… et militairement la moins performante, et ce en connaissance des causes et des effets, à dessein, si j’ai bien compris, de permettre à un industriel national d’acquérir des compétences qu’il n’a pas, afin de forger plus tard le système d’armes dont notre pays aura besoin. Ce choix aurait eu toute sa justification il y a quinze ans. Mais, aujourd’hui, y a-t-il un marché en Europe pour ce type de drones ? Est-il sérieux de créer une filière industrielle pour sept exemplaires ?
La dotation aux armées des équipements dont elles ont besoin et qui est de votre responsabilité relève, selon le Livre blanc, de trois cercles d’appréciation : celui de la souveraineté nationale et, par là, de l’exclusivité industrielle nationale – c’est le prix de l’indépendance ; celui de la coopération avec d’autres pays ; enfin, celui de l’achat « sur étagère ».
Où se situent les drones MALE dans cette géométrie ? Certainement pas dans le premier cercle. La preuve, c’est que le Gouvernement a fait le choix de signer avec la Grande-Bretagne un accord qui comporte explicitement un partenariat dans ce domaine entre BAE et Dassault pour les années futures, et nous l’approuvons.
Cette décision n’était pas facile et je vous avais d’ailleurs indiqué à l’époque que, quelle qu’elle soit, elle prêterait à critique. Devant ce dilemme, je pense que vous avez fait prévaloir l’aspect industriel sur l’aspect opérationnel. Bref, vous vous êtes plus comporté en ministre de l’industrie – que vous avez été – qu’en ministre de la défense – que vous êtes.
Sur ce sujet des drones MALE, il faut reconnaître que, depuis un long moment, nous n’avons pas été bons : je pense à la DGA, à l’état-major, aux industriels, voire aux politiques. Mais aujourd’hui, l’urgence était de répondre au besoin opérationnel et de repousser les préoccupations industrielles à moyen terme. C’était tout à fait conciliable et financièrement avantageux, ce qui ne gâte rien en ces temps difficiles.
Lorsqu’on dispose en héritage d’une volonté historique, d’une base industrielle et technologique de défense qui est une des meilleures sinon la meilleure d’Europe, on peut et on doit y être attentif, et nous le sommes en général ; on nous le reproche parfois. Mais attention à ne pas en faire l’alpha et l’oméga d’une politique de défense, car cela peut être contraire à son intérêt !
Faut-il voir une application stricte de subsidiarité dans le choix de suppléer l’absence de commande des avions Rafale à l’export par une commande supplémentaire de l’État, ce qui est le cas cette année encore ? Cela a pour effet de désorganiser profondément la programmation d’ensemble du renouvellement des équipements. Je pense, entre autres, à la rénovation des Mirage 2000 D. Or il faut 10 millions d’euros pour rénover un Mirage 2000 D et dix fois plus pour acheter un Rafale. Cela est en contradiction avec la loi de programmation militaire, qui affichait la nécessité de ces deux avions pour l’armée de l’air. C’est encore un choix industriel, ce n’est pas un choix opérationnel.
Il arrive qu’on puisse atteindre les deux objectifs à la fois. Ce n’est pas simple et, si l’on y parvient, c’est évidemment satisfaisant pour tous. Nous pensons que, parfois, il faut dissocier les deux intérêts, et c’est le cas, à notre sens, pour le drone MALE, comme c’était le cas pour le missile successeur du Milan. Là, nous avons su traiter l’urgence opérationnelle – en achetant d'ailleurs du matériel américain – et préparer l’avenir industriel d’une nouvelle trame de missiles de courte et moyenne portée. Voilà pour la première réflexion.
La seconde tient à l’impression que l’actuel gouvernement serait tenté de réorganiser les entreprises industrielles de défense, avec pour objectif ultime d’aboutir à une organisation autour d’un producteur unique en matière d’équipements militaires.
Nous avons quelques exemples à l’esprit : lorsqu’il a fallu remplacer Alcatel-Lucent au capital de Thales et que l’État a fait opposition à l’entrée d’EADS ; nous avons de nouveau ce sentiment avec ce que l’on appelle pudiquement « la rectification de frontières » entre Thales et Safran, et ce n’est pas si simple, on le voit aujourd’hui.