Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 2 décembre 2011 à 10h00
Loi de finances pour 2012 — Conseil et contrôle de l'état

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, en remplacement de M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois pour la justice administrative, et de M. André Reichardt, rapporteur pour avis de la commission des lois pour la Cour des comptes et les autres juridictions administratives :

Je commence par la justice administrative, objet du rapport pour avis de M. Détraigne.

L'avis de la commission des lois porte sur les crédits de la justice administrative regroupés au sein du programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la présente mission.

Ce programme bénéficie de conditions budgétaires favorables par rapport à la plupart des autres programmes budgétaires que nous avons examinés.

Ainsi, si les autorisations d'engagement marquent le pas après les efforts des années précédentes sur le plan de l'immobilier comme sur celui des créations d'emploi, les crédits de paiement continuent d'augmenter conformément à ce que la programmation pluriannuelle 2011-2013 prévoyait.

J'observe également que les juridictions administratives bénéficient de conditions privilégiées d'exécution budgétaire, puisqu'elles continuent d'être exonérées de la mise en réserve de crédits en début de gestion. C'est là un avantage certain.

Monsieur le ministre, pourquoi les juridictions judiciaires ne bénéficieraient-elles pas du même traitement, alors que leur situation est certainement aussi difficile que celle des juridictions administratives ?

L'année 2012, comme les années précédentes, sera marquée par une progression annoncée du contentieux administratif et, particulièrement, du contentieux le plus inflationniste, celui des étrangers, qui représente déjà un quart du contentieux en première instance et la moitié en appel.

En effet, la loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité du 16 juin dernier a inversé le calendrier d'intervention du juge administratif et du juge judiciaire dans le contentieux de l'éloignement et de la rétention administrative. Selon toute vraisemblance, les magistrats administratifs seront saisis plus fréquemment par les justiciables, avec des questions à trancher plus nombreuses pouvant concerner le principe même de l'éloignement, le cas échéant l'absence de délai de retour volontaire laissé à l'étranger, le choix du pays de destination, le bien-fondé de son placement en rétention ou le prononcé d'une interdiction de retour.

En outre, cet accroissement de la charge de travail des juridictions administratives se doublera d'une réorganisation de leur permanence : des juges devront être disponibles à tout moment, y compris les jours fériés, pour traiter ce contentieux.

L'étude d'impact du projet de loi du 16 juin 2011 était muette sur les moyens supplémentaires nécessaires pour permettre aux juridictions de faire face à cet afflux de contentieux. La commission des lois a observé que le projet de budget n'en disait pas plus, même si le Gouvernement reconnaissait le problème. C'est bien de le reconnaître, monsieur le ministre, c'est mieux de lui apporter les solutions appropriées.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles solutions seront apportées face à cette difficulté et comment les moyens budgétaires nécessaires seront dégagés ?

Traditionnellement, la réponse à l'inflation du contentieux administratif a mobilisé trois leviers : le levier budgétaire, par la création de juridictions nouvelles, comme la cour administrative d'appel de Versailles et les tribunaux administratifs de Nîmes, Toulon et Montreuil, créés ces dernières années, ainsi que par l'augmentation des effectifs, ; le levier humain et organisationnel, par l'amélioration du traitement des procédures dans le sens d'une plus grande efficacité, ainsi que par des revalorisations indemnitaires ; enfin, le levier procédural, par la simplification des procédures et par le développement des modes alternatifs de règlement des litiges.

Or deux de ces leviers semblent aujourd'hui bloqués : le levier budgétaire – nous en voyons chaque jour, et, dirais-je, chaque nuit, l'illustration, monsieur le ministre – et le levier humain et organisationnel, un seuil ayant déjà été atteint dans l'intensification du travail.

Il ne reste donc plus que le levier procédural. Cependant, cette piste n'est pas sans présenter des risques. En effet, la procédure est ce qui garantit le droit. Si tout allégement ou toute simplification de procédure ne préjudicie pas forcément aux droits du justiciable, il convient d'en évaluer le risque avant même de considérer l'économie qu'il pourrait permettre de réaliser.

Force de constater qu'ici aussi un seuil paraît atteint : d'ores et déjà, les deux tiers des contentieux portés devant les tribunaux administratifs sont tranchés par un juge unique. On peut difficilement aller plus loin.

Quant à la réforme relative à la dispense de conclusions du rapporteur public, réforme que nous avons contestée, monsieur le ministre, et dont les décrets d'application ne sont toujours pas adoptés, elle continue de susciter l'inquiétude parmi les magistrats, qui craignent qu'elle ne devienne un outil de gestion des flux de contentieux.

La commission des lois suivra donc avec une grande vigilance les simplifications procédurales envisagées afin de s'assurer qu'elles ne porteront pas préjudice aux droits des justiciables, qui sont souvent, dans les contentieux concernés, des justiciables vulnérables.

Prenant toutefois acte des efforts engagés les années précédentes et qui se poursuivent dans ce budget malgré un contexte difficile, la commission des lois a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la justice administrative.

M. Détraigne appelle toutefois votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que cet avis favorable n'empêchera pas notre commission d'être très vigilante en raison des incertitudes relatives à la progression programmée du contentieux, dont on ne mesure pas encore l'impact.

J'en viens aux crédits du programme « Cour des comptes et autres juridictions financières ».

Le budget des juridictions financières fait l'objet pour la première fois cette année d'un rapport pour avis de la commission des lois, rapport dont l'auteur est M. Reichardt, que je supplée donc en cet instant.

La place centrale qu'occupent ces juridictions dans le contrôle de la gestion publique et les évolutions qu'elles connaissent actuellement justifient l'intérêt que la commission des lois porte au budget alloué à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes.

Le budget pour 2012 est marqué par une continuité et une stabilité au regard du budget pour 2011. Il s'inscrit en effet dans le cadre de la programmation triennale 2011-2013, qui prévoit pour les juridictions financières une enveloppe budgétaire globale constante.

M. Reichardt a constaté, en rencontrant les représentants de la Cour et des chambres, que le montant de ces crédits permettait aux juridictions financières d'assumer leurs missions dans des conditions globalement satisfaisantes.

Il est vrai que, contrairement à d'autres juridictions, les juridictions financières ont la maîtrise de leur contentieux, ce qui les aide à dimensionner correctement leurs actions par rapport aux moyens disponibles.

Ce budget est composé aux neuf dixièmes de dépenses de personnel, qui concernent principalement des personnels de catégorie A+.

La pyramide des âges du corps des magistrats financiers est évasée, ce qui témoigne du vieillissement du corps.

Les personnels des juridictions financières sont également caractérisés par une forte rotation, puisque environ un tiers des magistrats exercent actuellement leur activité hors juridiction.

Le recrutement en 2012 de huit conseillers de chambre régionale des comptes par concours devrait permettre de limiter le nombre de détachements dans les chambres régionales des comptes et de rajeunir le corps des magistrats.

La stabilité du budget pour 2012 ne doit cependant pas faire oublier, mais cela ne vous avait pas échappé, monsieur le ministre, qu'il s'agit d'un budget de transition.

En effet, estime M. Reichardt, la réforme des juridictions financières a connu, après de nombreuses péripéties et sous réserve de l'appréciation du Conseil constitutionnel, une étape décisive avec l'adoption en lecture définitive par l'Assemblée nationale, le 16 novembre dernier, du projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles.

Ce texte prévoit notamment la possibilité de regrouper certaines chambres régionales des comptes, ce dont il faudra naturellement tenir compte dans les projections budgétaires futures. Pour l'heure, les conséquences de cette nouvelle loi ne figurent cependant pas dans le projet de budget pour 2012.

Compte tenu à la fois de la stabilité du budget proposé et de la satisfaction globale des représentants de la Cour et des chambres régionales qu'a constatée M. Reichardt, le rapporteur pour avis a proposé un avis favorable à l'adoption des crédits proposés. Toutefois, et peut-être les récents débats sur les chambres régionales des comptes ont-ils eu quelque effet à cet égard, cet avis n'a pas été suivi par la commission des lois, qui vous propose de rejeter les crédits consacrés à la Cour des comptes et aux juridictions financières par le projet de loi de finances pour 2012.

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