Intervention de Xavier Pintat

Réunion du 28 novembre 2011 à 22h15
Loi de finances pour 2012 — Compte d'affectation spéciale : gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien

Photo de Xavier PintatXavier Pintat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais vous livrer plusieurs observations.

Premièrement, dans le contexte actuel marqué par une crise financière sans précédent et une contrainte budgétaire importante, l’effort de défense de notre pays reste significatif. On ne peut que s’en réjouir et je vous remercie, monsieur le ministre, d’y avoir veillé.

Par le passé, le budget d’équipement a trop souvent joué le rôle de variable d’ajustement. Or, on le sait, ce n’est pas de bonne pratique budgétaire.

Une réduction de la quantité d’unités commandées d’un programme se traduit mécaniquement par l’augmentation du coût unitaire des équipements, parfois dans des proportions excessives. Un avion de combat n’est pas un avion de ligne. Il y a des coûts non récurrents de recherche et développement qui ne peuvent être amortis que sur de longues séries, et réduire les quantités ne réduit pas les coûts. Cette pratique a été abandonnée ; c’est une bonne chose et j’espère qu’elle ne sera pas remise au goût du jour.

Deuxièmement, ne nous berçons pas d’illusions : le gouvernement au pouvoir l’année prochaine ne disposera plus de recettes exceptionnelles. Il devra donc faire le choix, soit d’augmenter les crédits budgétaires pour maintenir l’effort de défense français à son niveau actuel, soit de diminuer les dépenses, et donc très probablement les crédits d’équipement.

Nous sommes nombreux à avoir du mal à croire que, si la situation économique et budgétaire internationale ne s’améliore pas sensiblement, il nous soit possible de maintenir l’effort de défense au niveau auquel il se situe. Il faudra donc envisager des réductions. Autant nous y préparer tout de suite, quelle que soit notre appartenance politique, afin d’être prêts le moment venu et de ne pas opérer des choix au dernier moment, dans la précipitation.

Cela m’amène à ma troisième remarque. Quand on doit opérer des réductions de crédits en matière d’équipements de défense, il importe, d’une part, de faire des choix guidés par des principes et, d’autre part, de veiller à la cohérence d’ensemble du format des armées.

Pour ce qui est des principes de choix, le Livre blanc fournit une aide précieuse à la décision puisqu’il distingue trois cercles de souveraineté industrielle : les équipements dont il faut absolument conserver la maîtrise, c’est-à-dire être capables de les fabriquer entièrement, ceux que l’on peut réaliser en coopération et, enfin, ceux que l’on peut acheter sur étagères. La question est donc de savoir ce que l’on met dans chacun de ces cercles.

Or, de ce point de vue, monsieur le ministre, je suis étonné de constater que ce projet de loi de finances ne contient que très peu de chose concernant la défense antimissile balistique, sinon quelques crédits dans le programme 144 pour la réalisation d’un démonstrateur de radar à très longue portée, le TLP, pour 30 millions d’euros.

En revanche, 320 millions d’euros d’autorisations d’engagement sont consacrés à la constitution d’une filière franco-israélienne de drones MALE, et nous savons tous que le chiffre final sera certainement plus proche du double, ce qui mettrait le drone MALE au prix du Rafale ! Et tout cela parce que nous ambitionnons de le construire seuls, au lieu d’acheter sur étagères des drones MALE identiques à ceux de nos amis européens, avec qui nous pourrions faire de la mutualisation, autrement dit du pooling and sharing, qui donnerait de la consistance à l’Europe de la défense.

Je me pose donc la question : est-il plus important de veiller à ce que la crédibilité de notre dissuasion nucléaire reste intacte, à ce que les industriels français et européens – je pense à Astrium, à MBDA, à Thales – puissent disposer des crédits d’études pour acquérir des technologies de rupture, ou bien de savoir fabriquer des drones de deuxième génération ? Cela se discute, j’en conviens.

Car il faut bien reconnaître que la menace balistique iranienne sur l’Europe en général et sur la France, puissance nucléaire, en particulier, n’est que peu probable. Je ne dis pas que cette menace n’existe pas, mais elle nous concerne peu. Nous connaissons les ennemis stratégiques de l’Iran : ils se situent au Moyen-Orient.

En fait, la défense antimissile balistique, pour nous, est tout sauf un objet militaire : c’est une locomotive industrielle et technologique qui permet d’accéder à la maîtrise de son propre espace atmosphérique ; c’est un levier commercial qui permet de vendre d’autres équipements ; c’est un outil diplomatique qui permet de structurer les alliances ; in fine, c’est un instrument stratégique qui risque d’émousser la crédibilité des forces de dissuasion nucléaire de l’ensemble des États dotés, y compris le nôtre.

De ce point de vue, il serait important que le Gouvernement fasse connaître ses orientations sur la façon dont il entend se préparer au sommet de Chicago. Nous regrettons d’ailleurs que le rapport que nous avions rendu à la demande du président Josselin de Rohan n’ait pas été pris en compte et que, comme le rappelait Jacques Gautier, même la constitution, pourtant peu onéreuse, d’un centre national de la défense antimissile, véritable forum d’aide à la décision, n’ait pas été concrétisée.

Cette absence d’engagement sur un sujet mettant en cause la souveraineté nationale et sur lequel nous sommes seuls en Europe à avoir les moyens de notre indépendance peut surprendre.

En regard de cela, vous le savez bien, monsieur le ministre, votre argumentaire en faveur de l’achat des drones israéliens Heron TP n’a pas convaincu notre commission.

Je ne dis pas que les drones ne sont pas importants ; je dis qu’il faut faire des choix. Nous sommes nombreux à préférer acheter des drones de deuxième génération sur étagères et mettre l’argent public dont nous disposons sur des satellites d’écoute, comme CERES, ou d’alerte avancée, comme le successeur de Spirale. D’autant que nous sommes convenus, par ailleurs, de construire des drones de troisième génération, les drones du futur, en coopération avec nos amis britanniques.

Pour ce qui est maintenant de la cohérence, quel que soit le format d’une armée, il faut s’assurer qu’elle dispose de l’ensemble des armements nécessaires, avec des personnels ayant reçu la formation adéquate et les heures d’entraînement requises.

Or nous avons parfois le sentiment que nous nous lançons dans de grands programmes d’équipement pour des raisons sans doute fondées du point de vue industriel, mais dont la cohérence d’ensemble nous échappe. Tout le monde sait, et ce gouvernement n’en est pas responsable, que le fait de lancer un seul porte-avions n’avait pas grand sens et qu’il valait mieux en prévoir deux ou aucun. De la même façon, était-il nécessaire, en termes militaires, de lancer un troisième BPC, alors que nous avons des difficultés à en équiper un ?

Enfin, dans le domaine aéronautique, nous avons le Rafale, qui est un avion d’excellente qualité, mais il faut maintenant avoir les pods de désignation d’objectifs adéquats, des avions ravitailleurs, des moyens de renseignement suffisants et peut-être des drones MALE capables de traverser la Méditerranée.

C’est cela, la cohérence, et j’ai le sentiment que nos choix en matière d’équipement sont trop souvent guidés par des considérations industrielles – ce qui est au demeurant tout à fait louable – et pas assez souvent par des considérations militaires.

Revenons-en au domaine de la défense antimissile, que je connais bien. Vous avez choisi de reporter à 2020 la réalisation d’un satellite d’alerte avancée et de lancer les études amont permettant de construire un démonstrateur de radar de surveillance à très longue portée. Le radar lui-même pourrait être commandé en 2015 pour une mise en service en 2018. Or l’utilité optimale de ce radar nécessite qu’il soit placé à proximité de la menace. En l’occurrence, cela aurait du sens de le placer dans un pays du Golfe ou en Turquie.

À défaut d’utilisation dans une configuration antibalistique, quelle sera l’utilité de ce radar ? N’aurait-il pas mieux valu, pour la même somme, effectuer des coopérations avec nos alliés néerlandais sur le radar SMART-L qui équipe les frégates Horizon ? Nous aurions ainsi pu disposer de la même capacité, interopérable, non seulement avec les Néerlandais, mais éventuellement avec les Italiens, qui ont aussi des frégates Horizon, et avec les Anglais, qui ont le même type de frégates et le même système de défense antiaérien, le PAAMS.

Telles sont, en résumé, monsieur le ministre, mes observations et mes interrogations sur ce projet de budget. Les quelques critiques et interrogations que je viens de vous livrer ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt et masquer l’appréciation globalement positive que le groupe UMP, auquel j’appartiens, porte sur l’ensemble du budget.

Depuis cinq ans, les forces françaises ont subi une transformation sans précédent. Elles ont, dans le même temps, bénéficié d’équipements de grande qualité, à un niveau que je qualifierai dans l’ensemble d’adéquat.

Elles ont, par ailleurs, fait preuve d’un grand professionnalisme, quel que soit le théâtre sur lequel elles ont été déployées, en Afghanistan, en Côte d’Ivoire, en Libye ou ailleurs. C’est pourquoi les rapporteurs de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat ont souhaité leur rendre un hommage appuyé.

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