Intervention de Marc Massion

Réunion du 23 novembre 2011 à 9h30
Loi de finances pour 2012 — Article 30 et participation de la france au budget de l'union européenne

Photo de Marc MassionMarc Massion, rapporteur spécial de la commission des finances :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est dans un contexte assez particulier que nous discutons aujourd’hui de la contribution française au budget communautaire, laquelle prend la forme d’un prélèvement sur les recettes de l’État d’un montant de 18, 878 milliards d’euros, fixé par l’article 30 du projet de loi de finances pour 2012.

Compte tenu des limites de temps qui nous sont imparties, je ne m’attarderai pas sur ce contexte, sinon pour rappeler que la crise des dettes souveraines doit nous conduire à étudier avec une vigilance accrue la programmation budgétaire de l’Union européenne.

L’Europe réclame bien sûr un débat politique de fond et une vision de long terme beaucoup plus larges que la seule rigueur budgétaire. Néanmoins, dans les conditions que nous connaissons tous aujourd’hui, nous ne pouvons nous soustraire à l’objectif de maîtrise des dépenses.

À notre sens, un tel but doit également être partagé au niveau européen. Or je ne suis pas certain que tel soit le cas. C’est ce que je vais tenter de vous démontrer ce matin, assez brièvement, mes chers collègues.

J’évoquerai tout d’abord la négociation budgétaire communautaire pour l’année 2012 qui, pour être toujours en cours, est déjà largement engagée.

Comme à l’accoutumée, l’avant-projet de budget a été présenté par la Commission européenne au printemps dernier et, plus précisément, le 20 avril 2011. La Commission a proposé une augmentation de 4, 2 % des autorisations d’engagement par rapport à 2011, soit 147, 8 milliards d’euros.

Les hausses concernent principalement la compétitivité, à hauteur de 12, 6 %, et la rubrique 3a « liberté, sécurité et justice », qui augmente de 17, 7 %. Les crédits de paiement affichent quant à eux une hausse de 4, 9 % pour atteindre 132, 7 milliards d’euros.

Je relève que le projet de budget, adopté à une courte majorité par le Conseil le 25 juillet 2011, se veut plus rigoureux. Ce souci est certes habituel, mais il prend d’autant plus de sens aujourd’hui, dans le contexte des efforts exigés en matière d’assainissement des finances publiques nationales et de stratégies de retour à l’équilibre budgétaire.

D’importantes coupes sont opérées concernant les autorisations d’engagement – elles n’empêchent cependant pas une augmentation de 3 % par rapport à 2011 – et, surtout, en crédits de paiement, ramenant la hausse pour 2012 par rapport à 2011 à 2, 02 %. Ces économies ont pour principale origine la préoccupation exprimée par de nombreux États membres, dont la France, de renforcer la discipline budgétaire.

Mes chers collègues, je vous renvoie notamment à la fameuse « lettre des cinq » de décembre 2010, par laquelle l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Finlande avaient demandé de limiter l’augmentation annuelle du budget communautaire à l’inflation. Si, cet été, au sein du Conseil, l’Allemagne et la France ont accepté de se rallier au compromis de la présidence polonaise, ce n’est que par pragmatisme et seulement après avoir obtenu gain de cause concernant les crédits de paiement.

Je précise que six États membres ont voté contre le projet du Conseil, qu’ils ont jugé insuffisamment équilibré : il s’agit du Royaume-Uni, des Pays-Bas et de la Finlande, rejoints par la Suède, le Danemark et l’Autriche.

Le Parlement européen a pourtant fait le choix ambitieux de revenir à un projet de budget proche de celui de la Commission avec, en 2012, une augmentation de 4 % des autorisations d’engagement et de 5 % des crédits de paiement.

La négociation entre les deux branches de l’autorité budgétaire a abouti, puisque nous sommes parvenus au terme de la phase de conciliation prévue par le traité de Lisbonne.

À cet égard, je relève, d’une part, que le texte issu de la conciliation fait sienne la proposition prudente du Conseil d’augmenter de 2 % les crédits de paiement en 2012, et, d’autre part, qu’une concession a été accordée au Parlement européen quant aux autorisations d’engagement, avec une hausse de plus de 3, 5 %.

Monsieur le ministre, je vous serais reconnaissant de bien vouloir faire le point sur cette procédure de conciliation, de nous indiquer quelles chances, selon vous, ce compromis a d’être ratifié les 30 novembre et 1er décembre prochains par le Conseil et le Parlement européen, et de nous préciser quel est l’impact du sixième projet de budget rectificatif pour 2011, lequel complexifie encore le débat en cours sur le budget 2012.

Par ailleurs, je souligne que les difficultés du débat actuel sont aggravées par la négociation qui s’est ouverte cette année sur la future programmation 2014-2020.

En effet, c’est à ce sujet que les tensions entre les États membres, la Commission et le Parlement européen sont les plus vives : il est donc nécessaire d’aboutir rapidement à un compromis, faute de quoi une grave crise politique pourrait paralyser l’Union européenne.

Conformément à son monopole d’initiative, la Commission a adopté le 29 juin dernier une communication intitulée Un budget pour la stratégie Europe 2020 destinée au Parlement européen, au Conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions. Elle y détaille pour la première fois des éléments chiffrés relatifs au prochain cadre pluriannuel.

Les propositions de la Commission accordent tout d’abord une priorité aux dépenses de recherche et d’innovation – avec une augmentation de 60 % entre les deux programmations à périmètre comparable –, à la gestion des flux migratoires, avec une hausse identique, et à l’action extérieure, qui progresse quant à elle de 40 %.

De plus, ces propositions se caractérisent par la poursuite de la politique de cohésion, en augmentation de 11 %, et par la stabilité de la PAC, nonobstant son « verdissement », 30 % des aides devant désormais être liées à l’environnement. Les dépenses administratives ne sont pas en reste puisqu’elles augmenteraient de 25 %, loin de la maîtrise qui devrait être de rigueur !

Au total, il s’agirait de 972 milliards d’euros de crédits de paiement sur sept ans. Néanmoins, ces propositions, déjà ambitieuses dans le contexte actuel, ne sont pas fiables, étant volontairement sous-évaluées.

Par un premier artifice de présentation, la Commission minore les crédits qui seront mobilisés. En effet, les montants qu’elle communique sont calculés en euros constants et en autorisations d’engagement, alors que seule une présentation en crédits de paiement et en euros courants permettrait de mesurer l’impact réel des propositions sur les contributions nationales : la réalité de l’augmentation de la dépense qui, chaque année, devra être réévaluée selon l’inflation est volontairement masquée.

À ce titre, j’observe que tous les États membres calculent leurs contributions en euros courants et qu’ils font de même avec leurs programmations pluriannuelles quand ils en emploient.

Par un second artifice, la Commission dissimule les tensions importantes que sa programmation exercera sur les finances des États membres : elle multiplie ainsi les débudgétisations incompréhensibles, ce qui dégonfle artificiellement son projet.

Ainsi, le Fonds européen de développement, le FED, et les mécanismes de stabilisation financière seraient non seulement maintenus hors du budget général de l’Union européenne et hors du cadre financier pluriannuel, mais seraient surtout extraits du budget des politiques pourtant communautaires, à l’image des dépenses relatives au projet ITER et au programme européen de surveillance de la Terre, plus connu sous son acronyme anglais GMES, pour Global Monitoring for Environment and Security.

En euros courants, avec le périmètre classique de financement de l’Union européenne auquel s’ajouteraient le FED et les politiques débudgétisées, le total des dépenses s’élèverait ainsi à 1 156 milliards d’euros en crédits de paiement, soit 184 milliards d’euros de plus que n’en compte le budget présenté par la Commission, estimé, je le rappelle, à 972 milliards d’euros !

Bref, une fois mis au jour ces artifices de présentation et ces débudgétisations inacceptables, il apparaît que le projet de programmation pour 2014-2020 présenté par la Commission européenne est insoutenable en l’état de nos finances publiques. En outre, ce document fait entorse au principe de sincérité budgétaire.

Monsieur le ministre, je souhaiterais connaître votre analyse à ce sujet, ainsi que les arguments précis que la France sera conduite à employer dans le cadre des négociations en cours.

Mes chers collègues, l’ensemble de ces observations me conduisent à vous proposer, au nom de la commission des finances, de vous abstenir quant à l’article 30 de notre projet de loi de finances pour 2012, pour manifester notre désaccord avec les pratiques de la Commission européenne !

À présent, notre collègue Jean Arthuis va me succéder à la tribune. Il devrait invoquer d’autres arguments relatifs au montant du prélèvement qui pèse sur la France ainsi qu’à l’évolution de notre solde net.

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