Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 28 novembre 2011 à 22h15
Loi de finances pour 2012 — Compte d'affectation spéciale : gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

Il serait injuste, monsieur le ministre, de prétendre que vous n’avez pas cherché à préserver l’enveloppe de crédits de la défense, en principe garantie par la loi de programmation militaire.

Le budget que vous nous présentez se situe, cependant, sensiblement en dessous de ces enveloppes : abattements budgétaires, surcoûts des OPEX, opération Harmattan, qui se chiffre à 1, 308 milliard d’euros, financement de la taxation interministérielle à la suite de la condamnation de Thales, surcoûts de la transition liée à la transformation des armées, épuisement des reports de crédits, retard des recettes exceptionnelles.

Je suis d’abord conduit à vous poser la question de savoir si la clause de sauvegarde prévue par la loi de programmation militaire pour les OPEX va être activée et à quelle hauteur. À défaut, il serait temps de mettre un terme à la dérive expéditionnaire, mais c’est un vaste sujet.

Je m’inquiète, ensuite, des réductions de crédits qui affectent le maintien en condition opérationnelle des hommes, dont je tiens à saluer la valeur. Mais celle-ci ne saurait compenser le défaut d’entraînement. Comme l’a déclaré l’Amiral Guillaud dans une expression toute en litotes : « La nouvelle trajectoire financière […] en retrait par rapport à celle prévue par la loi de programmation militaire […] nous a conduits à accentuer la préparation opérationnelle différenciée, en nous efforçant d’éviter l’écueil d’une armée à deux vitesses. »

C’est la cohérence de l’outil qui est en jeu. Ainsi, le nombre de journées de préparation et d’activité opérationnelles dans l’armée de terre passe de 120 jours en 2010 à probablement 105 jours en 2013, selon les déclarations du chef d’état-major de l’armée de terre, s’éloignant ainsi de la cible des 120 jours.

S’agissant de l’équipement des forces, il y aurait beaucoup à dire. Il faut noter l’entrée en service de matériels majeurs. Je rappelle cependant que l’entretien programmé des matériels est une priorité et qu’il est préoccupant de voir retarder la rénovation à mi-vie du Mirage 2000-D, la livraison des A-400 M et l’étalement de la livraison des avions multiravitailleurs MRTT. Pour l’armée de terre, je vous donne acte de la commande du lance-roquettes unitaire, c’est un bon point.

S’agissant de la direction générale de l’armement, la DGA, je tiens à saluer la manière dont elle s’acquitte de sa mission de préparation de l’avenir.

Essayons de voir, justement, ce que nous réserve l’avenir.

Les États-Unis se désinvestiront de plus en plus de l’Europe. Ils s’engagent en Asie et dans le Pacifique. J’observe l’extension rapide des incertitudes et même des « trous noirs » en Asie de l’Ouest et en Afrique : Afghanistan, Pakistan, Iran, Syrie, Yémen. Les révolutions démocratiques dans les pays arabes démontrent la puissance des courants islamistes dans les sociétés. Ce qui se passe en Égypte, en Tunisie, au Maroc et au Sahel nous concerne directement.

L’évolution du contexte géostratégique doit nous conduire à redéfinir nos priorités en matière d’équipements. Plus que jamais, la fonction connaissance et anticipation est décisive. Il faut donc donner une claire priorité aux moyens de renseignement. À cet égard, l’éloignement dans le temps du lancement du satellite CERES, dont plusieurs rapporteurs se sont inquiétés, est fâcheux. Peut-être s’agit-il d’une question d’appellation ? §

S’agissant de la dissuasion, il serait irresponsable de ne pas continuer un effort dont la valeur tient à son inscription dans la durée. Enfin, il faut le dire, il est temps de mettre un terme aux réductions de format des armées. L’effort de défense de la France est très sensiblement inférieur à l’objectif de 2 % du PIB pris, en 2007, par Nicolas Sarkozy, alors candidat à l’élection présidentielle.

Le maintien nécessaire de notre effort de défense se télescope avec la crise qui secoue la monnaie unique, qu’on décrit de manière réductrice comme une crise de la dette alors que c’est d’abord une crise politique, une crise de conception. Mal pensée, la monnaie unique, loin d’unir les nations, les divise. Or, en Europe, la position de la France s’est détériorée. Le président du groupe CDU-CSU a déclaré récemment au Bundestag : « L’Europe s’est mise à parler allemand ! »

Un ministre de la défense, soucieux de l’avenir de son budget, ne peut pas ignorer ce que préparent, par ailleurs, Mme Merkel et M. Sarkozy. Chacun sait que celui-ci est engagé dans une négociation où l’Allemagne entend imposer aux autres États de la zone euro un strict contrôle de leur budget par les institutions européennes qu’elle influence fortement. On entend parler de noyau dur, avec une monnaie encore plus surévaluée. M. Sarkozy a proposé une « règle d’or », en fait d’airain, pour supprimer, les déficits. Des dispositions coercitives seraient mises en œuvre par la Commission européenne. M. Barroso vient de déposer des projets de règlement d’où il résulte que, désormais, les pays de l’Union monétaire devront soumettre leurs projets annuels de budget à la Commission et à l’Eurogroupe avant le 15 octobre de l’année précédant l’exécution du budget. Si un projet de budget ne respecte pas les exigences du pacte de stabilité et de croissance, qui interdit un déficit supérieur à 3 % du PIB, ce qui est aujourd’hui le cas de la France, la Commission aura le droit de donner son avis et de demander des changements.

Je passe sur les autres propositions, notamment sur l’institution de conseils budgétaires indépendants. C’est le début de ce qu’Hubert Védrine a appelé l’Europe post-démocratique. Des dirigeants politiques élus sont écartés au profit de véritables gouverneurs technocrates européens, non élus mais formatés dans le moule de dogmes obsolètes !

Revenons à la mission « Défense ». Tout cela est très inquiétant, monsieur le ministre, pour l’avenir de la programmation militaire. Comment le budget militaire ne serait-il pas impacté non seulement par la récession qui s’annonce et par les resserrements budgétaires que la pression des marchés financiers ne manquera pas de susciter, mais aussi par la contestation de l’arme nucléaire par l’Allemagne et par plusieurs autres pays européens, ralliés au pacifisme en même temps qu’à l’OTAN et à la garantie ultime des armes nucléaires américaines ? Mais vous savez très bien tout cela !

L’Allemagne, à laquelle les traités refusent l’accès aux armes nucléaires, voit dans la dissuasion française au mieux un anachronisme.

Les affaires de défense sont des choses trop sérieuses pour être laissées aux institutions européennes dont la logique, malgré les apparences, n’est pas technocratique, mais politique : c’est une logique d’empire et d’un empire où la France serait réduite à un rôle d’accompagnement. Je vous renvoie à un article, que je ne vous cite pas, car mon temps de parole s’épuise, de M. Westervelle paru dans Le Figaro du 20 novembre dernier.

Quel serait, dans cette perspective, l’avenir de notre dissuasion ? On ne l’imagine que trop bien.

La coopération franco-britannique, utile, ne dispensera jamais d’un effort propre très important, sanctuarisant les crédits de la dissuasion au sein d’un budget de la défense, lui-même protégé par une nouvelle loi de programmation.

Si l’Europe de la défense devait avoir un sens, il faudrait qu’il soit entendu que les dépenses militaires, en tout cas celles de la dissuasion, seront soustraites du calcul du déficit selon les règles du pacte de stabilité. De lourdes menaces se dessinent à l’horizon.

Je ne voterai pas contre les crédits de la mission « Défense », mais mon abstention, monsieur le ministre, traduira l’inquiétude que j’éprouve pour l’avenir de notre outil militaire dans le contexte des négociations européennes que M. Sarkozy a engagées avec Mme Merkel.

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