Intervention de Patrick Ollier

Réunion du 2 décembre 2011 à 10h00
Loi de finances pour 2012 — Conseil et contrôle de l'état

Patrick Ollier, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur spécial, mesdames, messieurs les sénateurs, l'examen de la mission « Conseil et contrôle de l'État », qui comprend trois entités différentes, logiquement regroupées en trois programmes très indépendants les uns des autres, va me permettre de vous apporter les réponses que vous souhaitez, programme par programme, en étant le plus précis possible, bien que de nombreuses questions touchent d'autres crédits budgétaires, relevant notamment du ministère de la justice. Monsieur Anziani, vous comprendrez que je ne puisse pas engager un débat au nom du garde des sceaux.

M. le rapporteur spécial, que je remercie de son soutien à cette mission, et M. le président de la commission des lois, au nom de M. André Reichardt, ont insisté sur le soutien budgétaire apporté à la justice administrative.

Le Gouvernement a fait le choix de soutenir la justice administrative, dans un contexte budgétaire pourtant très difficile ; vous l'avez tous, me semble-t-il, souligné, ce dont je vous suis reconnaissant. Les crédits de paiement augmentent de 3, 38 % et les autorisations d'engagement restent stables.

La justice administrative est engagée, depuis 2009, dans une politique ambitieuse de modernisation de son organisation et de ses méthodes de travail. La programmation pluriannuelle des finances publiques 2009-2011 a permis d'engager cette démarche sur la durée. La programmation 2011-2013 doit permettre de parachever cette rénovation indispensable à l'efficacité de son action. Le calendrier sera, bien sûr, respecté.

Cependant, le redressement constaté au cours des dernières années demeure fragile, je le reconnais, au regard de l'augmentation probable du contentieux à l'avenir, comme vous l'avez très précisément évoqué, monsieur Sueur. On estime à 10 000 le nombre de requêtes supplémentaires, du fait de la mise en œuvre de la loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité de 2011 et de l'augmentation des litiges relatifs au droit au logement opposable ou au revenu de solidarité active. Mme Borvo Cohen-Seat s'en est fait l'écho.

Ces perspectives provoquent des interrogations et font craindre des fragilités pour l'avenir. Bien entendu, le Gouvernement va s'efforcer d'y faire face.

Monsieur Sueur, vous avez mis l'accent sur l'impact de la loi relative à l'immigration, en relevant les questions posées par M. Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois.

Les modifications apportées aux procédures contentieuses applicables aux mesures d'éloignement prises à l'encontre des étrangers en situation irrégulière sont susceptibles d'avoir trois conséquences évidentes sur l'activité des juridictions administratives.

D'abord, ces modifications tendent à accroître le nombre de requêtes, en raison du différé de l'intervention du juge des libertés et de la détention, qui se traduira par une sollicitation supplémentaire du juge administratif, désormais le premier susceptible d'être saisi. On peut estimer à environ 10 000 requêtes supplémentaires l'effet de cette évolution.

Ensuite, il faut prévoir un alourdissement de la charge de travail induite par chaque requête, compte tenu du fait que la contestation pourra porter désormais sur l'absence de délai de retour volontaire, sur la légalité du placement en rétention et sur la légalité de l'interdiction de retour, d'une durée pouvant aller jusqu'à cinq ans, qui pourra assortir, à l'avenir, la mesure d'éloignement.

Enfin, il est à craindre des contraintes d'organisation majeures pour certaines juridictions, en raison de la possibilité ouverte de faire statuer le juge administratif dans des salles d'audience spécialement aménagées à proximité immédiate du centre de rétention administrative ou en son sein.

La programmation budgétaire 2011-2013 prévoit donc, certains d'entre vous l'ont relevé, la création, dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, de 30 emplois supplémentaires de magistrat, à raison de 20 en 2011, 5 en 2012 puis 5 en 2013. Certains d'entre vous l'ont relevé.

À ces emplois s'ajoutent les récents comblements de postes vacants.

Au total, les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel devraient donc pouvoir compter sur une cinquantaine de magistrats supplémentaires sur la période 2011-2013, ce qui est loin d'être négligeable.

Il est très difficile de savoir, à ce stade, si ces renforts suffiront à répondre à l'alourdissement de la charge des juridictions résultant de l'impact de la loi relative à l'immigration, en plus de l'évolution des autres contentieux. Cependant, cela permettra de faire face le plus rapidement possible aux premières conséquences attendues.

Ces effets devront être plus précisément évalués, dans quelques mois, pour apprécier si des moyens supplémentaires, au-delà de ceux qui sont déjà programmés à ce stade, sont nécessaires pour absorber cette évolution du contentieux. Le Gouvernement y pourvoirait alors dans un second temps.

MM. Guené, Sueur et Magras ont abordé le problème de la Cour nationale du droit d'asile, la CNDA.

Cette juridiction administrative spécialisée, rattachée au programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » depuis le 1er janvier 2009, doit relever un double défi : une progression extrêmement importante du contentieux de l'asile – hausse de 15 % en 2009 et de 10 % en 2010 –, combinée au fort développement des demandes d'aide juridictionnelle, générateur de retards dans la mise en état des dossiers et d'une augmentation des renvois d'audience.

Ainsi, le délai moyen de jugement de la CNDA avait atteint quinze mois en 2009, et il avait été prévu de le ramener à six mois en 2011.

L'importance de ces défis avait conduit le Gouvernement à prévoir, dans la programmation 2011-2013 élaborée à l'été 2010, la création de 90 emplois supplémentaires pour les juridictions administratives : 40 en 2011, 30 en 2012 et 20 en 2013.

Cet effort devait permettre, d'une part, de consolider l'assainissement de la situation des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, et, d'autre part, de ramener les délais de jugement devant la CNDA à six mois à l'horizon de la fin de l'année 2013.

Grâce à ces moyens, nous pensons atteindre notre objectif.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la mise en œuvre, au début de l'année 2011, de ce plan d'action s'est rapidement traduite par une accélération du rythme des créations d'emplois inscrites dans la programmation 2011-2013. Ainsi, la CNDA bénéficiera de 65 emplois supplémentaires en deux ans – 50 en 2011 et 15 en 2012 –, alors que la programmation initiale prévoyait 50 emplois étalés sur trois années. Je voudrais tout de même vous faire remarquer l'ampleur de l'effort consenti, dans un contexte budgétaire très tendu.

M. le président de la commission des lois a évoqué le problème des cas de recours au juge unique. De même, M. Anziani a eu une appréciation très critique sur les matières relevant de la compétence du juge statuant seul, citant à l'occasion la formule d'un célèbre professeur de droit. Je ne sais pas si c'est unique ou inique, mais je tiens à dire que des progrès sont faits pour que ce magistrat puisse statuer dans les meilleures conditions possible.

Au reste, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne suis pas sûr que le temps soit la condition sine qua non d'une bonne justice. Fort de mon expérience personnelle en la matière, je ne suis pas certain que, plus on passe de temps sur un dossier, meilleur sera le jugement rendu. Mais je suis prêt, dans un autre contexte, à en discuter avec vous.

Néanmoins, je comprends votre inquiétude, qui explique le jugement que vous portez.

L'innovation procédurale doit, en effet, permettre de revisiter les matières relevant de la compétence d'un juge statuant seul, après conclusions du rapporteur public, afin d'ajuster au mieux la liste des matières devant relever de la compétence d'une formation collégiale, pouvant être dispensées de conclusions d'un rapporteur public, et la liste des matières devant relever de la compétence d'un juge statuant seul, pouvant ou non être dispensées de conclusions d'un rapporteur public.

L'objectif est, notamment, de découpler la liste des litiges justifiant le recours au juge statuant seul en première instance de celle des litiges ne pouvant faire l'objet d'un appel.

Cette réflexion est actuellement en cours. Un groupe de travail, présidé par le chef de la mission d'inspection des juridictions administratives, a été mandaté à cet effet par le vice-président du Conseil d'État. Il devrait être en mesure de faire des propositions dès le début de l'année prochaine, sans doute au mois de janvier.

L'objectif n'est pas tant d'étendre la liste des matières relevant de la compétence d'un juge statuant seul – la collégialité est une garantie importante pour la juridiction administrative – que d'opérer une rationalisation de ces matières.

Je repose la question : peut-on considérer comme une garantie de bonne justice de devoir attendre un an de plus pour être jugé ? Je ne sais pas si vous avez la réponse.

À M. Anziani, qui s'est également inquiété de l'augmentation du délai moyen constaté pour le traitement des affaires ordinaires, je répondrai que c'est la conséquence directe de la politique de diminution du stock, conduisant à traiter les affaires plus anciennes en priorité. Ce chiffrage, comptabilisant le temps passé entre le dépôt de la requête et son traitement, devrait rapidement décroître avec la diminution constatée du stock des affaires de plus de deux ans.

Je tiens à dire que l'affirmation de Mme Escoffier selon laquelle les collectivités territoriales ne seraient pas assez contrôlées par les chambres régionales et territoriales des comptes, est inexacte.

Madame la sénatrice, ce n'est pas parce qu'il y a une réduction du nombre des chambres régionales de 27 à 20 que les collectivités seront moins surveillées. Je ne suis pas sûr qu'il y ait une relation de cause à effet en la matière. Il y a bien une rationalisation, une réorganisation, mais le résultat ne sera pas pour autant celui que vous craignez.

En tant que maire moi-même je peux vous l'assurer. En tant qu'ancien préfet, vous savez bien que les choses ne se passeront pas comme cela.

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