Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 28 novembre 2011 à 15h10
Loi de finances pour 2012 — Solidarité insertion et égalité des chances

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet, rapporteur spécial de la commission des finances :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » rassemble des programmes hétéroclites : lutte contre la pauvreté, actions en faveur des familles, handicap et dépendance, égalité entre les hommes et les femmes ou encore un programme « support » des ministères sociaux.

Cette variété nous montre en réalité la diversité des situations de fragilité et de détresse sociale auxquelles la puissance publique doit apporter son secours. Je dis bien « puissance publique », car l’intervention de l’État, qui n’est d’ailleurs pas entièrement comprise dans cette mission, est complétée, parfois suppléée, par les organismes de sécurité sociale, les collectivités territoriales ou même des acteurs privés. La vision que nous offre la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » n’est donc pas exhaustive.

Cette mission comprend 12, 75 milliards d’euros de crédits de paiement, parmi lesquels 11 milliards d’euros, soit près de 90 %, sont des dépenses d’intervention, pour la plupart des dépenses des guichets : le RSA activité, l’allocation aux adultes handicapés, l’allocation supplémentaire d’invalidité, etc.

Au-delà du budget, l’État met également en œuvre une politique fiscale de solidarité. Les dépenses fiscales rattachées à la mission représentent un coût de 12, 5 milliards d’euros, soit un montant quasi équivalent à celui des crédits. Nous examinons par conséquent une politique publique dont le substrat est autant budgétaire que fiscal.

À cet égard, nous disposons désormais du rapport de l’Inspection générale des finances sur l’évaluation des dépenses fiscales, dit rapport Guillaume. Or nous constatons que, sur trente-deux niches étudiées, dix-huit sont notées 0 ou 1, pour un montant total de 9 milliards d’euros.

En réalité, les dispositifs se sont empilés, sans cohérence et sans réflexion d’ensemble. Il est regrettable, compte tenu de l’état de nos finances publiques, que les outils fiscaux en matière sociale n’atteignent pas ou mal leur objectif.

La solution de facilité serait bien sûr de trancher d’un coup net, définitif, ce nœud gordien et de supprimer ainsi l’ensemble des niches jugées inefficaces. Pourtant, je ne crois pas à cette solution. Le droit fiscal est constitué d’un embrouillamini de dispositions qui supportent mal toute révolution en forme de big-bang. Appliquée aux dépenses fiscales de solidarité, une telle méthode aurait des conséquences désastreuses avec des effets de bord qui léseraient de nombreux foyers fragiles.

Avant toute chose, nous devons affiner le diagnostic et avoir une vision exhaustive de nos dispositifs d’aide, qu’ils soient sociaux, budgétaires ou fiscaux, et cela pour chaque catégorie de bénéficiaires : les familles, les personnes âgées, handicapées ou invalides. Nous devrons tendre vers deux objectifs : assurer un montant de redistribution au moins équivalent à celui d’aujourd’hui – et encore, nous constatons, au quotidien, qu’il est bien insuffisant – et assurer une plus grande redistributivité des mécanismes fiscaux.

J’en viens maintenant aux considérations plus strictement budgétaires.

Je l’ai dit, la mission rassemble plus de 12, 75 milliards d’euros de crédits de paiement, ce qui représente une hausse de 3, 14 % par rapport à l’an passé. En réalité, cette augmentation résulte du très fort dynamisme de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, en hausse de 6 %, et dissimule la réduction, souvent inappropriée, des dotations des autres programmes.

Je me limiterai ici à quelques rapides observations.

Le programme « Lutte contre la pauvreté : revenu de solidarité active et expérimentations sociales » porte, à titre principal, la dotation d’équilibre du Fonds national des solidarités actives, le FNSA, qui finance le RSA activité, c’est-à-dire le complément de revenus versé aux « travailleurs pauvres ». Eh oui, aujourd’hui, dans notre pays, une activité salariée ne protège ni de la pauvreté ni de la précarité !

Par le passé, du fait d’une lente montée en charge du RSA activité, le FNSA a accumulé les excédents de trésorerie, jusqu’à 1, 3 milliard d’euros à la fin de 2010.

Pour 2012, la dotation du fonds est fixée à 535 millions d’euros, contre 700 millions d’euros en 2011. Néanmoins, sa trésorerie devrait toujours s’établir autour de 488 millions d’euros à la fin de 2011 et de 277 millions d’euros à la fin de 2012.

Par conséquent, je n’ai pas d’inquiétude sur la dotation destinée à financer le revenu de solidarité active, le RSA. Je regrette simplement que l’État accumule les excédents sur le RSA activité pendant que les départements ont de plus en plus de mal à financer le RSA socle et les dispositifs d’insertion qui en sont le corollaire indispensable.

Les années passées, le Gouvernement a profité des excédents disponibles du FNSA pour financer la prime de Noël. Celle-ci devrait être inscrite de manière pérenne dans le budget, ce qui serait plus conforme aux règles budgétaires et qui, de surcroît, permettrait de lever l’hypocrisie selon laquelle la prime ne serait qu’un dispositif exceptionnel, alors même qu’elle a été renouvelée chaque année depuis 1998.

Le prochain collectif budgétaire devrait néanmoins nous apporter pleinement satisfaction puisque le Gouvernement a enfin décidé de pérenniser la prime de Noël. Je regrette simplement que cette dépense passe par l’intermédiaire du FNSA, alors qu’elle devrait relever du budget de l’État. Il manquera d’ailleurs au moins 80 millions d’euros pour financer la prime de Noël de 2012. Madame la ministre, comment comptez-vous remédier à cette difficulté ?

En ce qui concerne le programme « Actions en faveur des familles vulnérables », je constate une absence de dotation du Fonds national de financement de la protection de l’enfance, le FNPE, laissant les conseils généraux supporter une charge croissante en matière d’aide sociale â l’enfance. Une fois de plus, le Gouvernement marque son refus d’appliquer les obligations issues de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Combien de fois encore faudra-t-il que l’État soit condamné pour qu’il assume ses responsabilités ?

Par ailleurs, le programme porte, très majoritairement, des crédits destinés à financer la protection juridique des majeurs, à hauteur de 216 millions d’euros. Nous aurons bientôt l’occasion d’étudier en détail ce chapitre lors de la présentation d’une enquête que la Cour des comptes vient de remettre à notre commission.

En ce qui concerne le programme « Handicap et dépendance », le plus important de la mission, les crédits de l’AAH représenteront, en 2012, la somme substantielle de 7, 5 milliards d’euros. Et encore, il devrait manquer près de 200 millions d’euros à la fin de l’année ! Nous savons que cette dépense progresse de près de 8 % par an sous l’action d’un « effet-prix », la revalorisation du montant de l’AAH de 25 % sur cinq ans, et d’un « effet-volume », la hausse du nombre de bénéficiaires, qui est, en réalité, mal comprise.

Le Gouvernement nous annonce son intention de réaliser 100 millions d’euros d’économies sur cette prestation. J’en prends acte, mais permettez-moi d’en douter ! En commission, nous nous sommes notamment interrogés sur les modalités d’harmonisation des pratiques des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH. Combien de personnes vont-elles être exclues de l’allocation aux adultes handicapés de ce fait ?

Sur un tout autre sujet, je note avec satisfaction la création de 1 000 places dans les établissements et services d’aide par le travail, ESAT, à compter du 1er décembre 2012. Je reste néanmoins inquiet car je sais que certaines places demeurent inoccupées faute de moyens de transport appropriés. Madame la ministre, comment pourrions-nous agir pour remédier à ces difficultés que rencontrent au quotidien les familles concernées ?

Quant au programme « Égalité entre les hommes et les femmes », il n’est, à mon sens, pas réellement à sa place dans cette mission. La politique d’égalité entre les hommes et les femmes relève non pas d’une logique de solidarité, mais d’un véritable projet de société ! Je note d’ailleurs avec regret que vous n’avez pas cru bon de maintenir un secrétariat d’État dédié.

L’examen des crédits confirme que cette politique ne constitue plus l’une de vos priorités puisque vous avez réduit la dotation du programme de 5 %. Est-ce bien à la hauteur de l’engagement nécessaire sur un sujet aussi fondamental que celui de la condition féminine ?

À qui cet argent va-t-il manquer ? Aux associations ! Ce sont les rouages essentiels de cette politique sur le terrain au quotidien. Les chargées de mission départementales et régionales, prises dans le rouleau compresseur de la RGPP, vont également se sentir bien seules. Notre collègue de la commission des finances Michèle André pourrait en dire long à ce sujet.

Bref, vous avez choisi de faire des économies de bout de chandelle, qui représentent un peu plus de 1 million d’euros. Il faut craindre que, in fine, cette charge doive être assumée par les collectivités territoriales, dont vous réduisez par ailleurs les budgets, si nous voulons maintenir l’activité de ces indispensables associations.

Enfin, en ce qui concerne le programme support « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative », je me limiterai à une observation.

Les crédits de personnel représentent 1, 2 milliard d’euros, en baisse de près de 5 %. Le Gouvernement nous vante régulièrement les mérites du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, qui est effectivement mis en œuvre. Mais, en l’espèce, la diminution des crédits s’explique surtout par le transfert de personnels vers d’autres missions du budget général et non par la maîtrise de la dépense.

En conclusion, je constate, d’abord, que l’État accumule des excédents sur le RSA pendant que les départements ont de plus en plus de mal à financer leurs dépenses sociales et d’insertion.

Ensuite, le Gouvernement refuse délibérément de doter le FNPE et, là encore, fait peser sur les départements une charge croissante en matière d’aide sociale à l’enfance.

Par ailleurs, la politique du handicap fait l’objet d’un effort, certes méritoire, de budgétisation par rapport aux années passées, mais nous savons déjà qu’il ne sera pas suffisant.

Enfin, en matière d’égalité entre les hommes et les femmes, les choix d’économies sont dérisoires au regard du déficit public, mais particulièrement brutaux pour les associations concernées.

Pour l’ensemble de ces raisons, je ne peux adhérer au budget qui nous est proposé : il reflète une politique qui prend insuffisamment en compte nos concitoyens parmi les plus fragiles et les plus modestes dans un contexte de crise aggravée, que nous ne manquons pas d’évoquer ici même régulièrement.

Mes chers collègues, la commission des finances vous propose de rejeter les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » et d’adopter, sans modification, les articles rattachés 61 et 61 bis. §

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