En matière de logement, dans un contexte de crise économique et de montée du chômage, la situation des familles demeure très difficile. Les revenus des allocataires diminuent et les besoins en matière d’aide au logement augmentent. La part des dépenses de logement dans le budget familial grimpe, ce dont, malheureusement, vous ne tenez pas compte.
Je le répète, aucune perspective sérieuse de redressement ne se dessine.
Au-delà de la situation dégradée des comptes de la branche famille, nous nous souvenons des promesses faites par M. Sarkozy lorsqu’il était candidat. Dans son discours de Périgueux, il s’était engagé à « faire cesser la situation insupportable de la mère qui travaille, qui élève seule ses enfants et qui n’arrive pas à les faire garder », proposant « que le droit de faire garder ses enfants quand on travaille ou quand on est à la recherche d’un emploi devienne opposable […] afin d’obliger tout le monde à créer au plus vite les capacités d’accueil nécessaires ». Vous vous en souvenez certainement, madame la secrétaire d’État… Nous aussi, croyez-le !
La France peut se réjouir d’avoir l’un des taux de natalité les plus élevés d’Europe : plus de 820 000 naissances par an. C’est une chance pour notre pays. Mais si l’on rapproche ce chiffre du taux d’emploi des femmes, on réalise combien les freins à l’emploi des femmes persistent.
Lorsque les enfants sont jeunes, les problèmes de garde sont très aigus et les femmes pénalisées dans leur accès à l’emploi. L’offre de garde d’enfants est donc un enjeu central de la politique familiale.
Le constat est simple : en France, seulement un enfant de moins de trois ans sur deux peut bénéficier d’un accueil. Dans certains départements, c’est beaucoup moins. Dans certains quartiers défavorisés, dans certaines zones rurales, c’est moins encore !
À la fin de l’année 2009, sur cent enfants de moins de trois ans, vingt-sept pouvaient être accueillis par un assistant maternel, quatorze par un établissement d’accueil du jeune enfant, cinq par une école maternelle et deux, ou presque, par un salarié à domicile. Tels étaient les ordres de grandeur : pour cent enfants, la capacité d’accueil théorique s’élevait à environ quarante-huit places.
Depuis 2007, les modes de garde ont connu des évolutions contrastées. En matière d’offre individuelle, si le nombre de places de garde chez les assistants maternels a augmenté, le développement des maisons d’assistants maternels reste insuffisant.
En matière d’offre collective, les structures multi-accueil affichent une progression, mais les structures mono-accueil régressent, tout comme le nombre de places offertes par les services d’accueil familial.
Il est vrai que des places nouvelles ont été créées, mais, au même moment, les places réservées aux moins de trois ans ont été supprimées dans les écoles maternelles. En 2000, plus d’un tiers des enfants de moins de trois ans étaient accueillis en maternelle. En 2010, ils n’étaient plus que 13 %. Nous sommes passés de 178 300 enfants accueillis en maternelle à la fin de 2006 à 123 200 à la fin de 2009… Voilà, mes chers collègues, qui est en totale contradiction avec les efforts annoncés pour favoriser l’accueil des jeunes enfants !
Nous avons pourtant tellement besoin de l’école maternelle. D’ailleurs, je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Françoise Cartron, qui, jeudi dernier, a présenté au nom du groupe socialiste-EELV une proposition de loi visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans.
Je l’affirme : l’école maternelle est un bienfait pour nos enfants, particulièrement dans les quartiers sensibles. Pas simplement parce qu’elle est gratuite, mais parce qu’elle répond à une demande sociale et à une nécessité pour notre pays.
Les parents des milieux défavorisés sont confrontés à des difficultés de plus en plus lourdes, économiques, sociales et psychologiques. La prise en charge collective des enfants à l’âge des premiers apprentissages n’est pas une dépense supplémentaire, mais une aubaine, une chance, un investissement pour l’avenir !
Le recul de l’accueil en école maternelle annule, dans les faits, les progrès accomplis en matière de développement de l’offre de garde des jeunes enfants. Au total, nous sommes très loin des 200 000 places supplémentaires promises par le Président de la République.
De surcroît, d’importants chantiers restent à mener. Je pense en particulier à la revalorisation des professions de la petite enfance, qui passe par l’accroissement de l’offre de formation des professionnels et le renforcement du pilotage de l’offre de garde, qui est aujourd’hui très insuffisante.
C’est le contraire de la politique que vous menez ! Les professionnels se sont émus à juste titre de l’abaissement du taux d’encadrement et de l’augmentation du nombre d’enfants autorisés par assistante familiale.
Oui, la politique familiale doit franchir une nouvelle étape et s’appuyer sur un véritable service public de la petite enfance !
La crise économique que nous traversons et le déficit que vous avez creusé contraignent la réforme ; il serait irresponsable de l’ignorer. Mais une nouvelle étape de la politique familiale doit être franchie, car la demande sociale a profondément évolué.
Devant la multiplication des séparations, le nombre croissant de familles monoparentales et recomposées ainsi que les conséquences qui en résultent pour les enfants et la société en général, nous devons élaborer de nouvelles solutions pour aider l’enfant à se développer et le couple parental à mieux exister.
Les familles monoparentales – le plus souvent des mères seules – ont non seulement besoin d’aides financières plus importantes que les autres, mais aussi d’un accompagnement vers l’emploi et d’un soutien plus grand pour l’organisation de la vie familiale, notamment pour la garde des enfants.
À ce sujet, je dois dire que le rapport du groupe de travail « famille », présenté en juillet dernier par deux députés de l’UMP, montre une nouvelle fois que, malheureusement, certains restent aveuglés par des principes d’un autre âge. Autant je partage le diagnostic sur la « fragilité croissante des couples et des familles et la “monoparentalisation” de la pauvreté », qui ont un coût social, autant je trouve que la réponse proposée par vos collègues du groupe de l’UMP de l’Assemblée nationale est empreinte de vieux clichés.
Certes, nous devons prendre acte des conséquences sociales des instabilités familiales et de la nécessité d’aider les couples à durer. La stabilité des couples nous intéresse. C’est un sujet de fond, dont il faut se préoccuper. J’y suis pour ma part très sensible. Mais s’il faut soutenir les initiatives destinées à aider les couples – conseil conjugal, médiation familiale, groupes de parole –, l’État n’a pas à imposer une forme de conjugalité. Au contraire, il faut rapprocher les différentes formes de conjugalité – PACS, mariage, union libre – et leurs régimes fiscaux.
Le rapport Grommerch-Mariton réaffirme son attachement au système actuel, construit autour de la notion de « foyer fiscal », qu’il propose même de renforcer.
Pour ma part, je suis intimement convaincue qu’il faut à l’inverse repenser le système du point de vue des individus. Dans le cadre de cette individualisation, il faudra reconsidérer le quotient familial, afin que les aides aux familles puissent être versées sous forme d’un crédit d’impôt forfaitaire par enfant. À mes yeux, un tel dispositif serait plus juste que le quotient familial, car il ne pénaliserait pas les classes populaires et moyennes. Il aurait également le mérite de préserver l’universalité des allocations familiales tout en réglant les problèmes de leur fiscalisation et de leur attribution dès le premier enfant.
Cette réforme aurait l’énorme avantage de permettre le passage d’une logique de réparation, dominée par un soutien financier aux familles pour compenser le coût de l’enfant, à une stratégie d’investissement social centrée sur des prestations de services au profit de l’enfant et de son développement.