Intervention de Jean Desessard

Réunion du 28 novembre 2011 à 15h10
Loi de finances pour 2012 — Solidarité insertion et égalité des chances

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

Savez-vous que, sans toutes les baisses d’impôt accordées en France depuis 2000 par la droite, le déficit de la France serait seulement de 1 % aujourd’hui ? Ce n’est pas moi qui le dis, mais des parlementaires de l’UMP dans un rapport qu’ils ont publié en juillet 2010 !

Avec les 100 milliards d’euros par an que représentent ces baisses, nous aurions largement les moyens de mettre en place un RSA digne de ce nom et d’entamer une reconversion vers une économie durable. Vous allez me dire, madame la ministre, que c’est là un autre sujet, mais dois-je vous rappeler que le RSA a été voté en même temps que le bouclier fiscal ? Et que l’on ne me dise pas qu’une telle fiscalité pénaliserait l’économie puisqu’elle était de mise en 2000 et que personne n’y trouvait alors à redire !

Par ailleurs, le RSA mériterait d’être revu à la hausse non seulement quantitativement, mais aussi qualitativement, car, depuis le début, il ne permet pas de remplir la mission qui est la sienne. La réalité, madame la ministre, c’est que la mise en œuvre du RSA pose d’immenses problèmes. Le bilan n’est pas bon.

Il y a trois ans, je craignais déjà que cette idée juste ne serve de caution à une politique profondément inégalitaire et que ses effets pervers ne trahissent l’intention louable initiale de M. Hirsch. J’avais alors dit qu’il s’agissait d’un bon concept dans un mauvais contexte.

J’avais expliqué que M. Hirsch avait eu l’intelligence de produire un concept d’assistance dynamique, mais que, compte tenu de la politique menée par le Gouvernement, le RSA ne pouvait être au mieux qu’un palliatif. Il ne constituait pas l’ébauche d’une politique de solidarité, de partage du travail, de justice sociale.

Je soulignais également les effets collatéraux d’un RSA mal mis en œuvre. J’indiquais en particulier qu’il contraindrait ses bénéficiaires à accepter des conditions de travail pénibles, des horaires décalés. Le problème du RMI était qu’il n’incitait pas au retour à l’emploi. Le problème du RSA est qu’il contraint les allocataires à accepter le premier travail venu, parce que « c’est déjà ça ». Toutefois, pour la plupart des allocataires, le petit boulot, les quelques heures effectuées par-ci par-là ne se muent pas en poste à plein temps. Le travailleur pauvre reste un travailleur pauvre.

Ainsi, aucun des objectifs que visaient à atteindre le RSA et son initiateur n’est atteint pour la majorité des allocataires. Pour mémoire, je vais vous les rappeler, en m’appuyant sur l’excellent rapport coordonné par les sociologues Dominique Méda et Bernard Gomel en novembre 2011.

Le premier objectif était de faire en sorte que chaque heure travaillée améliore le revenu final afin que la majorité des bénéficiaires du RSA puisse retrouver un revenu décent. Résultat aujourd'hui : « La grande partie des allocataires se rend compte que pour elle rien n’a changé et qu’elle doit continuer à tenter de survivre avec 467 euros par mois pour une personne seule. S’agit-il vraiment de moyens convenables d’existence? », s’interrogent les deux experts.

Le deuxième objectif était de garantir aux allocataires que, en cas de travail discontinu, leurs ressources globales leur permettraient de franchir le seuil de pauvreté. Résultat aujourd'hui : la lourdeur administrative, le manque de moyens de Pôle emploi, ainsi que des procédures inadéquates, telles que la déclaration trimestrielle, que je dénonçais déjà en 2008, favorisent des ruptures administratives lourdes à contrecarrer pour des personnes qui sont déjà en rupture de ban et financièrement très fragilisées.

Le troisième objectif était de permettre aux familles de disposer de revenus plus prévisibles en rendant le système plus lisible pour tous et en évitant les effets de seuil du RMI. Dès qu’il retravaillait, le bénéficiaire du RMI perdait la plupart de ses allocations. Résultat aujourd'hui : « il semble que les effets de seuil n’ont pas été supprimés mais simplement déplacés [...] », concluent les sociologues.

Le constat est sévère. Les crédits que nous examinons aujourd’hui auraient dû être à la hauteur du défi. Ils ne le sont pas.

Je n’évoquerai même pas le RSA jeunes lancé quelque temps plus tard : le résultat est carrément désastreux. Comme nous l’a indiqué Mme la rapporteure pour avis, à peine 10 000 jeunes en bénéficient. Et pour cause : il est quasiment impossible d’y accéder, car il faut avoir travaillé deux années pleines au préalable. C’est une blague ! Le résultat était couru d’avance.

Pour faire face à l’exclusion des jeunes, en particulier de ceux ayant déjà un pied dehors, il faudrait revoir complètement le dispositif et permettre à tous, dès l’âge de dix-huit ans, de pouvoir accéder dans les mêmes conditions à un revenu garanti. Nous vous l’avions dit, mais vous ne nous avez pas écoutés.

Nous sommes très déçus, madame la ministre, et surtout profondément inquiets. Quand la cohésion sociale sera détruite, il sera trop tard, en tout cas pour celles et ceux qui en auront le plus subi les dommages, c'est-à-dire les plus pauvres.

Chers collègues, vous qui aimez tant les expériences internationales, n’oubliez pas le cas significatif du Brésil : ce n’est pas en imposant des mesures d’austérité, ce n’est pas en mettant en œuvre des politiques de défiscalisation en faveur des plus riches que l’économie de ce pays a décollé. C’est en revalorisant les salaires et en instaurant des prestations sociales que les Brésiliens ont pu relever la tête et se prendre en main.

Qu’attendez-vous, qu’attendons-nous, madame la ministre, pour tirer les leçons d’expériences qui ont permis à tous de réagir ensemble ?

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre les mesures insuffisantes et parfois dangereuses proposées dans cette mission, à l’exception, comme l’indiquait Mme la rapporteure pour avis, des articles 61 et 61 bis, aussi insuffisants soient-ils.

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