Intervention de Jeanny Lorgeoux

Réunion du 28 novembre 2011 à 22h15
Loi de finances pour 2012 — Compte d'affectation spéciale : gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien

Photo de Jeanny LorgeouxJeanny Lorgeoux :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai été associé cette année à l’étude des crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » et plus particulièrement à l’action relative aux études amont. Vous trouverez nos observations dans le rapport écrit. Me consacrant également au renseignement, j’accorde une attention particulière, dans le programme 146, aux satellites et aux drones. Je souhaiterais donc soumettre trois observations à votre sagacité.

Je veux tout d’abord dire que personne, au Sénat, ne sous-estime l’importance de l’industrie de défense française : tout le monde est conscient, en particulier, de son poids dans l’économie nationale.

Ce qui fait la force de l’industrie de défense et la rend éminemment stratégique, c’est la valeur de sa recherche, qui est une recherche par rupture et non par incréments. C’est grâce à la recherche militaire, en particulier américaine, qu’ont été trouvées par effet de sérendipité certaines des innovations les plus structurantes des cinquante dernières années, telles que l’internet, le téléphone portable, les micro-ondes – mais vous savez tout cela aussi bien que moi !

Or nous avons la chance d’avoir en France une industrie de défense polyvalente et de compter plusieurs champions nationaux de grande valeur : EADS, Dassault, MBDA, DNCS, Thales, Safran-Sagem, Nexter, capables de fabriquer toutes sortes d’armements, de l’avion de combat au véhicule blindé. Nos amis allemands excellent dans la fabrication de voitures ; nous, dans la fabrication d’armements.

J’en viens à ma deuxième observation. Pour encourager l’industrie de défense, il est primordial d’avoir un flux d’études amont significatif et important.

Les études amont font travailler les bureaux d’études des différents industriels de la défense. Nous consacrons en France des crédits budgétaires d’un niveau significatif à ce secteur : de l’ordre de 750 millions d’euros par an. On pourrait penser que ce n’est pas assez et qu’il faudrait atteindre le montant symbolique d’un milliard d’euros, mais ne nous faisons pas d’illusions : nous n’avons pas les moyens d’aller au-delà. Du reste, le volume des crédits n’est pas tout. Il faut aussi se concentrer sur la cohérence des plans d’investissement.

Un exemple ? Nous nous interrogeons sur l’opportunité de la construction d’un démonstrateur de radar à très longue portée, dont le rapport d’information de nos excellents collègues Jacques Gautier, Daniel Reiner et Xavier Pintat du mois de juillet dernier montre qu’il n’a d’utilité militaire que s’il est placé près de la menace, en l’occurrence le golfe Persique.

Si ce démonstrateur s’avère concluant et que nous passons à l’étape suivante, monsieur le ministre, où comptez-vous faire installer un tel radar ? N’y avait-il pas des études plus rentables à mener, sur les radars transhorizon par exemple ? Pourquoi avoir reporté la construction du satellite d’alerte avancée et privilégié la construction du radar ? S’agit-il juste de faire travailler les bureaux d’études les uns après les autres, Thales après Astrium ?

Cela m’amène à ma troisième observation : encourager l’industrie de défense française, c’est bien ; favoriser les bureaux d’études c’est bien aussi, mais à condition que cela ne se fasse pas au prix de la « desquamation », fût-elle progressive, de l’équipement de nos forces.

Mon excellent collègue Daniel Reiner a montré tout à l’heure qu’il semblerait que vous agissiez davantage en ministre de l’industrie, préoccupé de remplir le plan de charges de ses industriels – ce qui, en soi, est très louable –, qu’en ministre de la défense, garant de l’équipement de ses forces.

Trois exemples illustrent la primauté accordée aux considérations industrielles par rapport à l’intérêt de nos forces armées.

Le premier est bien évidemment le retard pris concernant la rénovation des Mirage 2000D. Cette rénovation, déjà reportée l’an dernier, l’est de nouveau cette année. Nous avons compris que vous n’aviez plus l’intention de faire procéder à cette rénovation et que nous nous orientions désormais vers une aviation de combat française dont le format va encore décroître et qui sera exclusivement équipée d’avions Rafale. C’est bien pour l’industrie, mais est-ce bon pour la défense ? En matière d’armée, la qualité est certes cruciale, mais il faut aussi prendre en compte la quantité.

Le second exemple est celui du pod de désignation d’objectifs Damoclès. Ce pod, conçu naguère en coopération avec nos amis émiratis, permet la désignation de cibles terrestres d’un volume important et relativement peu mobiles : typiquement, des chars d’assaut ! Or l’expérience libyenne, mais aussi afghane, a montré qu’il faut disposer d’un pod de désignation plus performant, capable de désigner des cibles plus petites et plus mobiles. Un tel pod n’a pas été développé, car l’industriel refuse d’autofinancer le développement d’un pod de nouvelle génération. Mais nous n’avons pas l’intention d’en acheter sur étagères ! Nous continuons donc d’équiper nos avions d’armes avec un élément important du dispositif qui se trouve être inadapté.

Troisième et dernier exemple : les drones MALE. Vous demandez au Parlement, monsieur le ministre, les crédits nécessaires à l’achat de la solution la plus chère – elle coûte 30 % de plus, mais vous sembliez tout à l’heure contester ce chiffre – et la moins performante – 20 % de moins. Cet achat vise à permettre à Dassault, notre fleuron national, d’acquérir, aux frais du contribuable – cela me fait un peu penser au « veau sous la vache », et je vous demande de pardonner au sénateur rural que je suis la rudesse ou la crudité de cette métaphore agricole !

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