Intervention de Yves Krattinger

Réunion du 28 novembre 2011 à 22h15
Loi de finances pour 2012 — Compte d'affectation spéciale : gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien

Photo de Yves KrattingerYves Krattinger, rapporteur spécial :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, dans le présent projet de loi de finances, les crédits de la mission « Défense » s’élèvent à 38, 3 milliards d’euros en crédits de paiement et à 40, 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement, pensions militaires comprises. Toutefois, comme l’avaient déjà craint les rapporteurs spéciaux de la commission des finances les années antérieures, nous nous éloignons progressivement des objectifs fixés par la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014.

Selon le ministère de la défense lui-même, 2 milliards d’euros de crédits de paiement devraient manquer entre 2009 et 2013 par rapport à la loi de programmation militaire, sous l’effet notamment du plafonnement de l’évolution des crédits dans la loi de programmation des finances publiques.

La trajectoire des dépenses militaires n’est pas satisfaisante. Compte tenu de la dynamique inhérente aux crédits de fonctionnement, notamment de personnels, ce sont les grands équipements, hors dissuasion nucléaire, qui seront le plus durement touchés. Entre 2010 et 2013, ils devraient s’établir à un niveau inférieur de 2, 7 milliards d’euros par rapport à la loi de programmation militaire.

En cette fin d’année 2011, les dotations du budget de la défense seront pour la première fois complétées par des recettes exceptionnelles issues de la cession de fréquences hertziennes qui étaient utilisées par nos armées. Cette solution palliative ne constitue pas une politique viable. Comme l’avait déjà dit votre commission des finances lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire, il existe un risque majeur qui est double.

Le premier est que ces fréquences ne soient pas ou pas totalement cédées, ou encore pas pour le montant espéré, créant ainsi un grave manque à gagner.

Le second est qu’elles soient effectivement cédées, mais qu’une partie de ces recettes soit, par obligation budgétaire, affectée au désendettement de l’État et non à l’atteinte des objectifs de la loi de programmation militaire.

En 2008, le Livre blanc avait fixé des objectifs à l’horizon 2020 établis sur la base d’une croissance en volume des dépenses de 1 % par an. Or la programmation révisée des finances publiques a retenu le principe d’un gel en volume des crédits de paiement de la mission « Défense », méconnaissant les coûts de la modernisation technologique des équipements.

Si l’on prend comme hypothèse une évolution des dépenses militaires sur une base zéro volume ou sur une base zéro valeur encore plus restrictive, il manquerait de 10 milliards à 30 milliards d’euros pour les dépenses cumulées de la défense jusqu’en 2020 par rapport aux objectifs du Livre blanc.

À cet égard, en première délibération, puis en deuxième délibération, l’Assemblée nationale a réduit de quelque 280 millions d’euros les crédits de la mission « Défense », dans le cadre des mesures d’économies annoncées par le Premier ministre le 24 août, puis le 7 novembre 2011. Ces sommes représentent près de 1 % des crédits de la mission, hors pensions.

En volume, aucune autre mission n’a vu ses crédits aussi fortement réduits. Non seulement les objectifs de la loi de programmation militaire ne sont pas atteints, mais l’examen des crédits à l’Assemblée nationale a conduit à aggraver encore un peu plus la situation budgétaire du ministère de la défense.

Dès aujourd’hui, le ministère de la défense avoue ne plus être en mesure d’assurer une pleine capacité de projection de nos troupes terrestres à hauteur de 30 000 combattants pendant un an, sans relève. L’indicateur de performance associé à cet objectif s’élevait à 100 % en 2009, avant de baisser à 95 % lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010 et de diminuer encore, suivant la prévision pour 2012, à 82, 5 %.

Face à cette limitation des crédits budgétaires, les choix du Gouvernement ne sont pas satisfaisants. Selon des demandes de crédits complémentaires faisant actuellement l’objet d’un décret d’avance, les opérations extérieures ou OPEX doivent atteindre un montant record de 1, 17 milliard d’euros en 2011, dont 294 millions d’euros en crédits de paiement et 370 millions d’euros en autorisations d’engagement pour l’opération « Harmattan » en Libye. Au total, le surcoût des OPEX en 2011 aura été multiplié par deux et demi depuis les années 2000-2001.

Quelle est notre capacité réelle à mener à bien ces opérations ? Une question fait aujourd’hui débat : devons-nous adapter notre format à nos ambitions ou nos ambitions à nos capacités réelles ?

Par ailleurs, seize Rafale, et non plus treize comme prévu lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, doivent être commandés par l’État pour pallier le faible niveau d’exportation de cet avion. Au total, ces seize appareils représentent une dépense de plus de 1 milliard d’euros, qui s’impute sur les autres dépenses d’équipement. Pourrons-nous, devrons-nous tenir ce niveau de commande si le marché mondial nous reste fermé ?

Pourtant, certains programmes ne peuvent plus attendre si l’on veut maintenir les capacités opérationnelles de notre pays. Je pense en particulier à l’hélicoptère NH90, à la Frégate multimission ou FREEM et au sous-marin nucléaire d’attaque Barracuda. Ces programmes doivent être menés essentiellement après 2014. Tout indique que les menaces budgétaires, en l’absence probable de ressources exceptionnelles hertziennes après cette date, conduiront à de cruels réexamens.

Lors de la discussion des amendements, je reviendrai sur la nécessité pour notre pays de se doter d’un programme de production de drones, à l’instar de tous les autres grands pays industrialisés.

Dans ce contexte, j’estime que d’autres choix sont possibles. Que penser des externalisations conduites par le ministère de la défense et épinglées dans le rapport annuel 2011 de la Cour des comptes ? Certaines opérations d’externalisation présentent un rapport bénéfices/coûts négatif, d’autres touchent le cœur même de métier de notre armée.

Que penser du montage financier du regroupement sur un même site des fonctions d’état-major à Balard ? Conçu sur le modèle du Pentagone, ce projet donnera lieu à un investissement par le promoteur retenu à hauteur de 700 millions d’euros, tandis que l’État doit verser 4, 2 milliards d’euros dans le cadre d’un partenariat public-privé qui s’étalera sur vingt-sept ans. Or le regroupement des fonctions d’état-major aurait pu être moins ambitieux, s’inspirant de l’exemple britannique et non du Pentagone américain.

Je me veux, enfin, le relais des inquiétudes qui s’expriment, sur l’ensemble de notre territoire, face à de lourdes opérations de restructuration.

Le 21 juin 2011, le Gouvernement a annoncé la mise en place de cinquante et une bases de défense. Mais a-t-on mené la nécessaire concertation préalable avec nos soldats et les élus locaux ? Y a-t-il eu une étude d’impact sur les conséquences économiques, sociales et territoriales ? Comment le Gouvernement chiffre-t-il les économies attendues ? J’espère, monsieur le ministre, que le débat budgétaire sera l’occasion d’obtenir des réponses à ces questions.

Au regard de ces critiques, mais prenant en compte l’engagement de nos armées sur les théâtres d’opérations extérieures, vous comprendrez donc, mes chers collègues, pourquoi la majorité des sénateurs s’est abstenue en commission des finances sur le vote des crédits de la mission « Défense », ainsi que du compte d’affectation spéciale « Gestion et valorisation des ressources tirées de l’utilisation du spectre hertzien ».

Pour ma part, je m’abstiendrai à nouveau lors du vote en séance publique, en appelant de mes vœux une révision de certains choix effectués par l’actuelle majorité nationale, à l’occasion de la révision de la loi de programmation militaire prévue en 2012. Il convient, en effet, d’assurer une croissance des dépenses de la mission « Défense » d’au moins 1 % par an jusqu’à l’horizon 2020 fixé par le Livre blanc, pour seulement maintenir le niveau de personnels et d’équipements.

Je tiens à saluer l’effort de nos soldats à la défense de notre pays, mais il faut donner à notre sécurité nationale des moyens à la hauteur de nos ambitions. Si nous continuons à appliquer la règle de la croissance zéro volume, la part de la défense nationale dans le PIB va progressivement descendre à 1 % d’ici à 2020, c’est-à-dire le ratio des forces armées d’autodéfense japonaise, alors que le Japon a un PIB qui est plus de deux fois supérieur au nôtre !

Je souhaite, pour ma part, délivrer un message d’ambition et d’espoir, au regard de la place qu’occupe notre pays sur la scène internationale en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, doté du droit de veto.

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