Intervention de Didier Boulaud

Réunion du 28 novembre 2011 à 22h15
Loi de finances pour 2012 — Compte d'affectation spéciale : gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour, au nom de mon groupe, rendre un hommage tout particulier à l’ensemble de nos soldats ; nous avons une pensée spéciale pour ceux d’entre eux qui, cette année, ont fait le sacrifice de leur vie en Afghanistan.

Monsieur le ministre, le temps est venu de jouer cartes sur table. Les temps qui viennent seront difficiles pour le budget de la défense, comme pour l’ensemble des budgets.

Par conséquent, le Gouvernement serait bien inspiré de cesser de nous cacher la vérité – à nous, mais surtout aux militaires, qui ne sont plus dupes – en nous présentant des chiffrages fictifs, des programmations en trompe-l’œil, et en projetant d’année en année des ressources exceptionnelles dont tout le monde a compris qu’elles sont comme les mirages : elles s’éloignent au fur et à mesure que l’on croit s’en approcher.

C’est en réalité depuis 2002 que la défense fait l’objet d’une véritable fiction budgétaire. Et force est de constater que, depuis 2007, la situation ne s’est pas arrangée.

Hélas, mon propos n’est pas seulement partisan, tant l’inquiétude perce non seulement chez tous les parlementaires qui s’intéressent à ces questions, mais aussi chez les experts qui ne cessent de tirer le signal d’alarme : l’insincérité budgétaire nuit à la crédibilité militaire.

En 2012, notre pays devra faire des choix, trop longtemps repoussés, retardés ou ajournés, concernant nos équipements, nos matériels. Toutefois, si la dégringolade financière devait se poursuivre, la France serait contrainte une fois de plus de retoucher les formats, de revoir la carte militaire et, ainsi, de tailler dans nos capacités, ce qui est tout aussi grave.

Voilà l’héritage des gouvernements qui, depuis 2002, se succèdent, soutenus par une majorité docile.

Bien entendu, nous sommes tous conscients des difficultés financières, de « l’état de faillite » qu’aime à déplorer M. Fillon.

Mais je tiens à l’affirmer solennellement, pour le regretter : vos successeurs issus des élections de 2012, quels qu’ils soient, auront à prendre les décisions que vous aurez esquivées pendant dix années. Ce ne sera pas facile ; ce sera même probablement très douloureux.

Certes, les difficultés budgétaires ne concernent pas seulement la France. Si la Chine augmente encore et encore son effort de défense, elle constitue une exception, ou presque. Nous le savons, pour la première fois depuis trente ans, les États-Unis diminuent leur budget militaire, et ils ne le font pas en aveugles : ils opèrent des choix et rendent de vrais arbitrages. Ils ont ainsi décidé d’augmenter leurs dépenses d’investissement et de recherche, pour maintenir et même accroître leur avancée technologique sur les autres puissances.

Le Président de la République, pourtant si prompt d’ordinaire à emboîter le pas aux États-Unis, serait bien inspiré, cette fois, de suivre leur exemple.

Car, c’est le moins que l’on puisse dire, la situation en Europe n’est guère brillante. Tous les budgets sont à la baisse. Le Royaume-Uni et l’Allemagne, se refusant aux maquillages budgétaires dans lesquels nous sommes passés maîtres, ont annoncé publiquement une diminution – de 15 % pour le premier et de 14 % pour la seconde – de leur budget militaire, d’ici à 2014.

Pourtant, la réponse à nos problèmes devrait être européenne. Plus personne ne le conteste : une politique de défense et de sécurité exclusivement nationale n’a pas d’avenir.

Vue d’Amérique, l’Alliance atlantique n’a déjà plus l’importance qui fut la sienne au XXe siècle. Le redéploiement de la puissance militaire américaine épouse déjà les nouvelles lignes de ses intérêts stratégiques et commerciaux, ses intérêts de puissance, qui la mènent vers le Pacifique.

Or la politique en matière de défense européenne du Gouvernement français ne semble pas prendre en compte cette nouvelle donne : il semble qu’en dehors de l’OTAN et de la coopération franco-britannique, saupoudrée d’une bonne dose de suivisme à l’égard des États-Unis, il n’y ait point de salut !

Pour ma part, je considère que la France pourrait faire preuve de souci dans la recherche de compromis, d’un peu moins de naïveté et de plus d’imagination ; elle pourrait aussi marquer davantage de détermination dans la recherche de la construction européenne en matière de défense, dont on nous disait pourtant il y a peu qu’elle était l’un des deux points incontournables pour opérer le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN.

D’abord, la France doit faire preuve de plus de souci dans la recherche du compromis. Pour ce faire, n’aurait-il pas été judicieux, en matière de défense, d’avancer vers la réalisation d’un Livre blanc européen associant tous les partenaires, à tout le moins ceux qui le souhaitent, pour une meilleure coordination de la planification de la défense, de ses besoins et de ses moyens ?

Ensuite, la France doit faire preuve de plus d’imagination. En effet, nous ne saurions rester cantonnés à un mouvement binaire et alternatif, consistant à marcher tantôt avec les Allemands, tantôt avec les Britanniques ! Nous ne devons pas nous enfermer dans des coopérations bilatérales qui sont loin de faire progresser l’ensemble et cristallisent les rancœurs parmi les pays qui se sentent écartés.

Enfin, la France doit faire preuve de plus de détermination, d’une part, pour mener une politique européenne cohérente, capable d’articuler sécurité, défense et développement, en tirant le meilleur parti du traité de Lisbonne afin de faire avancer la politique de sécurité et de défense commune et, d’autre part, pour résoudre la question récurrente de la création d’un centre de planification et de commandement militaire pour les opérations de l’Union européenne.

Monsieur le ministre, vous êtes pleinement responsable du « faire » ou du « ne pas faire » de la France en la matière ; c'est la raison pour laquelle je vous pose les questions suivantes.

Premièrement, nous avons été informés des difficultés que rencontrait le commandant de l’opération Atalante à avoir suffisamment de bâtiments sur place dans la lutte antipiraterie ; nous connaissons également le manque d’effectifs des unités de police au Kosovo. Ces difficultés s’ajoutent à celles d’EUPOL en Afghanistan, qui ne datent pas d’hier. Quelles sont exactement ces difficultés, et que fait-on pour les résorber ?

Deuxièmement, le Parlement européen a pris acte, dans un rapport, des diminutions sans précédent opérées dans les budgets de la défense des États membres de l’Union européenne. Pour en compenser les effets, il propose une démarche comprenant une meilleure coordination de la planification de la défense, une harmonisation poussée des exigences militaires, la mise en commun et le partage de certaines fonctions et moyens, une coopération améliorée dans la recherche et le développement technologique, la collaboration et la consolidation industrielles, l’optimisation du processus de passation des marchés et la suppression des entraves au marché.

Vaste programme ! me direz-vous… Il n’empêche que je souhaiterais entendre vos suggestions d’action sur chacun de ces points.

Troisièmement, enfin, permettez-moi de vous poser une question liée à l’actualité.

Monsieur le ministre, je n’ai attendu ni les prises d’otages – qui, hélas, se multiplient – ni les retombées de la guerre en Libye : cela fait dix ans qu’en commission j’interroge et j’alerte les Gouvernements successifs sur la dégradation de la situation au Sahel. Pourtant, je n’ai jamais eu que peu de réponses ; je n’ai parfois même pas eu de réponse du tout, alors que tout le monde s’accorde désormais à dire que la situation au nord du Mali, aux confins de l’Algérie et du Niger, devient particulièrement préoccupante.

Dans l’édition du 23 novembre dernier d’un journal du soir, M. Éric Peters, conseiller du président de la Commission européenne, l’a affirmé avec force, tout en regrettant que les plans envisagés restent dans les cartons.

Monsieur le ministre, cela signifie-t-il que, tout en étant consciente des risques et périls pour la sécurité commune, l’Europe resterait l’arme au pied ? Ce ne serait ni sérieux ni responsable, car ces événements se passent aux portes de l’Europe !

Attendons-nous que la situation devienne totalement ingérable, socialement et politiquement, au point que seule une intervention militaire puisse être alors envisagée ? Que faisons-nous ? La France a-t-elle proposé à l’Union européenne de réagir enfin et de sortir ces plans des fameux cartons bruxellois ?

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